Métropole qui s'ignore de la culture francophone en Amérique

Montréal n'est pas le cas désespéré dépeint par certains

Un peuple majoritaire doit s'affirmer avec confiance et empathie

Tribune libre 2012


Première partie : DITES BONJOUR !
Je veux ici exprimer quelques réserves envers une tendance à la dramatisation du discours sur la présence du français à Montréal.
Bien d'accord qu'on exige de se faire parler et aussi comprendre en français dans toutes les institutions et établissements du Québec, mais pas en se transformant en milice ou inspecteur de la langue pour autant. Ce n'est pas la bonne façon de faire pour atteindre l'objectif de redonner à Montréal un visage français. J'ai été assez agacé par une publicité télévisée d'Impératif français juste à la fin de l'année qui se terminait par le souhait : "Bonne francisation". J'ai eu l'impression qu'on nous considérait comme une minorité francophone du nord de l'Ontario ou du Manitoba, ce qui est loin d'être notre situation.
Il serait à mes yeux beaucoup plus profitable de miser sur l'affirmation positive que sur la collection des infractions. Si on entrait dans une boutique ou un rayon de magasin de bonne humeur avec le sourire en disant BONJOUR ! à voix haute. En 1966, quelques mois avant l'exposition universelle de Montréal, il y avait une publicité très efficace sur les ondes de la radio de Radio Canada avec la voix d'Henri Bergeron qui disait : "DITES BONJOUR ! AUX VISITEURS DE NOTRE EXPO, DITES BONJOUR !" et qui visait à préparer les Montréalais èa bien accueillir en français les 10 millions de visiteurs attendus. D'abord on montre qu'on existe, qu'on est fier d'exister, qu'on est pas des croquemitaines à la recherche de contrevenants pris en flagrant délit et qu'on est capable de s'intéresser à l'autre et d'entrer en relation avec lui avec cordialité. Le commerce urbain est un prétexte à l'échange culturel et à la sociabilité. On engagerait ainsi une conversation amicale en français au lieu de chercher à piéger la personne, même si la personne devant nous bredouille un peu, au lieu de ne voir que l'anglophone colonialiste et menaçant.
Il y a le cas particulier et bien présent des étudiants anglophones venant du ROC ou de l'étranger, souvent très jeunes, parmi lesquels plusieurs doivent trouver des emplois précaires dans les cafés et boutiques du centre-ville afin d'assurer leur subsistance. Plusieurs d'entre eux n'ont pas été mis au courant par leurs universités québécoises anglophones au moment de leur inscription que Montréal est une ville ou la maîtrise du français est essentielle à l'intégration. Imaginerait-on un étudiant américain ayant fait ses études à Paris qui ne connaîtrait pas le français ? C'est pourtant possible à Montréal.
Les universités anglophones subventionnées par le Québec devraient d'ailleurs toutes être obligées de fournir à leurs étudiants et d'exiger de ceux-ci dès leur arrivée à Montréal une formation continue en langue française suffisante pour leur permettre de vivre adéquatement dans une ville et un état majoritairement francophones. Aucun diplôme ne devrait être émis sans l'acquisition des connaissances requises en français. Le Québec apporterait ainsi une importante contribution à l’essor de la francophonie dans le monde.
Les anglo-québécois qui nous reçoivent dans leur petite boutique sont aussi nos concitoyens. Il y a deux façons de gagner la bataille du français, l'une est par les obligations légales qui relèvent de l'état (l'application à la lettre de ce qui reste de la Loi 101 est essentielle) et qu'il n'appartient pas à des milices citoyennes de faire respecter. Ce problème arrive quand l'état ne remplit pas ses obligations légales. L'autre moyen complémentaire et tout aussi essentiel dépend de nous et dépend de notre volonté et de notre capacité à nous affirmer avec empathie. Il faut cesser de créer un climat d'intolérance et d'affrontement comme si chaque anglophone était un soldat de Wolfe. Il faut plutôt aller au devant de l'autre en reconnaissant que cette personne existe et ne connait et comprend souvent bien peu de choses à notre sujet. Il arrive dans certains cas que cette personne, pour des raisons idéologiques (la haine entre francophones et anglophones a été virulente à certaines époques, les préjugés et le mépris envers les francophones sont encore enseignés dans certains milieux orangistes, et il reste des traces de 1000 ans de conflits entre Anglais et Français de part et d'autre de la Manche et de l'Outaouais) peut se montrer peut être parfois arrogante et c'est alors le moment de la désarmer par notre courtoisie, une pratique bien française.
Pourquoi ne pas seulement dire "pardon ?" immédiatement quand on s'adresse à nous dans une autre langue que le français ? Cela peut se faire avec le sourire. Il n'est pas nécessaire de s'imaginer que nous sommes en train de disparaître quand cela arrive mais affirmer que nous sommes là pour y rester mais avec la noblesse d'un peuple majoritaire. Notre bataille devrait davantage ressembler à une partie d'échec qu'à un champ de bataille.
Il ne suffit pas d'exiger le français, il faut aussi établir une complicité avec les anglos que l'on rencontre sans quoi on ne fait qu'épaissir le mur d'incompréhension qui nous divise. Nous avons intérêt à aimer Montréal et les Montréalais. Qu'on le veuille ou non, Montréal au cours de son histoire a intégré des anglophones et des allophones. Le maintien de la civilité est la condition d'existence d'une ville. Ce que je propose s'applique envers les employés des boutiques, restaurants, guichets etc.
Il y a cependant une limite à mon propos: face à un v.-p. de la BN ou de la Caisse de Dépôt ou à un cadre supérieur de toute entreprise de service public ou privé, il est permis d'être intraitable tout en gardant le sourire.
deuxième partie : Le "Montréal bashing"
Il faut prendre au sérieux mais arrêter de dramatiser la situation montréalaise et comprendre qu'en refusant l'indépendance de notre pays c'est nous-mêmes et pas les autres qui sont responsables de sa déliquescence dans tous les domaines y compris le laisser-aller dans le domaine de l'affirmation francophone de Montréal.
Comment un anglo ou un allophone peut bien avoir envie d'adhérer à un peuple qui se refuse à venir au monde ? Un peuple francophone majoritaire qui vote pour des députés anglophones qui ne les comprennent et ne les connaissent pas, vous avez vu cela à bien des endroits dans le monde ? Essayez donc d'expliquer cela.
Facile quand on vient de Québec ou des régions de casser de la glace sur le dos de Montréal la ville du péché et de la perdition, quand on n'arrive même pas avec ses 80 - 85% de francophones à dégager une majorité suffisante pour pour faire l'indépendance. Montréal est loin d'être l'enfer et la misère que décrivent tous ceux qui se refusent à l'aimer. Saviez vous qu'au 19e siècle la proportion d'anglophones à Montréal a été plus importante que maintenant. Montréal et sa région ont fourni une grande proportion des patriotes de 1837-38.
Une partie du problème montréalais tient dans le fait que les francophones préfèrent la banlieue à la ville et n'ont pas été en mesure de transformer leur propre ville pour la rendre accueillante pour des jeunes familles de la classe moyenne. Les Québécois francophones ont par ailleurs la fâcheuse tendance à abandonner l'aménagement et le développement de leurs villes et villages aux entrepreneurs qui imposent des modes de développement étrangers à notre identité culturelle plutôt que de prendre le temps de planifier des milieux de vie conviviaux qui respecteraient l'environnement, le paysage et leur patrimoine. Il faut bien le dire, les journaux anglophones de Montréal ont toujours été plus sensible aux questions reliées à l'aménagement que les journaux francophones.
Personne non plus ne mentionne que le centre de Montréal est maintenant rempli de jeunes étudiants français (de France) qui fréquentent les bibliothèques et librairies, vont au théâtre et au cinéma en français et occupent de plus en plus d'emplois dans les petits commerces où ils nous accueillent en français. Qui prend la peine de leur sourire, de s'intéresser à eux, de leur demander comment ils s'installent ici, s'ennuient des leurs, trouvent l'hiver ?
Les gens qui travaillent dans les boutiques ne sont pas des esclaves, ils sont des humains comme nous. Je suis fier de la Main remplie d'artistes et créateurs francophones, anglophones et allophones qui représentent le dynamisme culturel de Montréal dans le monde entier. Les radios poubelles ne sont pas anglophones ou allophones. Que l'état du Québec qui subventionne les universités anglaises fasse son travail et rende obligatoire l'apprentissage du français à tous les étudiants inscrits. On aura fait un bon coup pour le développement de la francophonie dans le monde.


Laissez un commentaire



4 commentaires

  • Yann Jacques Répondre

    4 janvier 2012

    "Aucun diplôme ne devrait être émis sans l’acquisition des connaissances requises en français"
    J'ai fait une proposition au dernier congrès du Parti Québécois qui reprenait à peu près exactement le libellé ci-dessus (mais qui couvrait seulement une partie des diplomes). La proposition a été rejetée (j'aurai envie d'ajouter sans surprise). Je suis pourtant convaincu que la connaissance obligatoire du francais pour obtenir son diplôme dans une université québécoise aurait beaucoup plus d'impact sur la langue d'usage à Montréal (dans la rue et dans les entreprises) que l'application de la loi 101 au Cegep.
    Y. Jacques

  • Pierre Tremblay Répondre

    4 janvier 2012

    Bravo!
    C'est exactement ce que je fais avec les immigrants ou autres qui ne parlent pas français. Lorsqu'on me répond en anglais, je dis pardon au lieu de faire le colonisé et me mettre à parler en anglais. Je le fais avec le sourire. La plupart du temps, ces gens essaient de me parler en français. Je n'ai pas de complexe car je suis majoritaire donc le français est la langue de la majorité. Ce n'est pas moi qui a un problème mais eux.
    Si tout le monde au lieu de se mettre à parler en anglais avec une personne anglophone faisait comme moi, je crois que le problème de la langue serait résolu mais il y a un espèce de sentiment d'infériorité ou de réflexe à parler en anglais avec ceux qui le parlent.
    Je ne m'abaisse pas devant personne. Je suis fier de ma langue et de mes origines et si tous ces gens sont venus chez moi au Québec, c'est parce qu'ils reconnaissent que les canadiens français ont bâti une société moderne, paisible et où il fait bon vivre. Donc ils n'ont qu'à faire un effort d'intégration. Ce n'est pas à moi à le faire. Je les accueille et je leur fais une place. C'est amplement suffisant.

  • Jean-Pierre Bélisle Répondre

    3 janvier 2012

    « Comment un anglo ou un allophone peut bien avoir envie d’adhérer à un peuple qui se refuse à venir au monde ? » - Là est la question.
    Quinze années de travail en milieu institutionnel anglophone à Montréal m’ont appris que le degré de respect du français et des lois afférentes est en relation directe avec le niveau de crainte suscitée dans leur imaginaire par l’éventualité de l’indépendance du Québec.
    À partir du moment où le Parti Québécois a lui-même cessé de véhiculer l’idée de l’indépendance nationale, l’épouvantail ayant disparu, ce fut le retour au ‘business as usual’, aidé en cela par le laxisme de l’O.L.F. et l’apport systémique anglicisant des grandes régies d’État.
    Notre avant-garde ne s’est pas repliée : elle s’est aplatie.
    Il ne reste donc que nos organisations indépendantistes d’arrière-garde, constituées de citoyens « expérimentés et disposant d'une forte cohésion et d'un bon moral » comme dit la définition militaire du terme.
    Le serpent a perdu sa tête. Comment voulez-vous que sa queue marche droit?
    Si, en plus, nous devons nous en tenir qu'à des "Bonjour" à voix haute, c'est que notre cas est collectivement désespéré. L'ultime civilité du désespoir.
    Amicalement,
    JPB

  • Archives de Vigile Répondre

    3 janvier 2012

    Bravo, Gérald, ceci est un billet fort balancé. C’est vrai, ces jeunes Français venus étudier l’anglais à McGill (McGill qui, avec Molson, développa ce côté ouest prospère de Montréal) n’ont aucun mal à occuper des postes de service en tourisme, l’entre-gens, ils l’ont tout naturellement, plus que plusieurs de nos diplômés… m’enfin…
    Et le téléjournal commence à témoigner de jeunes familles écoeurées de traverser le fleuve à leurs risques qui quittent Beloeil pour s’installer sur l’île!
    De plus, l’éditorialiste en environnement à LaPresse, François Cardinal, nous livrait en fin d’année un texte plein d’optimisme sur le comité de Lise Bissonnette qui planche sur un plan de revitalisation du Parc Olympique : ce coin sera nickel pour les Fêtes de 2017, le 375ième de Montréal. Ça fera peut-être taire le pisse-vinaigre qui refusent de reconnaître dans ce stade une marque de la ville aussi reconnue de par le monde que la tour Eiffel pour Paris.
    http://www.cyberpresse.ca/actualites/regional/montreal/201112/29/01-4481578-condamnes-a-maintenir-le-parc-olympique