« Dans un système de commerce parfaitement libre, chaque pays consacre naturellement son capital et son travail aux emplois qui sont les plus bénéfiques pour chacun... En augmentant la masse générale des productions, il diffuse le bénéfice général et lie ensemble... la société universelle des nations à travers le monde civilisé. » David Ricardo (1772-1823), économiste politique britannique, (dans son traité, 'On the Principles of Political Economy and Taxation', 1817)
« Les guerres commerciales sont bonnes et faciles à gagner. » Donald Trump (1946- ), 45e président américain (2017-2021), (commentaire sur Twitter (X), le 2 mars, 2024)
« [Donald] Trump ne comprend pas les éléments de l'économie. Il pense que les tarifs qu'il propose vont être payés par la Chine. N'importe quel étudiant de première année en économie pourrait vous dire que c'est le peuple américain qui paie ses tarifs. » Joe Biden (1942- ), politicien américain et 46e président des États-Unis (2021- ), (déclaration de Joe Biden, alors candidat présidentiel, sur Twitter, le 11 juin, 2019)
« Lorsque chaque pays mit l'accent sur la protection de ses propres intérêts particuliers, l'intérêt public mondial s'est effondré, et avec lui les intérêts particuliers de tous. » Charles Kindleberger (1910-2003). Historien économique américain, dans son livre 'The World Depression 1929-1939', 1973
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Des politiciens au pouvoir, mais en grand manque de popularité, laissent présentement flotter de vieilles idées économiques, lesquelles se sont avérées désastreuses, dans le passé, pour leurs propres économies et pour l'économie mondiale.
En effet, la principale cause de la Grande Dépression de 1929-1939 a été la mise en oeuvre de politiques commerciales protectionnistes importantes dans les économies industrialisées, lesquelles ont transformé la crise financière et la récession économique du début des années 1930 en une dépression économique majeure. C'est ainsi, par exemple, que les membres protectionnistes du Congrès américain d'alors adoptèrent la loi Smoot-Hawley du 17 juin 1930.
Cette loi visait à hausser les droits américains à l'importation d'environ 20% pour une foule de produits importés. L'objectif initial était de venir en aide aux producteurs agricoles, mais d'autres industries demandèrent la même protection pour leurs produits, en taxant les produits importés des autres pays.
Cette mesure provoqua des mesures de rétorsion de la part des autres pays. Ces derniers adoptèrent des politiques protectionnistes similaires pour protéger leurs industries, ce qui fit chuter le commerce international de tous les pays. Par exemple, les importations et les exportations américaines vers l'Europe chutèrent des deux tiers, entre 1929 et 1932. L'ensemble du commerce mondial se contracta, précipitant l'ensemble de l'économie mondiale dans une spirale vers le bas.
En haussant les barrières tarifaires, les gouvernements du temps se sont ainsi trouvés à jeter de l'huile sur le feu. Ils aggravèrent la situation financière et économique initiale et, en contractant les échanges commerciaux, ils nuisirent à toute l'économie mondiale. Est-ce que l'histoire pourrait se répéter de nos jours ?
Les guerre commerciales sont susceptibles d'entraîner des pertes économiques nettes pour tous les pays impliqués
Les guerres commerciales consistent à imposer de lourdes taxes sur les importations de biens et de services en provenance d'autres pays, taxes qui sont en fin de compte payées par les consommateurs nationaux et les entreprises locales. Ces dernières ont besoin de pièces détachées et des matières premières importées à moindres coûts, afin d'être efficaces et compétitives, tant sur les marchés intérieurs que mondiaux. Il s'agit d'un processus économique rentable sur une base nette pour une économie parce qu'il en résulte une hausse des niveaux de vie. On parle alors d'une division internationale complexe du travail.
Les industries exportatrices nationales déjà efficaces souffrent également de cette augmentation artificielle des coûts de leurs importations et sont pénalisées par les représailles des autres pays à l'endroit de leurs exportations, de sorte qu'elles voient leurs productions, leur niveaux d'emplois et leurs revenus diminuer.
La question de l'emploi est importante. C'est que des tarifs douaniers élevés et autres mesures protectionnistes peuvent augmenter artificiellement l'emploi dans certains secteurs moins compétitifs, mais ce n'est pas la fin de l'histoire. On doit aussi s'attendre à voir apparaître des effets économiques contraires dans d'autres industries, notamment dans le secteur hautement productif des industries exportatrices.
Dans le cas des États-Unis, par exemple, la hausse des coûts des importations par l'application de taxes élevées à l'importation et les représailles des autres pays contre les exportations américaines de biens et de services nuisent à la production et à l'emploi dans les industries nationales les plus efficaces. Cela a pour effet de réduire leur avantage comparatif en matières de production et d'exportation de biens technologiques et d'autres services.
Par conséquent, lorsque le commerce mondial se contracte, voire puisse s'effondrer, l'effet de ces guerres commerciales risque fort d'être net négatif pour toutes les économies en cause et pour les travailleurs en général, à mesure que la productivité du travail et celle des capitaux ralentit dans l'ensemble de l'économie. Une guerre commerciale en vient finalement à nuire à touts les économies impliquées dans le conflit, sur une base économique nette.
Avantages et ajustements aux échanges internationaux
Dans la réalité de tous les jours, des pertes d'emplois sont inévitables dans certains secteurs économiques et dans certaines régions, dues soit à la concurrence des importations, soit à l'évolution technologique.
Il est important alors que les gouvernements aident activement les travailleurs et les économies régionales touchées à partager les bénéfices globaux découlant du commerce international et des progrès technologiques, et cela préférablement à l'intérieur d'une stratégie industrielle nationale globale.
On parle ici de programmes publics spéciaux, tels qu'une augmentation ciblée des allocations d'assurance-chômage, des programmes de formation spéciaux pour les travailleurs déplacés et des subventions publiques spéciales à l'investissement et à l'emploi au niveau régional.
La place particulière du dollar américain dans le système monétaire international
Une préoccupation majeure aujourd'hui vient du fait que, tout comme dans les années 1930, le dollar américain avait remplacé la livre sterling comme principale monnaie internationale, le rôle du dollar américain dans les transactions internationales est remis en question.
La domination internationale du dollar étasunien fut consacrée lors de la conférence de Bretton Woods de juillet 1944, laquelle plaça le dollar américain, en conjonction avec l'or, comme fondement du système monétaire international d'après-guerre. En effet, dès lors, les monnaies de nombreux pays furent arrimées au dollar américain, et ce dernier était officiellement convertible en or, à raison de 35 dollars l'once.
Cependant, le rôle international du dollar fut substantiellement renforcé le 15 août 1971, lorsque le gouvernement étasunien de Richard Nixon mit fin unilatéralement à la convertibilité internationale dollar-or, faisant ainsi de la monnaie américaine un moyen de paiement entièrement fiduciaire.
Depuis quelques années, pour diverses raisons, un certain nombre de pays importants, les pays du BRICS, remettent en question le rôle central du dollar américain en tant que moyen de paiement pour un grand nombre de transactions internationales. Si un tel processus de dédollarisation devait prendre de l'ampleur, d'importantes tensions géopolitiques, financières et économiques entre les pays pourraient en résulter.
Les États-Unis jouissent d'importants avantages économiques et financiers lorsque d'autres pays détiennent des dollars dans les réserves de leurs banques centrales ou l'utilisent comme principale monnaie d'échange dans leurs transactions commerciales ou financières internationales. Tout cela se traduit par des prêts à taux d'intérêt nul ou faible consentis à l'économie américaine par les autres pays, générant de ce fait d'importants gains de seigneuriage pour les USA.
Ainsi, en raison d'un afflux institutionnel de capitaux étrangers vers l'économie américaine, primo, cela aide la banque centrale américaine, la Fed, à soutenir le dollar américain sur le marché des changes. secundo, cela aide au financement des déficits fiscaux du gouvernement étasunien et des déficits commerciaux américains. Et, tertio, cela accroît la liquidité et la profitabilité des marchés monétaires et financiers américains. Certains considèrent de tels avantages comme un immense privilège consenti aux États-Unis par les pays qui utilisent le dollar américain.
Un gouvernement Biden de plus en plus protectionniste
Signe des temps, lorsque Joe Biden était candidat présidentiel en 2020, il critiquait vivement les barrières commerciales imposées par le gouvernement Trump à l'endroit de la Chine. Néanmoins, une fois élu, il a maintenu en force les tarifs douaniers précédemment imposés par Trump.
Et le vendredi 14 mai de cette année, le président Biden est allé plus loin. En pleine campagne présidentielle et devant préparer un débat télévisé sur la chaîne CNN avec son principal adversaire, Donald Trump, ce jeudi 27 juin, il a annoncé l'imposition d'une série de nouveaux tarifs sur plusieurs importations américaines en provenance de la Chine.
Ces nouveaux tarifs douaniers américains vont de 100 pour cent sur les importations de véhicules électriques (VE) à 25 pour cent pour les importations de pièces de véhicules électriques. Des droits de douane de 50 pour cent seront également imposés sur l'importation de modules ou de cellules solaires fabriqués en Chine, ainsi que sur les importations de semi-conducteurs. Des droits de douane de 25 pour cent seront également prélevés sur les importations d'acier et d'aluminium en provenance du pays asiatique.
De telles taxes additionnelles à l'importation vont gonfler les prix américains des produits et pièces ciblés, ce qui est de nature à nourrir l'inflation intérieure. Elles risquent de non seulement hausser les coûts à l'achat pour les consommateurs américains, mais elles vont aussi frapper les industries américaines qui utilisent des pièces et des matériaux importés dans leur propre production.
En bout de ligne, le protectionnisme de Joe Biden peut stimuler l'emploi dans certains secteurs faibles de l'économie, situés dans certains états électoralement importants pour sa réélection, mais ce faisant, il court le risque de nuire à l'emploi dans plusieurs autres secteurs parmi les plus productifs, dans d'autres états américains.
Des droits de douane aussi élevés que 100% risquent à coup sûr d'intensifier la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, dans la mesure où les représailles chinoises viseront des exportations américaines vers ce dernier pays. On peut se demander si ces nouvelles taxes à l'importation de la part du gouvernement Biden ne relèvent pas avantage d'un calcul politique partisan que d'une politique industrielle bien articulée.
Il reste à voir comment cette orientation américaine accrue vers le protectionnisme respecte ou non les règles commerciales de l'Organisation mondiale du commerce avec ses 166 pays-membres.
Une administration Trump probablement encore plus protectionniste
Si l'ancien président Donald Trump est élu le 5 novembre prochain, on peut s'attendre à ce que son gouvernement poursuive une politique commerciale extérieure très protectionniste.
En effet, le 13 juin de cette année, le candidat Trump a même déclaré aux membres républicains du Congrès qu'il jonglait avec l'idée de remplacer l'impôt fédéral sur le revenu ($2 176 milliards pour l'exercice 2023) par de lourds tariffs douaniers (importations américaines en 2023 : $3 112 milliards). Une telle politique réduirait considérablement les importations américaines en plus de nécessiter des taxes à l'importation très élevées.
Lors de son premier mandat à la Maison-Blanche (2017-2021), le président républicain Donald Trump a imposé des droits de douane élevés sur des produits valant des milliards de dollars en provenance de pays voisins comme le Canada et le Mexique, mais également en provenance de l'Union européenne (UE) et de la Chine. Tous ont riposté en imposant leurs propres droits de douane sur les importations de biens et services américains.
De même, au cours de son premier mandat, le gouvernement Trump a considérablement modifié l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), lequel est entré en vigueur le 1er janvier 1994, entre les États-Unis, le Mexique et le Canada.
Ce traité commercial historique a été remplacé, à l'insistance de Donald Trump et de ses conseillers protectionnistes, par l'Accord États-Unis-Mexique-Canada (AEUMC), tel que révisé dans sa version ratifiée de 2020, le tout largement à l'avantage des États-Unis. De plus, il est important de souligner que ce traité USMCA de 2020 peut faire l'objet de renégociations tous les six ans, et qu'il pourrait expirer après seulement 16 ans, s'il n'est pas renouvelé (en fonction de la clause dite d'extinction de 16 ans).
Conclusion
Si les barrières unilatérales au commerce international devaient continuer à s'accroître au cours des années à venir, cela pourrait miner l'influence de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), la seule organisation fondée pour réglementer et faciliter les échanges internationaux.
Il est possible que l'OMC, en tant qu'organisation inter-étatique, suive les traces de l'ONU et devienne moins à même de prévenir les guerres commerciales. Cela pourrait avoir des conséquences économiques et politiques désastreuses pour les niveaux de vie dans plusieurs régions du monde. Poussé à l'extrême, un protectionnisme à outrance pourrait précipiter l'économie mondiale dans une dépression économique.
En effet, les guerres destructrices répétées, qu'elles soient de nature militaire ou commerciale, font en sorte de rendre l'économie mondiale moins stable et moins pacifique et, en fin de compte, moins prospère pour la grande majorité des populations.
Prof. Rodrigue Tremblay, Professeur émérite de sciences économiques, Université de Montréal
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