Notre fête nationale

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Chronique de Gilles Verrier



Ne pouvoir vivre comme nous sommes, convenablement, dans notre langue, à notre façon, ça nous ferait le même effet que de nous faire arracher un membre, pour ne pas dire le coeur. A moins que nous n’y consentions peu à peu, dans un déclin comme celui d’un homme que l’anémie pernicieuse amène à se détacher de la vie. De cela, encore une fois, seuls les déracinés par­viennent à ne pas se rendre compte. - René Lévesque







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On peut lire sur le site web de la Fête nationale du Québec que



« En 1977, le gouvernement dirigé par René Lévesque proclame le 24 juin, jour de la Fête nationale du Québec. Cette journée sera désormais […] la fête de toutes les personnes habitant le Québec. »1



Avec l’élection un an plus tôt du Parti québécois, suivie de son renoncement immédiat à toute initiative constitutionnelle structurée, la Province de Québec était pratiquement assurée de demeurer inchangée sur le plan statutaire. Comme les grandes promesses du Parti québécois avaient peu de chance de se réaliser, il fallait trouver une façon vraisemblable de ne pas faire mourir l’idéal. C’est là qu’interviennent ce que l’on peut appeler les initiatives symboliques compensatoires.


Si elles ont eu un impact psychologique indéniable, ces initiatives avaient aussi l’avantage de pouvoir se réaliser sans heurt au sein du statu quo fédéral. Faute de mieux, pour faire du Québec un pays, on pouvait commencer par abuser un peu du vocabulaire en pensant prendre de l’avance sur l’avenir. Il fallait voir les mots « État du Québec » et « national » un peu partout. Comme les mots national et Québec sont présents dans la nouvelle appellation officielle de la Saint-Jean, le changement s’insérait pleinement dans les mesures cosmétiques que pouvait se permettre le PQ. On peut croire que la Saint-Jean-Baptiste, qui était aussi bien identifiée aux Canadiens-Français que la Saint-Patrick peut l’être aux Irlandais, est tombée sous le coup des acomptes à verser en vue d’une indépendance « responsable et inclusive ».


En échange d’un financement stable et de l’institutionnalisation, on faisait passer aux oubliettes les années fastes des célébrations catholiques et canadiennes-françaises. La fête ne s’inscrivait plus explicitement dans la continuité d’une épopée, avec des chars allégoriques remémorant, par exemple, Dollard des Ormeaux jusqu’aux zouaves pontificaux. Sans surprise, le financement de l’État, même indirect, entraînait avec lui une obligation de conformité aux politiques publiques que l’on voulait mousser, qui étaient à peu de choses près celles du Canada.


Progressivement, les Canadiens-Français, peuple sans statut, se sont à toutes fins pratiques fait évincer des célébrations, voilà le résultat ! Ceux qui ont enclenché ce processus de modernisation ne se doutaient peut-être pas des conséquences ultimes quand ils plantaient leur nouveau décor, mais le résultat est là.


Par une brutale accélération du processus, en 2020, plus aucun drapeau du Québec n’était  déployé pour le spectacle diffusé par la télévision d’État. De même, en 2021, on y arrive, l’État du Québec financera l’encouragement à la dénationalisation. Ce sont les Autochtones, les minorités visibles, sexuelles, racisés, opprimées parce que femmes ou immigrants qui serviront de prétexte pour jeter dans l’ombre les Canadiens-Français sans statut. Une célébration des Canadiens-Français, même mesurée, même discrète, serait critiquée, voire prohibée. À la place, la fête « nationale » met de l’avant les codes culturels du mondialisme idéologique.


On ne l’anticipait pas de cette façon, mais en 1977, on jetait les bases d’une fête civique dans une société qui n’en a pas tout à fait fini avec le colonialisme. La fête du Québec se compare aujourd’hui avec les jours fériés de l’Ontario Day ou la fête du Manitoba, même si ce n’est qu’au Québec qu’on l’appelle nationale. Dans plusieurs pays la fête nationale coïncide avec la date de l’indépendance ou d’un événement d’importance ; ici, elle s’est dressée comme un remplacement, un substitut à la fête spécifique des Canadiens-Français, en attendant que l’indépendance fasse de tous les Québécois un peuple civique. Compte tenu de l’usurpation initiale de sa fête, on peut douter que la majorité historique puisse trouver un statut bien à elle au sein d’un Québec qui deviendrait indépendant.


Malgré tout, si les canaux officiels l’appellent la Fête nationale, le 24 juin continue d’avoir une importance particulière pour les Canadiens-Français et, avec ceux qui se joignent à eux, ils continuent d’appeler communément cette fête la Saint-Jean. À leur fête, les Acadiens célèbrent les Acadiens. Les Autochtones célèbrent les Autochtones, les Irlandais célèbrent la Saint-Patrick. Il n’y a bien que le site officiel de la Fête nationale pour nous expliquer que la Saint-Jean-Baptiste devait changer de nom parce qu’elle excluait les non-catholiques.


Lorsqu’il publia Option Québec en 1968, René Lévesque, comme les autres nationalistes de sa génération, concevait le projet indépendantiste comme le vecteur de l’émancipation nationale des Canadiens-Français par la construction d’un État souverain, l’État français que le chanoine Groulx appelait de ses vœux. Pas question de nationalisme civique à l’époque, l’indépendance du Québec était un projet national canadiens-français, sans ambiguïté. Nous reproduisons ici le premier chapitre d’Option Québec pour en faire l’éclatante démonstration (les soulignements sont les nôtres) :


“NOUS AUTRES”


Nous sommes des Québécois.


Ce que cela veut dire d’abord et avant tout, et au besoin exclusivement, c’est que nous sommes attachés à ce seul coin du monde où nous puissions être plei­nement nous-mêmes, ce Québec qui, nous le sentons bien, est le seul endroit où il nous soit possible d’être vraiment chez nous.


Être nous-mêmes, c’est essentiellement de mainte­nir et de développer une personnalité qui dure depuis trois siècles et demi.


Au cœur de cette personnalité se trouve le fait que nous parlons français. Tout le reste est accroché à cet élément essentiel, en découle ou nous y ramène infailliblement.


Dans notre histoire, l’Amérique a d’abord un visage français, celui que fugitivement mais glorieuse­ment lui ont donné Champlain, Joliet, La Salle, La Vérendrye… Les premières leçons de progrès et de persévérance nous y sont fournies par de Maisonneuve, Jeanne Mance, Jean Talon ; celles d’audace ou d’hé­roïsme par Lambert Closse, Brébeuf, Frontenac, d’Iberville…


Puis vint la conquête. Nous fûmes des vaincus qui s’acharnaient à survivre petitement sur un continent devenu anglo-saxon.


Tant bien que mal, à travers bien des péripéties et divers régimes, en dépit de difficultés sans nombre (l’inconscience et l’ignorance même nous servant trop souvent de boucliers), nous y sommes parvenus.


Ici encore, quand nous évoquons les grandes étapes, nous y retrouvons pêle-mêle Etienne Parent avec Lafontaine et les Patriotes de ’37 ; Louis Riel avec Honoré Mercier, Bourassa, Philippe Hamel ; Garneau avec Edouard Montpetit et Asselin et Lionel Groulx… Pour tous, le moteur principal de l’action a été la volonté de continuer, et l’espoir tenace de pouvoir démontrer que ça en valait la peine.


Jusqu’à récemment, nous avions pu assurer cette survivance laborieuse grâce à un certain isolement. Nous étions passablement à l’abri dans une société rurale, où régnait une grande mesure d’unanimité et dont la pauvreté limitait aussi bien les changements que les aspirations.


Nous sommes fils de cette société dont le cultiva­teur, notre père ou notre grand-père, était encore le citoyen central. Nous sommes aussi les héritiers de cette fantastique aventure que fut une Amérique d’abord presque entièrement française et, plus encore, de l’obs­tination collective qui a permis d’en conserver vivante cette partie qu’on appelle le Québec.


Tout cela se trouve au fond de cette personnalité qui est la nôtre. Quiconque ne le ressent pas au moins à l’occasion n’est pas ou n’est plus l’un d’entre nous.


Mais nous, nous savons et nous sentons que c’est bien là ce qui nous fait ce que nous sommes. C’est ce qui nous permet de nous reconnaître instantanément où que nous soyons. C’est notre longueur d’ondes propre, sur laquelle, en dépit de tous les brouillages, nous nous retrouvons sans peine et seuls à l’écoute.


C’est par là que nous nous distinguons des autres hommes, de ces autres Nord-Américains en particu­lier, avec qui nous avons sur tout le reste tant de choses en commun.


Cette “différence” vitale, nous ne pouvons pas l’abdiquer. Il y a fort longtemps que c’est devenu impossible.


Cela dépasse le simple niveau des certitudes intellectuelles. C’est quelque chose de physique. Ne pouvoir vivre comme nous sommes, convenablement, dans notre langue, à notre façon, ça nous ferait le même effet que de nous faire arracher un membre, pour ne pas dire le coeur.


A moins que nous n’y consentions peu à peu, dans un déclin comme celui d’un homme que l’anémie pernicieuse amène à se détacher de la vie.


De cela, encore une fois, seuls les déracinés par­viennent à ne pas se rendre compte.


Ironiquement, Lévesque a posé lui-même le premier jalon d’un lent processus qui a mené, malheureusement pas seulement dans l’arène symbolique d’une fête nationale, à une déculturation à un tel point achevée que le défilé traditionnel rétabli en 1990 est maintenant devenu un quelconque carnaval inspiré de ce qui se fait ailleurs dans le monde, question d’être dans le ton de l’air du temps. Même le fleurdelisé s’y fait maintenant discret.


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  1. La Fête nationale du Québec, des origines à nos jours – La Fête nationale du Québec (fetenationale.quebec)

     




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Gilles Verrier140 articles

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Entrepreneur à la retraite, intellectuel à force de curiosité et autodidacte. Je tiens de mon père un intérêt précoce pour les affaires publiques. Partenaire de Vigile avec Bernard Frappier pour initier à contre-courant la relance d'un souverainisme ambitieux, peu après le référendum de 1995. On peut communiquer avec moi et commenter mon blogue : http://gilles-verrier.blogspot.ca