L'avortement, ici et ailleurs

Droite chrétienne et gouvernement conservateur



Cet État, bien sûr, c'est le Canada, où l'on peut aujourd'hui interrompre une grossesse à peu près partout à l'intérieur de délais raisonnables. Mais c'est aussi le Canada de Stephen Harper, qui vient de faire une fleur à son électorat d'extrême-droite, en refusant d'inclure le recours à l'avortement dans son nouveau plan sur la santé des mères et des enfants, et ce, même dans les pays où l'avortement n'est pas illégal. C'est tout juste si le Canada acceptera de financer la contraception. Ce plan, on le sait, s'inscrit dans un projet qui sera proposé à la prochaine rencontre des pays du G8.
Le gouvernement prétend que ce projet vise à réduire la mortalité des femmes et des enfants, et pas à «tuer les enfants», l'ultra-conservateur faisant une équation entre «foetus» et «enfant». Autre raisonnement tordu: le plan vise la santé des mères, pas celle des femmes qui refusent la maternité.
Quels sophismes! Primo: la plupart des femmes qui s'avortent elles-mêmes sont déjà mères. Ces femmes de l'Afrique sub-saharienne ou du sous-continent asiatique ont trop d'enfants qu'elles n'ont pas les moyens de nourrir. Ou alors, elles ont été violées, dans l'une de ces innombrables guerres qui secouent le tiers-monde. Ou alors, elles ont été mariées de force. La tragique litanie pourrait s'allonger ad nauseam...
Secundo: les avortements artisanaux constituent l'un des plus grands risques de mortalité pour les femmes des pays pauvres. Selon l'Organisation mondiale de la santé, 13% des morts maternelles sont dues à des avortements bricolés avec des méthodes dangereuses.
Le débat autour de ce projet du G8 a souvent pris une tournure surréaliste. Ainsi, la sous-secrétaire d'État américaine Hillary Clinton a fait vertement la leçon au Canada, en déclarant lors d'une récente visite à Ottawa que l'accès à la contraception et à l'avortement est une condition inhérente à l'amélioration de la santé des femmes.
Elle a raison, bien sûr. Mais le paradoxe, c'est que contrairement au Canada, où l'avortement est décriminalisé depuis un quart de siècle, les États-Unis ont dressé d'innombrables barrières à l'accès à l'avortement. Si la Cour suprême l'a autorisé en 1973, une trentaine d'États limitent l'accès à l'avortement des bénéficiaires du Medicaid (le programme pour les indigents) aux cas de viol, d'inceste ou de danger imminent pour la survie de la mère, et une vingtaine d'États interdisent aux compagnies d'assurances privées d'inclure l'avortement dans leurs prestations.
Qui plus est, le président Obama vient de consentir aux «Pro-Life» une concession de taille, en s'engageant à ce que son futur programme d'assurance santé interdise l'octroi de fonds fédéraux pour l'avortement. Cette concession s'imposait par réalisme politique (sans cela, la réforme de l'assurance maladie n'aurait pas rallié une majorité au Congrès), mais disons que sur cette question, Mme Clinton devrait plutôt porter la bonne parole dans son propre pays plutôt qu'ici.
Comment expliquer l'obstination de M. Harper? Croit-il vraiment grappiller tant de votes sur une question qui concerne l'aide internationale (l'un des derniers soucis de la moyenne des électeurs)? Essaie-t-il de faire à l'étranger ce qu'il n'oserait jamais faire chez lui? On le sait, toute tentative de criminaliser à nouveau l'avortement se heurterait à une effroyable levée de boucliers dans l'opinion publique canadienne. Jamais un gouvernement Harper, même majoritaire, ne toucherait à pareille dynamite. Alors quoi? Fait-il triompher ses valeurs d'arrière-garde en pénalisant les femmes du tiers-monde? C'est plus facile que de s'en prendre aux Canadiennes. Et c'est particulièrement répugnant.


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