Nominations des juges : l’offensive Harper

Bref, à tout prendre, et si c’est le seul choix que nous ayons, je préfère que nos juges québécois soient choisis par des entrepreneurs libéraux en construction que par des évangélistes radicaux.

Droite chrétienne et gouvernement conservateur

Dans les précédents de la Cour suprême du Canada, il y a une cause dont l’intitulé est Harper vs Canada. C’est le Canada qui a gagné. Harper, alors président de la National Citizens Coalition, un lobby de droite, avait voulu obtenir le droit pour les organisations comme la sienne d’intervenir, y compris par des publicités, pendant les campagnes électorales.


L’actuel premier ministre a-t-il tiré de cet échec une petite rancune contre les juges de la Cour suprême ? Il n’a jamais cessé de vitupérer contre les juges nommés par les libéraux fédéraux. Au sujet de la décision de la Cour supérieure de l’Ontario autorisant les mariages gais, Stephen Harper accusait les libéraux : « Ils ne voulaient pas venir au Parlement [pour discuter de cette question], ils ne voulaient pas consulter le peuple canadien et leur dire honnêtement que c’est ce qu’il voulait. Ils ont laissé les tribunaux le faire pour eux. »
Dans The Armageddon Factor, le livre sur la droite religieuse dont je vous parlais hier, la journaliste Marci Macdonald cite une étude selon laquelle 60 % des juges nommés par le gouvernement libéral entre 2000 et 2005 avaient des liens quelconques avec le Parti libéral du Canada.
Des juges conservateurs, mais pieux
Pas étonnant que les conservateurs veuillent égaliser la mise. Que les nominations effectuées sous le gouvernement Harper aient une teinte plus bleutée que rosée ne surprend personne. L’auteure affirme que la moitié des 200 juges des Cours supérieures et d’appel du pays nommés par Harper ont des liens avec le PC.
Mais Macdonald affirme que les conservateurs vont plus loin que de choisir de bons bleus, ils choisissent aussi des théo-cons, des conservateurs dont les vues sont plus proches des télévangélistes américains que du consensus juridique canadien. Ainsi :
* Dallas K. Miller fut nommé juge de la Cour supérieure d’Alberta. Miller était le fondateur d’une association de défense de l’éducation à domicile et avait défendu plusieurs causes de la droite religieuse.
*Lawrence O’Neill, devenu juge de la Cour supérieure de Nouvelle-Écosse, avait, comme député conservateur, présenté un projet de loi visant à accorder à chaque fœtus un avocat en cas de demande d’avortement.
*David Moseley Brown est devenu juge à la Cour supérieure de l’Ontario après avoir été avocat pour s’opposer à presque toutes les causes concernant l’égalité des homosexuels.
La règle de droit ou la règle biblique ?
Macdonald fait également état de l’organisation Christian Legal Fellowship, qui compte 500 membres parmi les avocats canadiens. Leur Déclaration de Foi affirme que la Bible constitue « l’autorité suprême et finale » dans leurs vies professionnelles et personnelles. Le Fellowship recrute de jeunes étudiants chrétiens et brillants, leur offrent des bourses d’étude, puis des stages dans de bons bureaux d’avocat. La volonté de préparer une relève juridique chrétienne est manifeste.
Deux derniers détails, croustillants. Les titres de deux séminaires organisés pour les avocats de la Christian Legal Fellowship:
- « Influencer le Canada pour le Christ » et
- « Les Droits de l’Homme: Quels sont-ils et Dieu veut-il qu’on les défendent ? »
Bref, à tout prendre, et si c’est le seul choix que nous ayons, je préfère que nos juges québécois soient choisis par des entrepreneurs libéraux en construction que par des évangélistes radicaux.

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Jean-François Lisée297 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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