Il y a une vingtaine d'années les courses de chevaux, profondément implantées dans notre culture et nos régions, avec de nombreux hyppodromes et amateurs, étaient tombées en panne d'estime. La presse, comme c'était son devoir, avait mis en lumière certaines pratiques de dopage. Toute l'industrie fut condamnée sans appel et stigmatisée de façon générale et injuste. Si on avait fait la même chose pour tous les sports frappés par ce fléau, le Tour de France n'existerait plus ainsi qu'un grand nombre de disciplines olympiques. Ici nous fûmes très durs envers les hommes de chevaux.
C'est dans cette atmosphère que des passionnés de ce sport ont demandé à me rencontrer à la fin des années 90, en ma qualité de ministre des finances. Dès ce jour, cette équipe a agi bénévolement et consacré beaucoup d'énergies à la remise en route de cette activité qui la passionnait. La majorité de ses membres avait d'ailleurs des options politiques complètement opposées aux miennes. Je les ai reçus donc par devoir, et consciencieusement.
Ils me mirent au courant de la situation: les courses de chevaux étaient au bord de la faillite. En plus, le gouvernement libéral de Robert Bourassa, ayant compris l'importance de cette activité, avait endossé toutes ses dettes. Donc, si l'écroulement survenait, le gouvernement devait payer plusieurs dizaines de millions de dollars. Des milliers d'emplois en régions, occupés surtout par des travailleurs difficilement recyclables, allaient disparaître. Notre taux de chômage frôlait alors les 14%. J'aurais failli à mes responsabilités si je n'avais pas pris le dossier au sérieux. Une certaine presse se déchaîna immédiatement contre cet intérêt pourtant justifié.
Je commandai des études qui me confirmèrent l'impact économique qu'aurait l'abandon des activités hyppiques. Je fis aussi une découverte déterminante: Blue Bonnets, que je fis rebaptiser "Hyppodrome de Montréal", était situé sur un vaste terrain au centre géographique de l'ile et appartenait à la Ville. Même au prix de l'époque, sa valeur marchande était prodigieuse. Je vis là une manière de sécuriser toute l'intervention gouvernementale.
Contact fut donc pris avec le maire Pierre Bourque pour lui dire que le gouvernement ne sauverait l'industrie que si la Ville lui abandonnait ce précieux espace. Le maire connaissait la valeur de celui-ci: il en avait déjà vendu une partie le long du boulevard Décarie. Il fit lui aussi un calcul économique de l'impact des courses, et accepta cette exigence. Cela fit tellement de vagues que deux de ses conseillers remirent immédiatement leur démission.
Un autre facteur poussa le gouvernement à agir. Toutes les civilisations proches de la nôtre accordent une grande importance aux sports hyppiques. En France, le Tiercé joue un rôle majeur et tout le monde connaît Longchamp, Vincennes, Auteuil et une bonne centaine d'autres hyppodrome. En Angleterre, il y en a au moins aussi une soixantaine, dont Ascott, où se rendent aussi bien la reine que le peuple. Aux États-Unis, est-il nécessaire de parler du Derby du Kentucky, de Saratoga ou de nombreux autres hauts lieux de courses de chevaux. Nos voisins de l'Ontario ne sont pas en reste avec de nombreuses pistes eux aussi.
Avec les rentrées de fonds particulièrement abondantes dans les jeux vidéo des hyppodromes, plus toutes les autres retombées économiques, régionales en particulier, l'intervention gouvernementale était donc fondée. La dimension socio-culturelle et historique s'ajoutait à l'argumentation. Sans compter le prix du terrain, au cas où... Je n'ai pas vu dans notre presse une seule analyse comportant l'ensemble de ces facteurs. J'ai lu par ailleurs, plusieurs éreintement, des chevaux, des hommes, et du gouvernement.
Nos successeurs, à l'instar de Robert Bourassa, ont fait la même analyse que nous. Mais suivant leur mentalité désormais ultra-libérale, ils ont cédé à la tentation de la privatisation. On connaît la suite, et la faillite intégrale où nous en sommes maintenant. Tout le monde a perdu. Nous avions un héritage de qualité aussi bien dans l'élevage que dans les talents des entraîneurs, conducteurs et autres personnels.
Il semble qu'il y ait encore des choses à faire. Et l'univers des hommes de chevaux serait encore capable dit-on, de faire preuve de courage et d'esprit entrepreneurial. Si cela est le cas, comme c'est hautement souhaitable, les gouvernements comme la presse, dont le métier est difficile mais doit être exercé avec justice, doivent sans complaisance, seconder une activité qui fait partie de la culture occidentale, comme de la nôtre. En plus, nous y avons déjà prouvé nos talents.
Bernard Landry
L'opinion de Bernard Landry #60
Des chevaux et des hommes
L'opinion de Bernard Landry
Bernard Landry116 articles
Ancien premier ministre du Québec, professeur à l'UQAM et professeur associé à l'École polytechnique
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