En matière de liberté de religion, notre société, qui fut l'une des plus religieuses du monde à une certaine époque, a le devoir d'être exemplaire aujourd'hui. Fort heureusement, elle l'est. On peut ici pratiquer la religion que l'on veut, y compris n'en avoir aucune, sans subir la moindre discrimination. La seule limite c'est que la religion des uns ne doit pas être la loi des autres, ni leur nuire, ni heurter leurs valeurs communes. Il y a un débat en cours, en France comme ici et ailleurs, sur l'interdiction, dans l'espace public, du port de la burqa ou du niqab qui cachent totalement le visage et que portent quelques unes de nos compatriotes.
Ce débat est tellement simple qu'il devrait être déjà terminé. Nos pouvoirs publics devraient agir pour empêcher quiconque de se voiler la face lorsqu'il participe à notre vie commune. Les seules exceptions tolérées devant être les bals masqués, l'Halloween et le Mardi gras (pour ceux qui s'en rappellent), les chirurgiens et les gardiens de buts!!!
Notre civilisation et notre culture doivent se vivre à visage découvert. Même le costume de nos anciennes religieuses ne cachaient pas les visages. Le devoir de dévoiler sa face en public et le droit de voir celle de l'autre, ne peuvent être remis en question sous peine de graves dérives pratiques, symboliques ou de principes. Il est étonnant que Michael Ignatieff qui dirige pourtant un parti "libéral" n'ait pas compris cela spontanément. C'est vrai qu'il était pour la guerre en Irak.
Voyons d'abord l'ordre pratique. Comment le service de sécurité d'une banque peut-il gérer l'arrivée devant les caisses d'une ou plusieurs personnes à la face cachée? Il y a eu d'ailleurs un "hold up" à la burqa dans une banque de Missisauga et un "casse" de même nature à Athis-Mons en France. Dans cet optique pragmatique, cagoule, burqa: même combat.
Dans un bureau de scrutin, la question ne se pose pas non plus. Il y a eu assez de "télégraphes" dans le passé pour que l'on ne leur offre pas une nouvelle technologie. Dans une salle de cours, un professeur doit pouvoir reconnaître le visage de ses étudiants et étudiantes. Et pas seulement le jour de examens! Je ne voudrais pas avoir dans mon cours, à mon insu, une journaliste de la Gazette ou un recherchiste du Parti conservateur! Voilà donc pour quelques exemples pratiques.
L'argumentation symbolique contre le port de ces masques est tout aussi limpide. En effet, aucun droit religieux n'est même en cause. Le Conseil canadien musulman lui-même, a réclamé une loi pour interdire le voile intégral. Une université islamique du Caire l'a banni de ses espaces. La très courageuse et admirable Djemila Benhabib ("Ma vie à contre courant") est formelle quant à l'absence de rapport entre ces voiles intégraux et la religion. Il n'y a donc pas de composantes religieuses dans les décisions que nos gouvernements devraient prendre de bannir cette pratique de tout espace public: rue comme école, métro, banque ou bureau de scrutin. C'est uniquement une question d'intégration à nos civilisations.
La réaction du philosophe Charles Taylor contre l'interdiction de la burqa dans l'espace public est regrettable, mais sans surprise. Lui et Gérard Bouchard ont intitulé leur rapport qui fait flirter multi et inter culturalisme de façon éhontée: "Le temps de la conciliation". Comme si nous avions attendu leur document pour être conciliants et si l'une de nos principales fautes n'était pas de l'avoir été trop dans le passé. L'ouverture est une belle vertu mais le respectable philosophe Charles Taylor, descendant de Madeleine de Verchères, la préconise aujourd'hui avec un zèle exagéré. Il devrait réfléchir tout autant à l'une de ses possibles dérives qui s'appelle la complaisance.
Mais une des plus fortes motivations pour l'interdiction de cet usage est qu'il vise les femmes d'une façon carrément discriminatoire. Les femmes seulement sont affectées par cette coutume rétrograde et inacceptable n'importe où au monde et particulièrement dans une société comme la nôtre. Nous avons atteint un degré exemplaire, sinon parfait, en matière de droit des femmes et d'égalité.
Le Québec a même devancé la France en matière de droit des femmes: celles d'ici ont eu, en particulier, le droit de vote avant les Françaises. Le président Sarkozy a dit récemment: "En France, il n'y a pas de place pour la burqa". Reste à voir ce qu'il fera.
Mais ici, pensons au vaillant combat québécois de Thérèse Casgrain, Marie Gérin-Lajoie, Idola Saint-Jean et Germaine Biron. Rendons-leur hommage: faisons en sorte que toutes les femmes sur notre territoire national soient traitées avec dignité et respect.
Bernard Landry
L'opinion de Bernard Landry #54
À visage découvert
Burqa interdite
Bernard Landry116 articles
Ancien premier ministre du Québec, professeur à l'UQAM et professeur associé à l'École polytechnique
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