L'opinion de Bernard Landry #68

Vive Papineau et Gatineau!

L'opinion de Bernard Landry


La ville de Gatineau, sagement fusionnée en 2002, constitue une municipalité fonctionnelle sur la rive est de la rivière des Outaouais. Le 24 mai dernier, elle a posé un geste historique exemplaire. Le drapeau blanc, vert et rouge des Patriotes a été hissé pour la journée au mat de la Maison des citoyens qui est aussi l'Hôtel de ville.
Que l'une des villes les plus importantes du Québec, interface géographique avec le Canada, décide d'agir ainsi, devrait servir de modèle et créer une tradition pour toutes nos municipalités. L'endroit n'est pas sans signification pour plus d'une raison. Louis-Joseph Papineau, chef des Patriotes, a fini ses jours sur les bords de la belle rivière des Outaouais qui coule devant son manoir de Montebello. C'est de là que la famille Papineau a géré la seigneurie de la Petite Nation. Auparavant, Louis-Joseph Papineau avait rendu à notre peuple des services inestimables en menant un combat héroïque dont notre nation avait besoin pour aller vers la démocratie, la modernité et ultimement l'indépendance. Il y a aussi, tout près, une ville qui s'appelle Papineauville.
Depuis que l'on célèbre en mai de chaque année la journée nationale des Patriotes, cet épisode vital de notre histoire nationale est de mieux en mieux connu par l'ensemble de la population, même si beaucoup de chemin reste à faire. La fête sert d'ailleurs à faire connaître ce chapitre de notre histoire auprès de la jeunesse en particulier.
Être patriotes, pour tout être humain, consiste à aimer sa patrie. Quand on l'aime, on la veut meilleure. Et si elle est meilleure, c'est l'humanité entière qui le sera. C'est ce qu'ont voulu nos Patriotes de 1837, des hommes et des femmes (oui, elles ont joué un rôle important) qui, s'inspirant des valeurs les plus progressistes de l'époque, ont fait d'incroyables sacrifices pour amener notre patrie -le Bas-Canada du temps, aujourd'hui le Québec- au niveau de liberté auquel il avait le droit d'aspirer.
Ces combats pour la liberté des nations elles-mêmes, et la liberté de se gouverner pour leurs populations, ont profondément marqué le dix-neuvième siècle. Partout en occident, et dans les Amériques en particulier. Nos Patriotes ont partagé l'esprit de la Révolution française et les idées de Voltaire, de Diderot et de Rousseau, menant à la liberté, l'égalité et la fraternité.
Papineau et les siens ont été naturellement influencés également par ce qui s'est passé au sud de nos frontières. Une révolution américaine qui a été poursuivie et achevée avec, en vue, les mêmes objectifs que nos Patriotes: l'indépendance nationale et le gouvernement du peuple par le peuple. C'est en 1776 qu'est née la première vraie démocratie du monde et qui allait aussi en devenir la première puissance. Cela s'était passé un demi-siècle avant que nos Patriotes cherchent à atteindre les mêmes nobles objectifs. Ce retard indique quel était notre niveau d'asservissement et l'efficacité perverse de notre conquérant et dominateur: la Grande Bretagne. Les Américains qui l'ont vaincue étaient évidemment plus nombreux, mieux organisés et jouissant du précieux et formidable appui de la France (que Papineau n'a pas reçu, même s'il l'a demandé).
Plus au sud encore, de nombreuses nations se sont émancipées de l'Espagne, du Portugal et même de la France, puisque Haïti avait déjà son indépendance depuis 1804. Cette dernière république libre n'a cependant jamais atteint notre niveau de qualité démocratique. Il faut souhaiter que rapidement elle suive notre exemple en ce domaine, et que nous suivions le sien pour l'indépendance nationale.
Nos Patriotes nous ont donc laissé un héritage démocratique et de solidarité exemplaire. Notre histoire est celle d'une des plus vieilles démocraties du monde, et qui l'est demeurée sans interruption. Même les États-Unis ont vécu une guerre civile après, et malgré, la naissance de leur démocratie. La France a subi aussi de nombreuses ruptures démocratiques. Pour le Québec, le rêve des Patriotes s'est donc réalisé en partie seulement, mais d'une manière solide et durable.
L'autre volet de leur noble projet est toujours en attente. La nation québécoise ne siège pas encore à l'ONU avec les autres peuples libres qui sont passés de cinquante en 1950 à près de deux cents en 2010. Nous sommes toujours assis avec des "provinces", qui ne sont pas des nations et qui se contentent de siéger à l'inutile Conseil de la fédération.
Les Patriotes ont donné leurs vies. Ils ont été exécutés, emprisonnés ou exilés. "Un Canadien errant banni de ses foyers" c'est d'ailleurs l'un d'entre eux. Son "Canada" c'était en fait le Québec. La seule reconnaissance digne de Chevalier Delorimier et des siens n'est pas seulement de célébrer leurs exploits. Il faut réaliser au plus tôt leur idéal d'indépendance nationale.
Bernard Landry


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