On dit que l'histoire de l'humanité est "une longue marche vers la liberté". En dépit d'énormes disparités, il est vrai que la liberté des nations, des femmes, des hommes, des minorités, a fait des progrès fantastiques au cours des âges.
La liberté à tous égards exerce une séduction extrême et le plus souvent justifiée. Cela explique sans doute en partie pourquoi une majorité de québécois semble favorable à la liberté de choix de la langue d'enseignement. Pourtant, une telle aberration au service d'un individualisme forcené pourrait mettre en péril notre existence nationale elle-même.
Nous avons pris un tel risque à l'époque où nous étions profondément marqués de séquelles coloniales. Nous n'osions pas être "maîtres chez nous". Avec le résultat que l'immense majorité de nos compatriotes issus de l'immigration et venant de pays qui n'ont rien à voir avec l'anglais, sont devenus des anglophones. Plusieurs même de ceux dont les racines étaient québécoises, ont choisi de devenir anglophones. Des assimilés, comme on dit.
Avant 1977 le Québec était probablement la seule nation au monde où un natif, tout comme un nouvel arrivant, pouvait envoyer ses enfants dans des écoles publiques enseignant dans une autre langue que la langue nationale. Cela était inconcevable et l'est toujours aux États-Unis, en France, en Angleterre, en Italie et au Mexique, qui sont toutes des nations de plus de soixante millions d'habitants et beaucoup moins à risque, culturellement, que la nôtre. C'est ce que René Lévesque et son ministre le psychiatre Camille Laurin ont compris en faisant adopter la Loi 101. Trudeau, celui-là même qui nous méprisait et nous a fait tant de tort, a dit que c'était "une loi de fou". Il est ironique d'entendre un de ses successeurs, Stéphane Dion, la qualifier maintenant de "grande loi canadienne".
La déification de la liberté, on le sait, peut conduire à l'anarchie et à la destruction de grandes oeuvres démocratiques, voire de la liberté elle-même. Toutefois, ce penchant ne peut expliquer à lui seul les résultats étonnants et décourageants de ce sondage qui conduirait à l'abolition de l'une de nos lois les plus fondamentales.
Sur la terre entière, le pouvoir d'attraction de la langue anglaise est un des phénomènes marquants de notre époque mondialisée. Cette homogénéisation culturelle est même un des principaux dangers de cette tendance globalisatrice. Il y a autant de Chinois qui parlent anglais que d'Américains! Et en plus, ils ne vont pas dans des écoles anglaises!
L'anglais fascine non seulement à cause de l'influence culturelle planétaire des États-Unis, mais aussi à cause de raisons éminemment pratiques. C'est devenu un instrument de communication entre les peuples comme l'espéranto, cette langue idéaliste qui n'a pas décollé, rêvait de l'être. C'est plutôt cette forme d'anglais simplifiée que l'on nomme le "globish" qui s'impose un peu partout et de plus en plus. Un Québécois à Shanghai ne s'adresse pas en mandarin à la population locale et, tout comme à Miami, il le fait en anglais.
Ces phénomènes ne sont pas une raison pour nous, ni pour aucun peuple, d'abandonner la langue nationale. Cela serait pour l'humanité toute entière, un recul aux incroyables conséquences d'appauvrissement culturel, intellectuel, affectif et de dignité humaine.
Le bilinguisme individuel constitue hors de tout doute un bel enrichissement partout dans le monde et particulièrement au Québec en raison de notre nord-américanité. Comme l'espagnol est la langue la plus parlée des Amériques, par ailleurs, il est bon de savoir que plusieurs d'entre nous le parlent.
Mais sacrifier cet instrument commun privilégié de notre apprentissage de la vie, que représente notre langue maternelle, s'apparenterait à la ruine de notre dignité, de notre solidarité et de notre destin national tout entier. Alors qu'arrive-t-il pour qu'une partie de notre peuple semble prête à ce sinistre pari qui s'apparente à une roulette russe collective? Et où est l'erreur quand un autre sondage favorise à quatre-vingt-dix pour cent le respect, par le fédéral, de la Loi 101 au Québec? Ce paradoxe et cette confusion consolent un peu, par ailleurs. Les choses ne sont pas si claires...
C'est quand même un signal d'alarme. Notre avenir est en jeu, et il faut que ceux et celles qui le croient ne cessent de le dire et de l'expliquer. Je ne peux admettre que ce peuple que j'aime et admire si profondément puisse prendre un tel risque pour sa survie. Alors si vous avez opté pour le libre choix dans ce fameux sondage, je vous supplie fraternellement d'y repenser. Au nom même de la liberté.
Bernard Landry
L'opinion de Bernard Landry #66
Liberté, quand tu nous tiens!
L'opinion de Bernard Landry
Bernard Landry116 articles
Ancien premier ministre du Québec, professeur à l'UQAM et professeur associé à l'École polytechnique
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