L'opinion de Bernard Landry #65

La grande illusion

Il est donc clair qu'il faut effacer de nos consciences cette grave et dangereuse illusion de toute ouverture canadienne.

L'opinion de Bernard Landry


Quatre-vingts pour cent des Québécois pensent encore que le Canada peut être réformé pour satisfaire les aspirations du Québec. Au même moment, soixante pour cent des Canadiens refusent toute négociation constitutionnelle avec lui. Alors que soixante-treize pour cent des Québécois considèrent le Québec comme une nation, quatre-vingt-trois pour cent des Canadiens pensent le contraire en dépit de la motion symbolique de leur Parlement. Ces sondages démontrent la nécessité d'une profonde réflexion sur notre statut national non réglé. Nous avons le devoir, comme tous les peuples qui se respectent, de regarder les choses en face.
Que nous soyons optimistes, ouverts et non revanchards, témoigne de belles vertus collectives. Il faut cependant se méfier des dérives irréalistes, jovialistes, et totalement complaisantes. Presque personne au Canada ne veut faire le moindre accommodement envers le Québec. Pour les Canadiens, nous ne sommes pas une nation, mais un simple groupe ethnique comme les Ukrainiens de l'ouest ou les Chinois de Vancouver. C'est cela le multiculturalisme, et le génie malfaisant de Trudeau savait bien ce qu'il faisait quand il nous a imposé une constitution qui avait pour but premier de miner notre identité nationale. Tout comme l'odieux et de plus, criminalisé scandale des commandites procédait de cette même philosophie destructrice.
Que le Canada soit emprisonné dans ces préceptes néfastes pour nous, mais qui semblent lui convenir, ne nous surprend pas. Il a d'ailleurs ainsi presque scellé le sort des francophones hors Québec. Il n'y a plus que trois pour cent de ses citoyens qui vivent en français. Cela ne laisse pas grand monde pour écouter Radio-Canada à l'extérieur de nos frontières nationales. Il est donc clair qu'il faut effacer de nos consciences cette grave et dangereuse illusion de toute ouverture canadienne.
Le Québec n'a gagné aucun pouvoir depuis des décennies, et en plus, il en a perdu d'essentiels. Notre Assemblée nationale avait plus de pouvoir en 1976 quand j'y ai été élu pour la première fois, que quand je l'ai quittée en 2005. La Cour suprême a massacré peu à peu la Loi 101 par nombre de ses jugements. Elle nous a privés de tout pouvoir dans le domaine vital des télécommunications. C'est tragique, vu l'importance de ce secteur dans toute vie nationale à notre époque. Quelle autre nation accepterait d'être ainsi dépouillée? Toujours à cause de la même Cour, le kirpan peut être porté dans nos écoles, alors que les mêmes juges l'ont banni des Cours de justice.
Dernièrement, un jugement purement révoltant de la Cour suprême a annulé la Loi 104 que j'avais fait adopter à l'unanimité par notre Assemblée nationale. Elle était d'une telle pertinence, que cent vingt-cinq de nos élus ont voté pour. Nos députés ont cru évident que de laisser des immigrants acheter le droit perpétuel d'envoyer leur descendance à l'école anglaise était une infâmie. Neuf personnes, en majorité non québécoises et toutes désignées par Ottawa, ont annulé la décision démocratique de nos cent vingt-cinq élus! Comment peut-on justifier l'adhésion à un tel système et continuer d'avoir le moindre espoir à son endroit?
Les conséquences à terme de ce multiculturalisme et bilinguisme imposés sont très angoissantes. Car les sondages indiquent aussi que si soixante pour cent des citoyens du Québec se considèrent comme Québécois, seuls moins de vingt pour cent de nos compatriotes issus de l'immigration en pensent autant. Ils se voient "Canadiens" quand ce n'est pas "Canadians".
Évidemment, ils votent en conséquence, aux élections comme aux référendums. Nous avons le devoir de les accueillir fraternellement pour des motivations à la fois humanistes et économiques, mais notre devoir est aussi de les intégrer à notre nation. Ils seront les premières victimes de la situation contraire. Nous en recevons maintenant cinquante cinq mille par ans. Dans vingt ans, combien de nos compatriotes ne se considéreront toujours pas comme québécois?
Nul ne peut les blâmer. Ils se conforment à la constitution canadienne et respectent le serment de citoyenneté qu'ils ont prêté et qui implique spécifiquement l'allégeance à la reine Elizabeth II. C'est donc une responsabilité citoyenne fondamentale d'amplifier et d'approfondir leurs réflexions, en particulier pour ceux d'entre nous qui ont voté "non" en 1995, dont quarante pour cent de francophones. Cela dépasse les considérations partisanes. Souvenons-nous de la vision exprimée à l'époque par le député Christos Sirros: "C'est leur dernière chance d'être indépendants; après l'immigration les en empêchera." Restons ouverts, mais soyons conscients. Notre destin et celui de nos enfants et petits-enfants en dépend.
Bernard Landry


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