La plupart des juifs québécois sont naturellement portés à soutenir Israël et son gouvernement, souvent de manière inconditionnelle. Plusieurs Québécois, sans attaches particulières en Terre Sainte, ont aussi une grande sympathie envers Israël et la Palestine. Je fais partie de ceux-là. J'ai admiré les kibbouzzims et la gouvernance progressiste de Golda Meir. J'ai lu avec passion "Oh Jérusalem" (de Lapierre et Cohen) et j'ai été bouleversé par la guerre du Liban et les tragédies de Gaza, dont Ban Ki-Moon condamne fermement le blocage. Il veut évidemment la vérité complète sur le dernier épisode odieux.
J'ai salué avec enthousiasme la poignée de mains entre Yitzhak Rabin et Yasser Arafat. J'ai pleuré l'assassinat du premier et compati aux vexations odieuses dont fut l'objet le deuxième. J'ai fraternisé avec Shimon Perez et signé avec lui de fructueux accords entre le Québec et Israël. Je suis allé souvent en Terre Sainte, mais n'ai jamais visité Israël sans aller aussi en Palestine.
J'ai toujours essayé de garder la neutralité la plus lucide possible. En pensant au Moyen-Orient, mais aussi au Québec qui est la patrie ancienne ou nouvelle d'hommes et de femmes profondément affectés par les malheurs qui affectent cette région depuis trop longtemps. Ces dernières années, comme tant d'autres, je suis beaucoup plus critique envers les actuels dirigeants israéliens qui inspirent peu de sympathie et dont les politiques et les comportements, souvent excessifs, n'ont rien pour les faire aimer. Il y a une différence à faire entre Israël et ses gouvernants.
Aux États-Unis, un nombre croissant de juifs Américains progressistes, et qui votent démocrate comme la plupart de leurs congénères, ont commencé à relativiser sérieusement leur position par rapport au gouvernement d'Israël. Le mouvement croit en ampleur et en respectabilité. On le nomme "J Street". Une organisation européenne similaire, se nomme "J Call".
En France, suivant la même mouvance, de nombreux intellectuels juifs viennent de publier un touchant "Appel à la raison" (www.nouvelobs.com) qui va dans le même sens. De Daniel Cohn-Bendit à Bernard-Henri Lévy et Alain Finkielkraut, ces poids lourds de l'intelligentia hexagonale, présentent un cadre de pensée progressiste et édifiant pour comprendre et régler la question israélo-palestinienne. Ils y insistent sur la thèse presque universellement acceptée, comme le font leurs pendants américains, de "deux peuples, deux états". Et cela urge, disent-ils, car les Juifs seront bientôt minoritaires sur le territoire-même d'Israël. Cela amènerait des gouvernants déjà peu progressistes, à établir un régime raciste qui déshonorerait Israël et ses sympathisants et choquerait le monde entier. Pour parer à une telle éventualité, l'Union européenne et les États-Unis doivent faire une analyse lucide et objective et agir rapidement et avec détermination.
Il est évident que l'objectivité requiert de la diaspora juive, ici comme ailleurs, des efforts surhumains et des douleurs dans lesquelles nous devrons les accompagner et les entourer de notre fraternité et de notre sympathie. Comme le disent les intellectuels français, "s'aligner systématiquement sur la politique du gouvernement israélien, va à l'encontre des intérêts d'Israël". Cet appel exemplaire doit être entendu partout dans le monde, et appuyé. Il est souhaitable et probable qu'il le sera, sauf par les fanatiques.
Comme ami de longue date de la communauté juive du Québec, et qui entretient aussi de solides amitiés avec les Québécois d'origine palestinienne, je voudrais inviter mes amis des deux côtés, qui en immense majorité souhaitent la paix, à faire du Québec une terre exemplaire à cet égard.
Notre propre question nationale n'étant pas réglée, il ne serait pas anormal que, de notre patrie, émanent une réflexion, des idées et des sentiments qui pourraient aider à résoudre celle de deux autres nations. Car, dans un contexte aux différences abyssales, elles ont aussi à résoudre les leurs.
Par ailleurs, je le sais et le dis en tout respect -compter n'est pas blâmer- que nos amis juifs et arabes du Québec ont certaines difficultés à comprendre et soutenir notre marche vers l'indépendance. Avec des exceptions spectaculaires et émouvantes dans les deux groupe. Peut-être qu'une réflexion profonde et calme sur le Moyen-Orient et le Québec pourrait les amener à souhaiter voir côte à côte, aux Nations-Unies, le plus tôt possible le Québec, Israël et la Palestine.
Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est sacré et universel. Toutes les nations qui sont capables d'être indépendantes, ce qui est évidemment le cas du Québec, ont le devoir de l'être. Que le Dieu des monothéistes, pour ceux qui y croient, le veuille pour tous ces peuples et le plus rapidement possible.
Bernard Landry
L'opinion de Bernard Landry #70
Shalom!
L'opinion de Bernard Landry
Bernard Landry116 articles
Ancien premier ministre du Québec, professeur à l'UQAM et professeur associé à l'École polytechnique
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