On croyait avoir tout entendu pour justifier la prorogation du Parlement, mais non. Il paraît maintenant que cette dernière aurait l'avantage de plaire aux «marchés» en plus de permettre au gouvernement de bien faire son travail. En d'autres mots, et à en croire le premier ministre Stephen Harper, il est plus aisé de gouverner sans cette épine au pied qu'est le Parlement.
M. Harper a offert cette dernière trouvaille dans le cadre d'une entrevue qu'il accordait lundi au Business News Network (BNN). À la journaliste qui lui demandait si la prorogation ne risquait pas d'entacher la réputation de stabilité du Canada, M. Harper a répondu sans hésiter que le risque était nul puisque «c'est au retour du Parlement que les petits jeux commencent». La prorogation, en revanche, permet au gouvernement «de prendre le temps requis pour l'important travail de préparation de son programme économique à venir».
«Nous sommes minoritaires, a-t-il poursuivi, et dès que le Parlement reviendra, la première chose qui se produira sera un vote de confiance, et il y aura des votes de confiance et des conjectures électorales chaque semaine pour le reste de l'année. C'est le genre d'instabilité, je pense, qui préoccupe actuellement les marchés. Mais vous savez, le gouvernement est bien préparé et les Canadiens veulent que nous nous concentrions sur l'économie. C'est donc ce que nous ferons.»
M. Harper ne dit évidemment pas que les travaux de la Chambre démarreront avec un vote de confiance à cause de cette même prorogation qui le force à présenter un discours du Trône. Si les travaux avaient repris comme prévu le 25 janvier, il n'y aurait pas eu de vote de confiance avant le dépôt du budget, lequel aurait toujours pu être le 4 mars, comme on l'envisage maintenant.
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Depuis l'annonce de la prorogation, toutes les explications du premier ministre tournent autour du même axe: la nécessité de rajuster son programme économique. Mais ce n'est qu'un paravent puisque le prochain budget s'inscrira dans la continuité du précédent, au dire même du ministre des Finances, Jim Flaherty. De passage à Winnipeg lundi, ce dernier a déclaré en français: «Nous devons garder le cap et continuer d'aller de l'avant jusqu'à ce que la croissance soit stabilisée. Alors, c'est pourquoi le budget de 2010 ne sera pas un budget comme les autres. Il va porter essentiellement [sur] la continuation de la mise en oeuvre du plan d'action économique du Canada. Il s'agit de la deuxième année de notre plan de deux ans.»
En présentant la démocratie comme une distraction agaçante pour un gouvernement désireux de se mettre au travail, le premier ministre offre indirectement son explication la plus honnête. Faire face au Parlement l'indispose, et il a décidé de l'éviter aussi longtemps que possible.
Tous les gouvernements démocratiques du monde doivent à un moment donné gérer une crise tout en concoctant un budget et en faisant face à leur assemblée législative. Stephen Harper y est parvenu par le passé et rien ne l'empêche de le faire encore. Après tout, si ses ministres et lui peuvent plancher sur leurs dossiers tout en sillonnant le pays pour faire des annonces, comme c'était le cas pour sept d'entre eux hier, ils sont sûrement capables de conjuguer responsabilités ministérielles et travail parlementaire.
Ce qui manque, c'est la volonté. Et le désir de prendre au sérieux l'exercice démocratique et la reddition de comptes.
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En passant, si le premier ministre pensait pouvoir profiter de cette prorogation pour orienter le débat autour du prochain budget, il s'est trompé. Sa bête noire, le directeur parlementaire du budget Kevin Page, rendra public aujourd'hui un rapport sur l'émergence d'un déficit structurel à Ottawa. Or, MM. Harper et Flaherty nient qu'un tel déficit existe et affirment qu'il suffira, pour l'éviter, d'avoir une bonne discipline budgétaire. Une illusion que M. Page conteste. Et s'il présente son rapport maintenant, c'est pour que les députés aient, en temps opportun, l'information nécessaire pour analyser le budget. M. Page croit, lui, en l'utilité d'un débat éclairé
Parenthèse
À cause de cette prorogation, les nouvelles mesures de sécurité dans les aéroports — y compris la fouille à nu virtuelle des voyageurs — seront mises en place sans l'ombre d'un débat. Ce n'est pas parce qu'une machine déshabille les passagers que la mise à nu est plus acceptable. Le gouvernement Harper a annoncé cette solution après l'attentat manqué de Noël, mais il avait commandé ces machines des mois auparavant. Qu'attendait-il pour les mettre en place? Un bon prétexte pour faire avaler la pilule de cette invasion supplémentaire de notre vie privée? Le pire est que ces scanneurs ne remédient en rien à l'incompétence des services de renseignement et de sécurité américains, qui avaient l'information nécessaire pour prévenir cette tentative d'attentat. Ce sont eux qui ont manqué de vigilance. À l'échelle canadienne, les 11 millions dépensés pour acheter les scanneurs corporels ne feront rien pour corriger la plus grande lacune en matière de sécurité aéroportuaire au pays, à savoir la présence dans les zones sécurisées des aéroports de milliers d'employés n'ayant toujours pas subi l'examen de sécurité d'usage. Selon SunMedia, il y en aurait encore plus de 4000.
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