Point chaud

L'échec du souverainisme

La déclaration de Justin Trudeau est une preuve de la dilution de l'option indépendantiste, estime Mathieu Bock-Côté

Bock-Côté - Fin de cycle /Aux origines du malaise politique québécois



À RETENIR
Mathieu Bock-Côté en cinq dates
1980: naissance à Lorraine
_ 2002: bachelier en philosophie à l'Université de Montréal
_ 2003-2004: rédacteur bureau du chef de l'opposition officielle Bernard Landry
_ 2007: La dénationalisation tranquille (Boréal)
_ 2008: chargé de cours à l'Université du Québec à Montréal

Québec — Le comité sur la souveraineté mis en place par Pauline Marois, hier, perd son temps, si l'on en croit Mathieu Bock-Côté: «J'ai la conviction que peu importent les efforts, peu importe qu'on monte le son de la chanson souverainiste, la population n'est plus réceptive à ce discours. La population n'est même plus attentive à la question nationale.»
Chargé de cours à l'UQAM et chroniqueur politique bien connu, Mathieu Bock-Côté propose dans son dernier livre, Fin de cycle (Boréal), une série d'hypothèses sur l'échec du «souverainisme». Selon son habile formule, la souveraineté est une «excellente réponse à une question qui se pose de moins en moins».
Il y a eu les deux défaites: 1980 (année de naissance de Bock-Côté) et 1995. On a voulu se faire croire, dans les cercles nationalistes, que perdre fut «sans conséquences». Il suffisait de dire «à la prochaine»... Or, ce fut une erreur: «On ne [rate] pas son indépendance sans en payer le prix», tranche Bock-Côté.
Le prix, c'est un Québec de 2012 qui semble tranquillement se désintéresser de son propre sort comme nation pour se polariser entre une gauche multiculturaliste et une droite libertarienne. Ces deux camps, de dire le doctorant en sociologie, «censurent» et «déclassent» chacun à sa manière la question nationale. «Une certaine gauche cultive un désir d'émancipation cosmopolite radicale en soutenant que les "vrais enjeux" sont mondiaux. De l'autre côté, une certaine droite évacue systématiquement la question du Québec parce qu'elle y voit des ringardises.»
Chroniqueur de droite
Pour plusieurs, Mathieu Bock-Côté fait partie de cette nouvelle droite. Après tout, on lit, entend et voit ce chroniqueur prolixe dans ces médias qui accueillent d'autres ténors de cette «droite décomplexée»: dans Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec, au micro de Dominique Maurais à CHOI-FM, à Québec, et à V, où il discute avec Mario Dumont, etc.
Le 18 mars, il participera, à Lévis, à la troisième rencontre du Réseau liberté Québec, organisme qui réunit et diffuse les idées de droite, surtout libertariennes. «Je ne m'en vais pas leur dire ce qu'ils veulent entendre», rétorque-t-il. Car cette droite, il s'en méfie passablement. Dans un «Devoir de philo», il y a un an, en prenant appui sur son auteur fétiche, Raymond Aron, il dénonçait la «conception appauvrie du lien social» de la nouvelle droite, thème qu'il reprend d'ailleurs dans son livre.
Celle-ci, dans sa frange militante, «s'exaspère de la différence québécoise», qu'elle conçoit comme un «ghetto linguistique qui nous empêcherait d'accéder à l'universel des marchés». Un désir de «reniement» pointe dans certains propos, souligne-t-il. Il voit un vieux et malsain complexe canadien-français remonter à la surface, complexe qui «prend la forme d'une revendication de la bilinguisation intégrale de la société québécoise [...]. La nouvelle droite désire que les Québécois aient finalement deux langues maternelles.»
Malgré ces différends, il souhaite dialoguer avec ces nouveaux courants. «Je discute avec les gens qui existent. Je ne vais pas m'enfermer simplement avec les gens qui partagent avec moi la nostalgie du pays et qui pleurent ensemble — comme c'est mon cas! — l'échec de l'indépendance.» Pour caricaturer, disons qu'il se perçoit aussi comme une sorte de missionnaire de la question nationale auprès de la droite: «Il faut être capable de les interpeller et de les sensibiliser à ce qui peut rester de la question nationale. Moi, c'est mon obsession: maintenir les fondements de la question nationale.»
Le péché originel du souverainisme
Si cette nouvelle droite l'inquiète, il n'a pas pour autant délaissé sa principale cible: la gauche progressiste. Si le souverainisme a échoué, explique-t-il en long et en large dans les 174 pages de son livre, c'est qu'il s'est allié puis confondu avec celle-ci. L'idée de l'indépendance était née bien avant la Révolution tranquille, rappelle-t-il, mais lorsqu'elle a pris forme en un projet politique réel, elle s'est rapidement «accouplée avec la vision d'une certaine gauche. Décolonisatrice, d'abord, sociale-technocratique ensuite, au point de se confondre avec elle». Dans la perspective de Bock-Côté, c'est une forme de péché originel. Le germe des échecs référendaires, voire du souverainisme tout court. Et ce n'est pas tellement la faute à René Lévesque, «personnage politique complexe», dont la volonté de faire progresser le Québec ne faisait pas l'impasse sur les racines de ce même Québec. «Il faut lire les premières pages d'Option Québec pour s'en rendre compte», insiste Bock-Côté, qui les cite et les analyse dans Fin de cycle.
Le PQ persiste dans l'erreur
Aujourd'hui, bien qu'il ait renoué avec le discours identitaire, le PQ met dangereusement l'accent sur le progressisme, croit Bock-Côté. Pauline Marois risque gros à faire comme le Bloc québécois d'avant le 2 mai en justifiant la souveraineté par les «valeurs québécoises» qui seraient plus «progressistes». Le souverainisme s'est tellement dénationalisé, trudeauisé, que même le fils de Pierre Elliott, spontanément, a lancé la semaine dernière qu'il envisageait de se rallier à un Québec souverain si jamais le Canada continuait sa harpérisation. «Posons-nous la question, écrivait Bock-Côté: pourquoi les trudeauistes d'Ottawa se trouvent-ils désormais des affinités avec les souverainistes de Québec? Est-ce parce que les premiers ont changé d'idée, ou parce que les seconds ont dilué leur idéal et leur projet?»
Au fond, la réponse de Bock-Côté à cette question se trouve dans Fin de cycle. Ouvrage somme toute assez pessimiste. «Oui, pessimiste. Mais pas désespéré.» S'il ne croit pas que l'indépendance se fasse à court ou à moyen terme — «à moins d'un miracle!» —, il ne croit pas illusoire d'espérer que les «fondamentaux» de la question nationale — langue, mémoire et dur désir de durer — pourront être «conservés». C'est de ce conservatisme-là, sorte de «gaullisme à la québécoise», qu'il se réclame.


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