Le sociologue et chargé de cours à l'UQAM Mathieu Bock-Côté a beaucoup occupé l'espace médiatique dans la dernière semaine, afin de faire la promotion de son livre intitulé "Fin de cycle". Son plus gros coup de publicité a certainement été son passage à l'émission "Tout le monde en parle" il y a quelques semaines. Le journaliste du Devoir Antoine Robitaille a aussi rencontré M. Bock-Côté dans le cadre d’une entrevue publiée dans l’édition du 20 février 2012.
Dans son essai, il dresse le constat de l’échec du souverainisme et l'impute pour l'essentiel à la gauche progressiste. Depuis la Révolution tranquille, le projet de souveraineté aurait été accaparé par des mouvements et partis de gauche et ceux-ci ont créé une association indésirable entre deux idéaux: la libération nationale d'un côté; une idéologie progressiste et social-démocrate de l'autre. Conséquemment, les groupes souverainistes - le PQ au premier rang - se seraient aliénés des partisans provenant d'autres horizons idéologiques, notamment du côté des conservateurs (au sens large du terme) plus à droite.
Bock-Côté va plus loin et prétend que le discours souverainiste se confond malencontreusement avec le multiculturalisme et évacue tous les "fondamentaux" identitaires (langue, traditions, mémoire, désir de durer) indispensables à la pérennité du projet d'indépendance du Québec. Bock-Côté avait déjà exploré cette thèse dans son ouvrage précédent "La dénationalisation tranquille". Il y rappelle entre autres comment la fameuse déclaration de Jacques Parizeau, le soir de la défaite référendaire de 1995 ("l'argent et le vote ethnique"), a eu un effet paralysant pour les chefs souverainistes qui vont lui succéder. Toutes références trop directes à la mémoire canadienne-française devenaient suspectes et risquaient d'être associées au refus du pluralisme, voire à la xénophobie.
Quelques réserves
Les questions soulevées par M. Bock-Côté sont intéressantes, mais les constats qu'il pose sur le souverainisme m'incitent à émettre certaines réserves.
1. Le souverainisme n'est pas mort:
Tous s'entendent pour dire que la question de l'indépendance du Québec n'est plus un débat au centre des préoccupations. Il y a même un écoeurement par rapport à elle, ce qui explique en partie la popularité de la CAQ, qui agit comme si elle n'existait tout simplement pas. La plupart des sondages montrent toutefois que l'appui à la souveraineté frôle les 40%, peu importe le moment où il est mené. Même au lendemain de la cuisante défaite du Bloc québécois aux élections du 2 mai 2011, un sondage Léger-MarketingLe Devoir révélait que 41% des répondants donnaient leur appui à la souveraineté.
En Écosse, le premier ministre indépendantiste Alex Salmond n'hésitera pas à tenir un référendum sur la souveraineté en 2014, malgré le fait que pas plus de 35% des Écossais semblent favorables à cette option. Qu'à cela ne tienne, M. Salmond est loin de croire que son projet est mort et il cherche plutôt à se servir de cet appui pour établir un rapport de force avec le premier ministre britannique David Cameron.
2. La question identitaire préoccupe toujours le PQ:
Il est vrai que le PQ a dilué son message sur l'identité depuis 1995, à la suite de la maladresse de Jacques Parizeau. Mais prétendre qu'il l'a évacué me semble exagéré. Qu'il s'agisse du renforcement de la loi 101 (en l'appliquant notamment aux écoles non-subventionnées), de la francisation des immigrants, d'une charte de la laïcité (dans le contexte du débat sur les accommodements raisonnables) ou de sa promesse d'abroger la loi 115 (sur les écoles passerelles), le PQ a abordé la question de l’identité de manière récurrente dans les dernières années. Le PQ a même inséré dans son programme la promesse d'étendre les dispositions de la Charte de la langue française aux cégeps.
3. Le souverainisme ne s'est pas dilué dans le multiculturalisme:
Le PQ a au contraire fait des efforts pour se distancer de l'héritage trudeauiste en forgeant le concept d’interculturalisme. Une coquille vide pour certains, mais un effort louable pour intégrer les minorités culturelles au projet souverainiste sans diluer les "fondamentaux" d'une identité commune forte.
Que cela plaise ou non, Jacques Parizeau avait raison de dire en 1995 que le vote des communautés culturelles avait fortement contribué à la victoire du NON. Même si une partie de ces communautés a bel et bien voté pour le OUI, c'est un fait sociologiquement indéniable qu'elle penche davantage du côté du NON.
Le succès du souverainisme passe donc nécessairement par une approche d'ouverture à leur égard. En bref, il y a plus d'appuis à gagner du côté des communautés culturelles que du côté des conservateurs de droite.
4. Les valeurs sociales-démocrates et progressistes ne nuisent pas à l'option souverainiste:
Il est fondamental de rappeler qu'au début des années 2000, le PQ a opéré un virage vers la droite, la recherche de "déficit zéro" par Lucien Bouchard ayant incarné cette transition. Le passage d'André Boisclair à la chefferie du PQ a aussi laissé un goût amer, lui qui prétendait qu'il était nécessaire de soulager le capital ou encore de mettre fin au copinage entre le PQ et les groupes syndicaux. En 2010, Mme. Marois avait aussi prononcé un discours dans lequel elle affirmait qu'il était nécessaire de prendre ses distances avec l'État providence et qu'il fallait plutôt favoriser l'enrichissement des individus. Le groupe la plus à gauche du parti, le SPQ-Libre, a par ailleurs été expulsé par le parti dernièrement.
Les exemples où le PQ a adopté un discours de droite sont donc légions. Prétendre que c'est son projet social-démocrate qui nuit au projet de souveraineté est donc une affirmation qui tient difficilement la route.
L’échec du souverainisme conservateur?
La question que j'ai envie de poser à M. Bock-Côté et aux lecteurs du Devoir est celle-ci.
Si les conservateurs de droite se sentent mal et délaissés par l'approche progressiste proposée par plusieurs groupes et partis souverainistes, pourquoi ne forment-ils pas leur propre parti souverainiste?
L'ADQ aurait pu avoir cette fonction, mais le parti a troqué l'idée d'indépendance pour le vague concept d'autonomisme et a été un mouvement éphémère dans le paysage politique québécois.
La droite conservatrice ne serait-elle tout simplement pas davantage fédéraliste? N'est-ce pas tout simplement elle, sans égard à ce que la gauche progressiste a pu faire du discours souverainiste, qui ne croit tout simplement pas assez sérieusement à la nécessité de faire l'indépendance du Québec?
Félix-Olivier Riendeau
Enseignant en science politique au Collège de Maisonneuve
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1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
23 mars 2012Bock-Côté est à droite, vraiment à droite. Assez à droite en tout cas pour avoir suggéré une alliance entre le Front National de Le Pen et la droite française et d'avoir tenter de banaliser le FN dans une lettre du 10 août 1998 au Devoir.
Source:
http://www.ql.umontreal.ca/volume6/qlv6n01/n01dex17.html