Quelle joie de lire Fin de cycle, de Mathieu Bock-Côté ! Joie d’être mis en présence d’une intelligence vive, au verbe précis, aux concepts assumés. Joie de retrouver sur la page un interlocuteur engagé, engageant, inquiet pour son peuple et son pays rêvé, soucieux de son passé comme de son avenir. L’exact contraire du cynique.
On voudrait débattre avec lui, page après page, car sa prose mobilise l’émotion autant que l’intellect. Et suscite, chez ce lecteur-ci en tout cas, moins d’approbations que de désaccords. Ce billet ne fera donc pas justice à l’ensemble des questions qu’il soulève.
Le problème avec les Fins
Fukuyama, qui avait fameusement prédit en 1992 la « Fin de l’histoire » s’en mord sûrement encore les doigts. Et lorsque Mathieu Bock-Côté a remis son manuscrit, l’an dernier, le Parti québécois semblait en lambeaux, l’appui a la souveraineté avait quitté les 40% pour s’aventurer dans les 30% et on trouvait des députés péquistes pour craindre la disparition prochaine de leur parti – prédiction reprise par Mathieu dans son ouvrage.
La conjoncture politique étant une maîtresse cruelle, Mathieu publie son livre au moment ou le PQ, tel un phœnix, renaît de ses cendres, mobilise une pluralité des électeurs qui pourraient, demain lui donner un gouvernement majoritaire, redonne a son chef le titre de ‘meilleure premier ministre’, renvoie la souveraineté dans ses 40e dessus et fait dire au fils de Pierre Trudeau qu’une surdose de conservatisme-à-la-Harper pourrait faire de lui un séparatiste.
Que s’est-il passé, a demandé Guy-A Lepage a Bock-Coté, excellent lors de son récent passage à Tout le Monde en Parle. « Il y a parfois des miracles en politique » a-t-il du répondre dans un sourire qu’a du souvent utiliser Fukuyama.
Je suis le dernier à lui en tenir rigueur, ayant déjà donné moi-même dans la fin de cycle. J’ai d’ailleurs droit dans son livre à une citation en exergue : « La fin est proche. Elle est juste derrière nous. » C’étaient les premiers mots de Sortie de Secours, publié en 2000. J’y déclarais aussi la fin du cycle politique pouvant mener à l’indépendance et prophétisais, à moins d’un sursaut marqué au coin du réalisme, un engourdissement durable de la volonté souverainiste. En 2005, le scandale des commandites venait me contredire en repoussant dans la zone majoritaire la volonté de souveraineté.
On sait la réalité terrible avec les optimistes, ces cocus du réel. Mais elle l’est aussi souvent avec les pessimistes. C’est bien ainsi.
La prise d’otages progressiste
Comme il l’avait fait dans son ouvrage précédent, La dénationalisation tranquille, Mathieu fait le procès de la dérive post-référendaire des souverainistes. Il s’agit de la période ouverte lors discours de Jacques Parizeau du soir du référendum en 1995 et qui connut son apogée sous la direction péquiste d’André Boisclair, exprimant la volonté de remplacer le nationalisme identitaire par le nationalisme civique, fondé sur les chartes.
Il fut donc mis complètement en porte-à-faux de l’opinion, lors de la crise des accommodements raisonnables, sur laquelle Mario Dumont eut, lui, les bons instincts, sinon les bonnes solutions.
Bock-Côté a quatre bêtes noires dans cette évolution post-95 : le remplacement de l’identité nationale par la sacralisation des chartes (ce que l’historien Éric Bédard avait aussi bien diagnostiqué dans son excellent texte « La Trudeauisation des esprits »), l’introduction du cours Éthique et culture religieuse comme une volonté d’enseigner au peuple les bienfaits du multiculturalisme; la nouvelle mouture de l’enseignement de l’histoire, visant également à javelliser l’histoire nationale de tout ce qu’elle a de singulière par rapport à l’évolution des autres peuples; la réforme pédagogique dites des compétences transversales.
L’auteur est ici en terrain solide. Mais il le quitte pour faire un procès plus général de l’évolution du mouvement souverainiste, affirmant que le PQ était dès son origine « porteur du virus idéologique qui le fera mourir progressivement en confondant l’émancipation nationale et l’émancipation sociale ». Pour lui, la volonté de modernité en soi et le progressisme a “kidnappé” le combat national.
Mathieu tente de faire la synthèse entre le procès plus général fait contre la Révolution tranquille comme rupture et rejet du passé duplessiste dont il faudrait, selon lui, penser plus de bien et l’évolution du souverainisme.
C’est net, Mathieu Bock-Côté est un conservateur et, pour lui, l’identification du PQ et du Bloc avec les causes progressistes (quête d’égalité, mariages gai, jeunes contrevenants) – mais Mathieu fait une importante exception pour les droits des femmes – arrache le PQ de la tradition conservatrice d’une partie de l’électorat, qui s’est donc cherché à l’ADQ, aujourd’hui à la CAQ, en mai dernier au…. NPD ?
L'excellent recueil d'Éric Bédard, à lire seul ou en tandem avec Fin de cycle
Il y des vérités et des problèmes avec cette analyse. Mathieu admet que René Lévesque a beaucoup fait pour accompagner le vote conservateur vers la coalition péquiste. (Ici encore Éric Bédard en fait un excellent récit dans son livre Recours aux sources (Boréal) qu’il faut lire seul ou en tandem avec Fin de cycle.)
Mais il omet de signaler combien Lévesque et ses successeurs ont été pragmatiques envers les conservateurs, mettant l’émancipation nationale au premier plan face à l’émancipation sociale, chaque fois que nécessaire.
Ainsi de l’alliance entre le PQ et le parti de Brian Mulroney à l’élection de 1984, donnant aux libéraux de Trudeau une raclée historique, pour avoir imposé une constitution au Québec. Ainsi de l’alliance de Jacques Parizeau et de Bernard Landry avec le même Mulroney en faveur du libre-échange avec les États-Unis.
Parizeau a mené ensuite deux campagnes, celle de 1992 contre Charlottetown et celle de 1995 pour la souveraineté, en ménageant des alliances avec un ex-ministre conservateur, Lucien Bouchard, et le chef de l’ADQ, Mario Dumont.
Dans la période post-95, la pire selon Bock-Côté, les péquistes ont fait le plus grand sacrifice idéologique de tous, pour le bien, pensaient-ils, de la cause nationale, en choisissant comme chef un ancien conservateur : Lucien Bouchard. Ils l’ont suivi dans son virage pour le déficit zéro, ce qui demandait une abnégation considérable.
Mathieu (et Éric Bédard) en veulent beaucoup au Bloc Québécois d’avoir fait alliance avec le NPD et le Parti libéral pour une tentative de coalition en décembre 2008 pour empêcher Harper, minoritaire, de faire un brusque virage à droite. Mathieu affirme qu’il s’agissait d’une « alliance centralisatrice ». La présence de Stéphane Dion dans le portrait pouvait sembler l’indiquer. Mais la lecture du texte de l’entente révélait qu’au contraire le Québec y faisait un gain majeur recherché depuis 40 ans : celui du droit de retrait avec compensation de tout nouveau programme fédéral. Trudeau et Chrétien (et Dion) s’étaient battus bec et ongles pour que jamais cette clause n’apparaisse où que ce soit.
L’absence, dans Fin de cycle, de toute référence à la tentative précédente de coalition entre le Bloc, le NPD et… Stephen Harper, lorsque les libéraux étaient minoritaires, mérite qu’un reproche soit fait à l’auteur.
La nouvelle époque
Que le mouvement souverainiste, de 1995 à 2007, ait connu des errances, c’est indubitable. Mais on aurait aimé que Mathieu donne plus d’importance aux changements opérés au cours des cinq dernières années.
Lorsque à l’été 2007, Pauline Marois réintroduit le “Nous”, elle sonne la fin de la récréation, la fin de la trudeauisation des esprits. Lorsqu’en 2008, elle propose son projet de loi sur l’identité (transparence totale : j’ai participé à cette démarche), lorsqu’elle approuve une charte de la laïcité mais veut respecter le patrimoine historique québécois – donc son marquage historique religieux, donc le respect du « déjà là » que réclame l’auteur – lorsqu’elle donne le feu vert pour un renforcement du dispositif linguistique, lorsqu’elle le fait en opposition à des forces encore engoncées dans la dérive chartiste; lorsqu’elle promet de remettre le cours Éthique et culture religieuse en débat, de ramener une véritable lecture de l’histoire nationale dans les classes, lorsque son parti l’appuie massivement dans cette voie…
… cela mérite, il me semble, davantage qu’un paragraphe. Le mouvement souverainiste a changé d’époque.
Il reste, c’est évident, trop social-démocrate pour Mathieu Bock-Côté. Il doit, c’est certain, pouvoir aussi s’adresser aux électeurs conservateurs. Encore faudrait-il savoir ce que cela signifie, en 2012.
Cela ne signifie certainement pas les libertariens. Mathieu en fait, dans la conclusion de son ouvrage, une critique acide. Deux extraits :
[Cette droite libertarienne] se réclame de l’ypermodernité et entend parachever la Révolution tranquille en livrant les Québécois à un individualisme libertaire, technocratique et mondialisé.
La droite entend ainsi faire concurrence à la gauche dans le registre du progressisme, en faisant du droit de choisir de l’individu, de son droit de se désaffilier de toutes les institutions sociales, le seul horizon légitime de l’action politique.
Mathieu Bock-Côté est révulsé par cet individualisme à outrance, qui scinde l’individu de son groupe social, de ses réseaux, de sa nation. Et par cette critique, Mathieu révèle un aspect de sa position politique qu’il fait bon de lire, en fin d’ouvrage :
[La nouvelle droite] si elle vise juste lorsqu’elle dénonce la bureaucratisation abusive des rapports sociaux ou lorsqu’elle critique le gonflement irresponsable de la dette publique, elle erre gravement lorsqu’elle fait le procès de la solidarité sociale mise en forme politiquement par l’État, comme si l’individualisme ne devait pas équilibrer son indispensable appel à la responsabilité individuelle par un souci de justice envers les moins favorisés, qui ne sont pas nécessairement des irresponsables, mais des victimes de restructurations économiques ou sociales qui se calculent à l’échelle mondiale mais qui dévastent des vies bien réelles, qui ont peu d’emprise sur les circonstances qui s’abattent sur elles.
L’auteur de Fin de cycle n’est donc pas un libertarien. Il cherche une définition du mot conservateur qui lui soit propre. Au fond, c’est un Gaulliste. Un Gaulliste québécois. Respect pour l’histoire, pour la Nation, pour le rôle de l’État, scepticisme face aux idéologues du changement. Un Gaulliste un peu seul. Heureusement pour lui, le nationalisme québécois n’est peut-être pas en fin de cycle. Une coalition gagnante est toujours possible. Lui, le Gaulliste québécois, pourra y trouver sa place.
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Demain: quel conservatisme pour 2012 ?
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