Vous ne connaissez pas Carole Beaulieu? Ma patronne, éditrice et rédactrice-en-chef à L’actualité ? Elle a l’air très gentille, comme ça. Mais mettez en doute l’honnêteté intellectuelle de cette ancienne membre du Conseil de presse du Québec, et vous sentirez l’acier derrière l’émail de son beau sourire.
Or deux signatures de La Presse, l’éditorialiste François Cardinal samedi, puis la chroniqueuse Lysiane Gagnon dans le Globe and Mail de ce lundi, se sont livrés au sujet du dossier de L’actualité sur les Anglo-Québécois à des exercices de malhonnêteté intellectuelle dont, franchement, je ne croyais pas François capable.
Carole a répliqué aux deux, de la bouche de son crayon. Les voici:
Ce lundi, La Presse a publié une version courte de la réponse préparée par Carole. Je m’en voudrais de ne pas vous offrir, en exclusivité, la version longue:
Une nécessaire conversation linguistique
par Carole Beaulieu
L’auteure est éditrice et rédactrice en chef du magazine L’actualité
Merci à François Cardinal d’avoir réservé son éditorial de samedi (« À manipuler avec soin ») au dossier que nous avons consacré aux Anglo-Québécois dans notre édition toujours en kiosque.
Essentiellement, l’éditorialiste nous reproche d’avoir manqué de rigueur dans la conception des questions de notre sondage et d’avoir manqué d’objectivité en y associant notre collaborateur Jean-François Lisée. M. Cardinal juge M. Lisée trop « militant ».
La démonstration de l’éditorialiste aurait été davantage crédible s’il était resté plus proche des faits. Ainsi, il note que 80 % des anglophones parlent le français et que 83 % veulent que leurs enfants soient bilingues. Il détient ces informations grâce aux questions proposées par Jean-François Lisée et rapportées par lui dans son texte d’analyse. M. Cardinal affirme qu’on ne peut en conclure que — je le cite nous citant — « les trois-quarts des Anglo-Québécois “n’ont rien à cirer du français” ».
Il aurait raison de nous semoncer si c’était ce que nous avions écrit. Or, nous avons affirmé, sous la signature de Jean-François Lisée, que les trois-quarts des jeunes anglos n’ont rien à cirer de l’avenir du français.
Voici ce qu’on lit dans L’actualité : « Les Anglo-Québécois de 2012 interagissent avec le français comme jamais leurs parents et grands-parents ne l’ont fait depuis que Wolfe a mouché Montcalm sur le Plaines. Pourtant, ils se désolidarisent massivement du combat pour la permanence du fait français. »
Nous pensons que cette nuance — des anglos bilingues, mais indifférents face à l’avenir du français — était à la portée de tous, d’autant qu’elle avait été longuement expliquée à l’éditorialiste au téléphone.
M. Cardinal a un second argument à charge pour mettre en doute notre jugement. Il cite une des questions de sondage à la formulation alambiquée. Il la détient car on lui a remis le questionnaire. Mais cette question n’apparaît nulle part dans notre magazine, car Jean-François Lisée ne l’a pas utilisée dans son analyse — il avait même proposé qu’on la retire — car il n’en était pas satisfait.
En fait, M. Cardinal ne cite dans son éditorial aucune des questions les plus révélatrices de ce sondage : celle où 74 % des jeunes anglos estiment normal que des grandes entreprises embauchent des cadres supérieurs unilingues anglais, ou celle où 67 % des jeunes anglos estiment que Montréal ne perdrait pas son âme si le français n’y était pas prédominant.
C’est évidemment son choix. D’autres collègues de langue anglaise ont vu le grand intérêt de la question générationnelle soulevée par ce sondage. Dans un texte publié dans The Gazette du 31 mars, Dave Johnston s’interroge sur le niveau réel de maîtrise du français par les jeunes anglophones qui se disent bilingues (ce qui pourrait expliquer leur vision de l’avenir du français). Selon lui, les aptitudes en français de ces jeunes vont en diminuant une fois leurs études secondaires terminées (et leurs cours obligatoires de français achevés). Dave Johnston se demande si Emploi Québec ne devrait pas créer un programme d’emplois d’été qui permettraient à de jeunes anglophones de Montréal de travailler en français dans d’autres régions du Québec. L’idée me semble excellente!
L’actualité n’a pas mis d’huile sur le feu linguistique, comme l’écrit François Cardinal. Elle a lancé une conversation nécessaire avec les Québécois de langue anglaise, qui permettra peut-être d’éviter la crise linguistique qui se préparait.
Pour ce qui est de Jean-François Lisée, qui collabore à L’actualité depuis 30 ans et a valu au magazine de nombreux prix de journalisme, y compris un prix d’excellence canadien pour ses chroniques, je dois avouer que nous lui avons fait réécrire son premier jet du texte d’analyse sur le sondage car nous le trouvions trop peu incisif ! Et Jean-François Lisée a eu une influence modératrice dans le choix des titres de couverture.
Comme tous nos collaborateurs, et comme je tente moi-même de le faire en éditorial, Jean-François Lisée fait dans nos pages et dans son blogue la démonstration qu’il est possible d’avoir des opinions tranchées tout en respectant scrupuleusement les faits.
Aucune famille politique n’a le monopole de la préoccupation linguistique. Elle appartient à tous les citoyens. François Cardinal peut donc se rassurer. Le magazine L’actualité est sans parti pris et ne s’est pas éloigné de l’objectivité dont il fait preuve depuis toujours.
Je vais vous faire un aveu: Carole m’avait demandé mon avis avant d’envoyer cette lettre. Je lui avais proposé une autre chute. Je vous l’offre, mais ne le dites à personne:
Comme plusieurs autres de nos collaborateurs, et comme je tente moi-même le faire en éditorial, Jean-François fait dans nos pages et sur notre blogue la démonstration qu’il est possible d’avoir des opinions tranchées tout en respectant scrupuleusement les faits. Nous avons la certitude qu’à l’avenir, s’il s’applique, l’éditorialiste Cardinal y arrivera lui aussi.
Deuxième acte:
Ce lundi matin, Lysiane Gagnon attaque l’intégrité intellectuelle de L’actualité, donc de son éditrice, dans les pages du Globe. Carole POWER est encore à l’oeuvre, et voici ce qu’on trouve désormais sur le site du Globe:
L’actualité replies
By Carole Beaulieu is Editor in chief and Publisher of L’actualité
Lysiane Gagnon, the Globe’s longtime weekly interpreter of Quebec, has the right to her own opinions. And she displays them to the hilt in her Monday column, “Montreal’s language war gets personal” about the latest L’actualité issue on Anglo-Quebecers relationship to French.
But Ms Gagnon doesn’t have her facts right.
She writes: “There’s been countless wildly alarmist reports in the Quebec media about the “threat” of English, but L’actualité’s article is a first of its kind: Whereas the “enemy” used to be the English language, now the “enemies” are the anglophones themselves, even if they speak French fluently.”
Our poll and analysis paint the picture of a paradox: Anglo-Quebecers formidable investment in learning French on the one hand and their apparent lack of concern for the future of French and the rights of francophones, on the other hand.
Nowhere in our poll or analysis do we refer to Anglo-Quebecers as “enemies”, in quotes or otherwise. This is a complete fabrication by Ms. Gagnon.
Getting personal herself, Ms Gagnon accuses L’actualité of having chosen a contributor of 30 years, Jean-François Lisée, to be one of the authors of the issue. Mr Lisée’s sovereignist political views are well known to all, as are those of the other guest analyst, federalist scholar Jack Jedwab, whose contribution to our issue seems to have escaped the columnist gaze.
Ms Gagnon leads her readers to believe that it is somehow crazy to pretend that “French is being mortally threatened in Montreal”. We don’t say that in our issue. But she did write that herself, in a La Presse column she wrote in French two years ago. Here’s our translation:
“Quebec’s regions will stay French for generations, but to what end if it’s sole metropolis, its cultural and economic engine, gradually becomes a melting pot where the old-stock French culture will have lost all its power of assimilation? » She added, as she does in her Monday column, that the flight of francophones to the suburbs is the primary reason for that – how should we put it ? – “mortal threat” to French.
We remember this quote because Jean-François Lisée applauded Lysiane’s take on the issue in his L’actualité blog and often refers himself to that issue as more important than language laws to correct the situation.
We feel our cover story helps to better understand an important piece of the linguistic puzzle, i.e. Anglo-Quebecers’s attitudes and opinions. We wanted to start a respectful and open minded conversation on the subject and we welcomed the Montreal Gazette columnist Josh Freed as a special guest blogger on L’actualite.com where he is leading a very fruitful discussion with thousands of Quebecers. The Globe readers deserve a more astute and savvy take on what’s really going on in Quebec than Ms Gagnon’s column.
Merci de remercier Carole en distribuant largement ce billet sur vos réseaux sociaux.
Carole Power ! Quand ma patronne répond aux plumes de La Presse
Tension linguistique - JJC trahit la nation!
Jean-François Lisée297 articles
Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.
Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québ...
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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.
Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.
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