Chaque jour, je lis. Pour le travail. En philosophie, en sociologie, en science politique, en histoire. Mais chaque soir, je relis. Du moins, j’essaie. Je relis des classiques, ou du moins, des textes qui m’ont marqué et qui ne sont pas liés à l’actualité. Et à l’occasion, l’envie me prend de vous partager ces lectures. Comme maintenant. Je relisais donc ce soir Georges Bernanos et Pierre Lazareff. Le premier était un grand écrivain catholique qui a fait un procès à la fois exagéré et perspicace de la modernité et de ses dérives. Le deuxième était un grand journaliste de la presse populaire française. J’en retiens ces deux belles citations.
La première, de Bernanos, sur ce que veut dire l’épuisement d’une civilisation.
«Une civilisation ne s’écroule pas comme un édifice ; on dirait plus exactement qu’elle se vide peu à peu de sa substance, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus que l’écorce. On pourrait dire plus exactement encore qu’une civilisation disparaît avec l’espèce d’homme, le type d’humanité, sorti d’elle». (La France contre les robots, 1955 p.27). Il y a là quelque chose de très juste, me semble-t-il. Le combat pour l’âme d’une civilisation, ou d’un peuple, porte souvent sur les valeurs qui irriguent ses institutions, et plus encore, sur la signification à accorder à ses valeurs, sur la signification qu’il prête à son histoire, et ainsi de suite. Les conflits politiques les plus fondamentaux ne sont pas politiciens, mais philosophiques. Ce en quoi même les esprits excités par les luttes politiciennes devraient se tourner vers les oeuvres importantes, moins populaires, moins accessibles aussi, mais souvent plus fondamentales, où se joue aussi le sort de la civilisation. Comme l’écrivait Czelaw Milosz dans La pensée captive, «c’est seulement vers le milieu du XXème siècle que les habitants de nombreux pays d’Europe ont été amenés, de façon généralement désagréable, à constater que leur sort pouvait être directement influencé par des livres de philosophie traitant de sujets abscons et quasi impénétrables».
***
La deuxième citation est de Pierre Lazareff. Lazareff, vers la fin de la seconde guerre mondiale, nous montre ce que veut dire l’unité d’un peuple qui transcende dans un authentique moment de grandeur politique et historique ses clivages idéologiques.
«Non, l’ennemi ne comprend plus … Cette France affaiblie et divisée avec tant de machiavélisme, elle est aujourd’hui plus forte que jamais, plus unie que jamais. Des communistes aux monarchistes, de Gabriel Péri à Estienne D’Orves, des ouvriers aux industriels, des instituteurs aux prêtres, tous les France affrontent volontairement la torture et la mort pour accomplir leur devoir patriotique.» (De Munich à Vichy, 1944, p.353)
Évidemment, le contexte québécois n’est en rien comparable avec celui de la France occupée. Mais en rien. Mais on a là une belle image de ce que peut vouloir dire une relativisation des clivages idéologiques qui divisent un peuple au nom d’un idéal plus grand : le salut de la patrie. Et je me rappelle une chose : l’histoire n’est pas qu’un passé muséifié : c’est aussi une source d’inspiration pour les combats politiques les plus actuels.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé