Le château de cartes (2)

1997

22 octobre 1997
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Revenons sur le jugement de la Cour suprême sur la Loi référendaire. La semaine dernière, j'expliquais comment la cour avait dynamité le coeur de cette loi comme un simple «château de cartes», soit la section portant sur le contrôle des dépenses. Une question se pose maintenant: que faire pour empêcher ceux qui profitent des ressources financières les plus importantes de dominer la prochaine campagne référendaire?
Si le gouvernement Bouchard modifie la loi dans le sens du jugement, il favorisera le pouvoir de l'argent et rendra impossible la tenue même d'un troisième référendum. Mais s'il réécrit la loi sans obéir aux paramètres de la cour, il s'enfoncera dans les sables mouvants des contestations qui se multiplieront devant les tribunaux. Reste la clause dérogatoire, dite «nonobstant», la seule manière de colmater cette brèche, d'assurer l'équité des dépenses et d'empêcher le processus référendaire de tomber sous la tutelle des tribunaux canadiens.
Seul le nonobstant peut rétablir les mesures qui ont été invalidées. Des mesures que le factum présenté en Cour suprême par le gouvernement Bouchard lui-même décrit comme «essentielles au plafonnement des dépenses et à l'atteinte des objectifs d'égalité et d'équité du processus référendaire». C'est ce que semble expliquer aussi l'ancien Directeur général des élections du Québec, Pierre-F Côté. Soulignant la gravité de ce jugement, il note comment il permettrait, entre autres choses, des rentrées incontrôlées d'argent venant du Canada anglais. Ce que Julius Grey, l'avocat de Robert Libman, reconnaissait déjà dans le Globe & Mail du 6 juin 1996: «Si la Cour invalide cette section de la loi, n'importe qui pourra dépenser de l'argent, de l'intérieur ou de l'extérieur du Québec.» On ne saurait être plus clair.
Si le nonobstant est essentiel sur le fond même de la question, il l'est aussi sur le plan politique. On ne peut dire que les Québécois forment un peuple tout en soumettant son droit à l'autodétermination à des diktats extérieurs. La rhétorique usée de l'«indignation» trahit son vide pathétique quand, dans la réalité des choses, on refuse de s'affirmer de manière concrète. Si M. Bouchard a raison lorsqu'il dit que cette loi «est un fondement démocratique essentiel de la vie collective québécoise», des conclusions appropriées doivent être tirées.
Dans The Gazette de ce dimanche, une caricature résumait les conséquences de ce jugement: un homme au large sourire, arborant un chapeau décoré de signes de dollar et tenant le jugement de la Cour suprême, brandit une pancarte disant «Si le Canada est divisible, le Québec l'est aussi! Signé: le parti partitionniste officiel et appuyé financièrement!». La porte ouverte au plan B et à son financement lors d'un prochain référendum appelle aussi le nonobstant.
Le plan B, rappelons-le, c'est la tentative par le camp du NON de changer les «règles» du prochain référendum. C'est ce que ce jugement fait. Mais nos élites ont une peur bleue du nonobstant. Rendu tabou par une propagande que plusieurs ont intériorisée, son seul nom fait frémir comme les sept plaies d'Egypte. Pourtant, cette clause fut incluse dans les chartes des droits du Canada et du Québec expressément pour protéger la souveraineté des parlements des abus possibles d'un pouvoir judiciaire non élu. C'est donc un outil de démocratie, légal et légitime, qui fait partie du même rule of law dont les fédéralistes se gargarisent depuis le 30 octobre 1995. Alors pourquoi céder à une culpabilisation non fondée?
Quant au PLQ, qui applaudit ce jugement et refuse tout recours au nonobstant, doit-on lui rappeler que c'est le gouvernement de Robert Bourassa qui, dans cette même cause, défendait la Loi référendaire devant la Cour supérieure en 1992? Que c'est encore lui qui appliqua le nonobstant en 1988 pour protéger l'affichage français?
Qu'à cela ne tienne, les fédéralistes reprennent leur vieux chantage qui fut si efficace contre la loi 101: utiliser le nonobstant salirait la réputation internationale du Québec! Sachant que le premier ministre a déjà fléchi dans le dossier linguistique pour cette même raison, ils refont le coup avec la Loi référendaire. Ce qu'ils répéteront lorsque la même cour interdira au Québec de déclarer sa propre souveraineté. Attention aux reculs qui deviennent une habitude.
Car se soumettre à ce chantage, c'est entrer dans une logique de perdants. C'est refuser de décider seul de son propre destin. C'est accepter d'avance le prochain renvoi à la Cour suprême. C'est ne plus discerner pour soi-même ce qui est bon pour soi-même. C'est par exemple, abandonner toutes les poursuites contre le rallye du NON du 27 octobre 1995 comme vient de le faire le directeur actuel des élections avec un empressement qui laisse pantois. On croirait presque qu'il a déjà capté des signaux voulant que le gouvernement n'ait pas recours au nonobstant.
Pourtant il arrive des moments où - pour reprendre une expression utilisée hier par Pierre-F. Côté - il faut «avoir le courage de ses convictions». L'an dernier, M. Bouchard disait qu'il ne pourrait se regarder dans le miroir s'il recouvrait la loi 101 de la clause dérogatoire. Mais en cédant devant les maîtres-chanteurs plutôt que d'expliquer la réalité aux Québécois et au reste du monde, il ne voit plus dans son miroir que l'image déformée que lui renvoient ses propres adversaires. Comme si nous ne pouvions nous voir qu'à travers le regard réducteur de ceux qui cherchent à «miner notre système démocratique», pour reprendre un autre mot de Pierre-F. Côté.
Après la défaite de 1980, on disait que l'«angélisme» du PQ lui avait coûté cher, très cher. Aujourd'hui, l'«angélisme» prendrait-il la forme d'un manque périlleux de volonté politique? La réaction au jugement de la Cour suprême en dira long là-dessus, qu'elle vienne du gouvernement ou des leaders d'opinion souverainistes qui, à de rares exceptions près, se font, une fois de plus, silencieux.


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