4 juin 1997
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Depuis hier, on répète partout dans les médias que le prochain Parlement fédéral croulera sous le poids de deux «régionalismes»: ceux du Bloc et du Reform Party. Mauvaise nouvelle pour Jean Chrétien: il semble bien que ce soit son propre parti qui se «régionalise»! Après tout, n'est-ce pas à un électorat ontarien peint en rouge mur à mur que le PLC doit les deux tiers de sa très courte majorité?
Pour ce qui est du Reform Party, on peut s'attendre à ce que son nouveau rôle d'opposition officielle lui permette de parler au nom du nombre croissant de Canadiens anglais qui n'en peuvent plus d'entendre parler de «société distincte» ou de pouvoirs spéciaux pour le Québec. Bref, les commentateurs auront beau dessiner des cornes sur la tête de Manning - question de faire paraître le PLC et le PC plus «modérés» -, le message du Reform fera désormais partie de la dynamique politique.
Et que dire du Bloc québécois? Réponse: le Bloc et le PQ ont un sérieux bilan à faire. Disons-le net: c'est à se demander combien de sièges le Bloc aurait perdus sans les interventions salvatrices d'autres leaders souverainistes. De fait, l'élection de 44 bloquistes - quoique fort respectable - constitue néanmoins un signal d'alarme. Pourquoi? Parce que ses appuis ont diminué chez les francophones et qu'il n'a pas réussi à faire le plein des souverainistes. Et ce signal d'alarme ne concerne pas uniquement Gilles Duceppe... quoiqu'il devra se demander s'il serait vraiment capable de livrer la marchandise lors d'une campagne référendaire s'annonçant drôlement plus féroce que celle qu'il vient de passer.
Cela dit les souverainistes ont aussi d'autres questions à se poser. Ainsi, se pourrait-il que les nationalistes «mous» aient fait subir au Bloc le premier coup de désenchantement envers les compressions faites à Québec? Quant aux souverainistes, se pourrait-il qu'un certain nombre d'entre eux aient exprimé ainsi leur déception face à la mise en veilleuse de leur option depuis un an? Si Québec ne prend pas en compte ces deux messages et n'ajuste pas ses politiques et son discours en conséquence, il pourrait fragiliser ses chances de réélection ou d'une victoire référendaire.
En fait, comme viennent de le démontrer la majorité serrée du PLC ainsi que les victoires de la gauche en France, en Grande-Bretagne et dans près de dix autres nations européennes, il y a des limites à ce que les citoyens peuvent accepter comme diminution de services publics et chômage endémique. Bref, s'il entend être réélu et tenir un troisième référendum gagnant, le gouvernement Bouchard serait sage de méditer sur un contexte occidental s'éloignant peu à peu d'une approche trop affairiste qui tue l'espoir et l'ambition chez les individus et les peuples. Et l'on sait à quel point l'«espoir» est essentiel à tout mouvement d'émancipation nationale...
Il serait aussi sage de réfléchir à d'autres leçons issues des résultats du 2 juin. A savoir que les appels à l'«unité» ou quelques discours enlevants ne sauraient remplacer les éléments suivants: une politique audacieuse de création d'emplois, un travail acharné et entêté d'explication, de «vente» et de diffusion du projet souverainiste (au Québec et à l'étranger) et la reconstitution de la grande coalition de 1995. Ces éléments seront d'autant plus essentiels qu'on ne sait trop encore ce que le fédéral sortira de son sac pour faire avorter ou gagner un prochain référendum. Mais une chose est sûre: il sortira quelque chose!
Disons là-dessus qu'il circule dans quelques corridors une rumeur selon laquelle le PLC, une fois réélu et se donnant peut-être bientôt un nouveau chef, pourrait être tenté de fignoler une ébauche de proposition de décentralisation symétrique - question de ne pas récuser le dogme canadien de l'égalité des provinces et, surtout, de ne pas soulever l'ire du Reform. L'objectif d'un tel exercice serait de placer Lucien Bouchard dans une position de refus. Du même coup, cette seule proposition - sans qu'elle soit implantée - fournirait une nouvelle arme au PLQ lors de la prochaine élection provinciale. Daniel Johnson pourrait alors «promettre» deux choses: pas de troisième référendum et une énième chance au Canada. Mais tout cela n'est qu'une vague rumeur...
Et ce n'est pas tout. Pendant que le fédéral jouera concurremment du plan A et du plan B, les souverainistes devront aussi s'atteler à la tâche de contrer les intégristes partitionnistes qui poursuivent leur croisade à travers les municipalités du Québec. Ce qui nous amène à une autre rumeur: ces intégristes formeraient un nouveau parti et présenteraient des candidats à l'élection provinciale. Prédiction: si Québec ne contre pas ce mouvement avec finesse et clarté, les partitionnistes pourraient remporter quelques sièges et se retrouver ainsi au coeur même de l'Assemblée nationale.
De plus, si l'on ne réussit pas à rassurer concrètement les francophones quant à l'impossibilité absolue de tout démembrement du territoire le lendemain d'un OUI, Québec pourrait perdre des appuis chez les nationalistes hésitants. Mais tout cela, encore une fois, n'est qu'une vague rumeur...
La semaine dernière, j'écrivais que la prochaine année serait absolument cruciale pour les souverainistes. Les résultats du 2 juin ainsi que les leçons qu'on peut en tirer ne font que le confirmer. Pourtant, une chose est claire: à mesure qu'on se dirige vers une autre élection et un référendum, les enjeux se complexifient et les acteurs se multiplient irrémédiablement. Il est donc urgent que les souverainistes cessent de tenir leur lutte ou leurs appuis pour acquis.
En d'autres termes, le moment de vérité approche rapidement et l'heure est activée de se retrousser sérieusement les manches. Et surtout, il faudra rappeler à ceux et celles qui tiennent aux politiques angéliques cette fabuleuse expression de San-Antonio: «Les anges aussi seront plumer»...
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