23 juillet 1997
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Une nation qui se souvient est une nation dont la vigueur ne peut que s'accroître. Parce qu'il est d'une tristesse infinie de voir certains de nos historiens craindre jusqu'à l'expression même d'«histoire nationale», il faut d'autant plus souligner l'initiative du gouvernement Bouchard de commémorer le 30, anniversaire de la visite du général Charles de Gaulle.
Si plusieurs Québécois ont encore les mêmes frissons qu'en ce 24 juillet 1967 lorsque le général lança son célèbre «Vive le Québec libre!», c'est qu'il fut annonciateur d'une lutte pour la souveraineté du Québec.
La réaction outrée des fédéralistes annonça aussi le début de la mobilisation des forces qui allaient combattre ce mouvement jusqu'à aujourd'hui. Charles de Gaulle, grand homme d'Etat, penseur et fin analyste des rapports de force, devait savoir quelle dynamique politique il libérait ainsi. Ceux qui s'opposent aujourd'hui avec tant de véhémence à cette commémoration le savent aussi...
Dans un contexte où, depuis octobre 1995, nombre de fédéralistes se font de plus en plus militants, il ne faut donc pas se surprendre de voir certains d'entre eux dénigrer la mémoire du général et en profiter pour montrer leur mépris envers la France et le mouvement souverainiste. Dans des commentaires frôlant la francophobie, certains médias anglo-canadiens ont encore raté une belle occasion de se taire.
Tout en nous commandant d'oublier, ces fédéralistes crient à l'«ingérence étrangère» de la part du général. On les prendra plus au sérieux lorsqu'ils auront la même indignation face aux autres leaders tout aussi «étrangers» qui se font un prodigieux plaisir d'encourager l'«Unité canadienne» dès qu'ils foulent le sol de ce pays!
Le dernier jour de sa visite, de Gaulle déclara que lorsqu'il s'agit du destin d'un peuple, aller au fond des choses, c'est non seulement la meilleure politique mais c'est la seule possible. A voir la hargne de certains contre cette commémoration, il semble qu'on y touche un peu, à ce fond des choses... Car ce qui met en rogne ces apôtres de l'amnésie historique sélective, c'est non seulement le «Vive le Québec libre!». C'est aussi l'impact énorme de sa visite sur la scène internationale et la légitimité qu'a apportée un des géants politiques du XXe siècle au mouvement souverainiste.
Mais, nous dit-on, il ne faudrait pas se rappeler. Pis encore, cette commémoration serait un affront aux soldats canadiens «morts pour libérer la France». Avec son cri de l'hôtel de ville, de Gaulle aurait donc trahi le sacrifice de ces soldats...
Pourtant en voyant d'anciens soldats planter des drapeaux canadiens pour s'opposer à l'érection d'une statue du général à Québec, on se demande - sauf tout le respect dû à ces vétérans - si le révisionnisme historique a des limites. On en atteint ici de véritables sommets avec la réécriture de l'histoire à laquelle se livrent ceux qui transposent le nationalisme canadien d'aujourd'hui sur ce qui fut à l'époque moins un combat pour le Canada qu'une lutte à finir pour la liberté et contre la barbarie nazie. Une lutte que bien des Canadiens français, et donc de nombreux Québécois, ont aussi menée et ce, même si leur vote avait été bafoué lors de la crise de la conscription. De fait, pour ceux qui l'auraient oublié, l'unifolié dont on se sert actuellement comme symbole de protestation n'existait même pas en 1945!
Que ces valeureux soldats aient combattu pour le Canada, la Grande-Bretagne, le Québec, la France ou autre, la seule véritable lutte qui les unissait était celle pour la liberté et contre les nazis. En cette fin de guerre - comme en tout conflit -, chaque soldat avait ses propres raisons et ses propres loyautés. Ce qui compte, c'est que ces hommes ont donné leur vie pour la démocratie et qu'on ne peut récupérer leur combat d'alors à des fins contemporaines de lutte partisane.
Qui plus est ceux qui tentent de déstabiliser la commémoration de la visite d'un homme admiré de par le monde en se drapant dans la mémoire de soldats morts au front en 1945, se comportent comme si le général de Gaulle était un ennemi et non la référence historique mondiale qu'il est devenu. Qu'on se le rappelle - puisque les protestations de certains vétérans nous y obligent -, alors que Mackenzie King fraternisait avec Hitler avant la guerre, de Gaulle fut un héros et l'un des grands libérateurs de la France et de l'Europe.- Et c'est à ses côtés que les soldats québécois et canadiens ont combattu, et non contre lui.
Cela dit, ce qu'il faut surtout comprendre, c'est que tous ces hauts cris font partie de confrontations interréférendaires qui vont en se multipliant. Ce qui compte, c'est d'analyser les rapports de force qui se cachent derrière tout cela. Et s'ils les comprennent, les souverainistes abandonneront la défensive béate dans laquelle ils s'enlisent depuis près de deux ans pour reprendre l'offensive politique qui leur échappe. C'est ce que le politologue Christian Dufour exprimait avec clarté dans La Presse du 29 mai: «On semble vouloir allègrement oublier cette réalité politique fondamentale qu'il n'est pas avisé de montrer sa faiblesse au moment où le partenaire se radicalise»... Une remarque qui s'inspire peut-être de la conception du politique d'un de Gaulle.
Toutefois, à l'heure du plan B, de la négation du droit du Québec à l'autodétermination, de la contestation de notre Loi référendaire en Cour suprême par Robert Libman et Julius Grey, des appels à la partition et à la désobéissance civile, trop rares sont ceux qui l'ont compris. Si, comme le disait avec éloquence Bernard Landry, de Gaulle «croyait en notre patrie comme il croyait à la sienne», il nous dirait sûrement que la peur des situations conflictuelles qui nous habite est la pire des conseillères et, surtout, qu'il s'agit d'oeuvrer à sa propre victoire... et non à sa défaite.
Bref, il nous expliquerait qu'être inerte, c'est être battu. Voilà bien ce que les apôtres de l'amnésie sélective, eux, semblent avoir compris depuis le 30 octobre 1995...
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