La mémoire des choses

1997

17 décembre 1997

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«D'un bout à l'autre,
_ les mêmes effets produits
_ par les mêmes causes.
_ Jusqu'à quand?»
_ Marc-Aurèle
Le plan B aura eu ses effets. Persuadés qu'un référendum tenu sur une question semblable à celle du 30 octobre 1995 serait perdu, certains souverainistes qu'on dit plus «mous» cèdent peu à peu à la tentation de diluer l'option. Par exemple, comme le notait récemment Ed Bantey, chroniqueur à The Gazette, on parle de plus en plus d'un référendum portant strictement sur le «statu de peuple» des Québécois.
C'est ce que le philosophe Maurice Champagne proposait cet automne dans les pages du Devoir comme riposte à l'avis que doit rendre la Cour suprême sur notre droit à l'autodétermination. Son plan: que le gouvernement Bouchard opte pour un étapisme en trois temps.
Un référendum où les Québécois se «reconnaissent» eux-mêmes comme peuple.
Une négociation de «peuple à peuple» avec le Canada anglais.
Le «choix d'un nouveau régime politique» découlant des négociations.
Bref - et la nuance n'est pas mince! -, on ne voterait plus sur la souveraineté, mais sur le «droit» à celle-ci. Une approche qui pourrait ouvrir la porte à d'autres options que l'indépendance. Comme si le rêve confédérationniste se repointait dès que les sondages fléchissent...
M. Champagne écrit qu'il a «consulté beaucoup de fédéralistes, dont des ex-ministres et des sénateurs, qui approuveraient ces trois étapes». On s'en serait douté! Pensons-y: une telle question serait un aveu d'impuissance, elle ne conférerait aucun mandat précis et pourrait nous suspendre dans les limbes constitutionnelles pour dix autres années. Comme le notait Michel David dans Le Soleil du 18 novembre, «ce serait aussi un excellent moyen de remettre à plus tard (ou aux calendes grecques) un référendum sur la souveraineté». Tiens, tiens... Cela doit expliquer pourquoi le ministre fédéral Stéphane Dion déclarait ce samedi qu'il répondrait «oui» à un tel référendum. C'est à se demander qui pourrait bien diriger le camp du NON. Galganov? Guy Bertrand?
Quant à Jacques Parizeau, à qui Pierre Maisonneuve demandait au Salon du Livre ce qu'il en pensait, sa réponse fut claire: «Si vous voulez faire un référendum sur toutes les évidences, vous n'avez pas fini d'en faire!» Une remarque qui lui a valu les applaudissements de la salle.
Le problème, c'est que l'idée d'un retour à l'étapisme sent le défaitisme, les faux-fuyants et l'amnésie sélective quant aux erreurs du passé. Plus profondément, elle sent l'incapacité de choisir entre le Canada et le Québec, de se penser hors du lien avec le Canada (un lien souhaitable mais non obligatoire). Surtout, elle sent la confusion alors que 1995 avait contribué à clarifier considérablement l'option et le processus devant mener à la souveraineté du Québec. Pourquoi donc songer à se réfugier dans les vapeurs brumeuses de l'étapisme?
L'idée sent la régression politique. Comme si l'on perdait la mémoire des choses. Comme si l'on oubliait comment un autre étapisme, celui de Claude Morin - ministre des Affaires intergouvernementales sous René Lévesque et ancien informateur de la GRC - aurait pu, qui sait, nous mener à un fédéralisme plus ou moins renouvelé plutôt qu'à la souveraineté. Sans compter que la tenue prévue à l'époque de deux référendums rendait le Québec particulièrement vulnérable au chantage du Canada anglais.
La mémoire des choses, c'est se souvenir qu'en 1995, la tenue d'un seul référendum évitait la confusion entre les options (le Québec serait souverain avec ou sans partenariat). Mais revenir à l'étapisme, quel qu'il soit, c'est se rendre à nouveau vulnérable. C'est oublier qu'en 1982, le rêve «confédérationniste» a rendu l'âme dans les eaux troubles du rapatriement unilatéral. C'est oublier que cette mort s'est confirmée dans l'opinion publique canadienne-anglaise à l'échec de Meech. C'est fantasmer sur une relation d'«égal à égal» sans l'indépendance.
C'est refuser de faire son deuil d'un Canada binational. C'est retourner aux hésitations d'une autre époque alors que le Québec a changé, que le Canada anglais ne veut ni d'une confédération, ni même d'un fédéralisme asymétrique. C'est oublier qu'en octobre 1995, près de la moitié des Québécois ont voté OUI. Que dans un tel contexte, toute dilution de l'option est absurde et imprudente. C'est aussi, de manière plus pragmatique, oublier le sort qu'a subi le PQ dès qu'il fut tenté par une telle dilution.
Mais la mémoire des choses est une denrée rare. Comme si l'ombre de l'étapisme ne suffisait pas, on apprenait dans The Toronto Star du 14 novembre, la «réhabilitation» de Claude Morin par le gouvernement Bouchard. Des ministres et conseillers, incluant l'entourage du premier ministre, le consulteraient de manière régulière. Et tout récemment il faisait une présentation à un colloque de Génération Québec, un groupe de jeunes professionnels souverainistes. Une présence surprenante que plusieurs chroniqueurs n'ont pas manqué de souligner.
Reste maintenant à voir si le gouvernement infirmera clairement cette hypothèse d'un nouvel étapisme, quel qu'il soit. Une hypothèse renforcée par le retour apparent de Claude Morin dans ses bonnes grâces et par l'enthousiasme que soulèverait l'idée de Maurice Champagne chez certains de ses membres. Question d'éviter toute dilution possible de l'option. Question de ne pas verser inutilement dans le défaitisme. Question de ne pas commettre les mêmes erreurs que par le passé. Question, donc, d'avoir la mémoire des choses...


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