CHRONIQUE DE LA CROQUEUSE DE MOTS (7)

Vous avez dit... "valeurs communes" ?

Chronique de Thérèse-Isabelle Saulnier

S'il y a un mot utilisé abondamment, surtout ces temps-ci, sans trop en connaître la signification, c'est bien le mot VALEURS. D'ailleurs, nos deux commissaires, messieurs Bouchard et Taylor, ont beau jeu de demander aux gens qui l'utilisent, dans leurs interventions, ce qu'ils entendent par là, et s'ils peuvent en mentionner quelques-unes. La réponse est bien souvent un: "Euhhhh..." suivi de: "l'égalité hommes-femmes, entre autres".
Dans le mandat que le gouvernement Charest a initialement donné à cette Commission, on y affirme que les valeurs fondamentales de la société québécoise sont, entre autres, "l’égalité entre les femmes et les hommes, la séparation de l’Église et de l’État, la primauté de la langue française, la protection des droits et des libertés, la justice et la primauté du droit, la protection des minorités et le rejet de la discrimination et du racisme." (Premier attendu). Le mémoire du collectif Pierre-Le-Gardeur, quant à lui, mentionne: "démocratie, égalité de tous les citoyens, égalité hommes/femmes, laïcité des institutions publiques, français langue commune".
Regardons-y de plus près. Dans cette énumération, seules l'égalité, la liberté et la justice sont des valeurs. Les autres sont soit des principes, soit des grandes orientations socio-culturelles à l'origine du Droit. D'ailleurs, le collectif Pierre-Le-Gardeur reconnaît, un peu plus bas, que ce sont plutôt des principes: "Nous avons énoncé plusieurs principes qui devraient guider notre position: égalité, laïcité, langue commune, continuité culturelle, rejet du multiculturalisme." - Il s'agit donc bel et bien de principes, et non de valeurs. Puisque j'ai été prof de philo et que j'ai donné un cours annuel sur les valeurs pendant 30 ans, ma foi, je pourrais aujourd'hui croquer ce mot pour en faire sortir la vraie nature! On verra, après, si on peut parler de "valeurs spécifiquement québécoises".
DÉFINITION DU MOT VALEUR
L'une des meilleures définitions qui ait été donnée du mot valeur nous vient du sociologue québécois Guy Rocher: "Une manière d'être ou d'agir qu'une personne ou une collectivité reconnaissent comme idéale et qui rend désirables ou estimables les êtres ou les conduites auxquels elle est attribuée. /.../ En tant qu'idéal, la valeur implique donc l'idée d'une qualité d'être ou d'agir supérieure à laquelle on aspire ou dont on s'inspire."
L'important, dans cette définition, c'est le mot "idéal": ce qui est recherché à travers une valeur, c'est un état, une réalité qui n'existe pas encore mais qui représenterait une vie idéale, quasi parfaite. Ah! Si tous les êtres humains étaient en sécurité, en santé, libres et autonomes, respectés, égaux, fraternels, solidaires, créateurs et impliqués dans la vie sociale et politique! Ah! Si nous avions un monde de justice, d'égalité, de paix, d'harmonie, de beauté, d'amour, de sagesse, de bonheur et de partage! Ce serait... le paradis sur terre!
Eh! bien, les voilà, les valeurs fondamentales auxquelles tout le monde aspire, et c'est pourquoi on les dit, aussi, universelles. Ces valeurs, elles nous permettent d'orienter notre action, tant individuelle que sociale, et de déterminer un ordre idéal vers lequel, normalement, l'évolution historique, à travers des luttes parfois épiques, nous mène ou doit nous mener. On se fixe des buts, des idéaux, puis on juge nos actes et ceux d'autrui en fonction et à la lumière de ces idéaux. Pour ne prendre que l'égalité, avouons que l'humanité a fait beaucoup de chemin sur ce point, mais il reste encore beaucop à faire pour qu'elle soit réelle.
C'est aussi au nom de ces valeurs, ou de l'une d'entre elles, ou de quelques-unes d'entre elles, que l'on se prononce sur des questions majeures tournant toutes, finalement, autour du sens de la vie, et que nous développons notre propre philosophie, c'est-à-dire notre propre conception de la vie, du monde ou de tel sujet à débat. A bien y regarder, on s'aperçoit que la valeur la plus importante, au fond, celle autour de laquelle gravitent et se justifient toutes les autres, c'est la personne, le respect et la dignité de tous les êtres humains. Toutes les chartes et déclarations de droits et de libertés sont fondées sur ce respect, sur la personne humaine, coeur et centre de tout.
Aux valeurs, qui sont recherchées pour elles-mêmes et non en vue d'autre chose (des fins en soi et non des moyens), sont rattachées des attitudes ou qualités morales telles le courage, la discipline, l'écoute, l'empathie, la tolérance, la solidarité, l'ouverture d'esprit, l'honnêteté, la probité, l'altruisme, la gentillesse, le civisme, etc., qui sont appréciées chez qui les possède parce qu'elles sont des moyens pour réaliser les valeurs. Y sont aussi rattachés des principes guidant nos choix, nos prises de décision et nos actions. Un principe est une règle d'action qui s'appuie sur un jugement de valeur et constitue un modèle, une règle ou un but. C'est le cas, par exemple, de la séparation de l'Eglise et de l'Etat dans nos sociétés démocratiques modernes.
Notons, enfin, que des institutions comme l'école, l'Église, l'État, la famille, les hôpitaux, etc., ne sont pas des valeurs mais bel et bien des institutions. Les domaines d'activité comme le travail, le loisir, l'art, le sport, la science, la philosophie, la morale, la politique, la religion ne sont pas davantage des valeurs, mais bien des moyens en vue de réaliser des valeurs: la santé dans les hôpitaux, la créativité dans le travail et les loisirs, le dépassement de soi dans le sport, la vérité dans la science et la philosophie, la beauté et la créativité dans l'art, le bien dans la morale et la religion. En philosophie, toutes les valeurs se résument par "les trois transcendantaux": le Bien, le Vrai et le Beau.
A LA RECHERCHE DES VALEURS ET DES PRINCIPES PROPRES À LA SOCIÉTÉ QUÉBÉCOISE
Pour définir l'identité québécoise, on cherche actuellement à préciser nos "valeurs communes", auxquelles devraient adhérer toute personne habitant le territoire du Québec. C'est là où nous en sommes, après deux mois de consultations publiques, après cette formidable et extraordinaire prise de parole collective qui connaîtra bientôt son apogée à Montréal. D'un point de départ "toutes directions", nous voici maintenant recentrés sur l'essentiel: Qui sommes-nous? Quelles sont nos valeurs et quels sont les grands principes qui guident, ou doivent guider notre société? AU NOM DE QUOI allons-nous, éventuellement, modifier nos lois et nos chartes des droits et libertés, s'il faut aller jusque là? - Je crois, quant à moi, que tout cela est déjà sur la table. Il suffit de faire la synthèse, ce à quoi je m'attèle immédiatement.
- Le principe de l’égalité entre les femmes et les hommes.
- Le principe de la séparation de l’Église et de l’État, c'est-à-dire une société laïque, dans laquelle la pratique religieuse relève du domaine privé.
- Le principe de la primauté de la langue française comme moyen de communication et d'intégration à la société et à la culture québécoise, qui est franco-américaine.
- Le principe de l'interculturalisme, et non du multiculturalisme, comme base du respect de la pluralité et base de l'intégration.
- Le principe de la primauté des droits collectifs sur les droits individuels et ce, dans le cadre précis de la laïcité des institutions publiques et du français comme langue commune.
- Les grandes valeurs démocratiques que sont l'égalité de tous et de toutes, la liberté, la justice et l'équité, impliquant la primauté du Droit (québécois et non candadien) et le rejet de la discrimination et du racisme.
- Les grandes valeurs de la modernité, humanistes et progressistes, que sont la souveraineté populaire, libre de toute contrainte religieuse (la laïcité) ou arbitraire (société de droit), la primauté de la raison sur les croyances religieuses, l'émancipation vis-à-vis de certaines traditions opposées à nos valeurs et principes de base, le libéralisme (au sens large), le progrès (l'avancement de l'humanité), le bien commun, la liberté sexuelle, le pluralisme, l'ouverture et la tolérance.
***
Nous avons donc les principes, qui sont partagés par une très large majorité de Québécois et de Québécoises de toutes origines. Quant aux valeurs communes du Québec, c'est plus vague et moins sûr, puisque nos valeurs sont celles de l'Occident dans son ensemble, incluant l'Amérique du Nord, plutôt que spécifiques au Québec. Toutefois, si l'on pense au fait que les valeurs sont toujours hiérarchiques, tant pour un individu que pour une société (ce qu'on appelle une échelle de valeurs), on pourrait se demander quelles sont les valeurs les plus importantes pour le Québec, celles qui sont en tête de liste et qui sont non négociables. - Exercice difficile et périlleux, d'autant plus que même si on réussissait à établir l'échelle québécoise des valeurs, on se retrouverait pris avec le sens que chacune de ces valeurs peut avoir... Par exemple, ce qui est juste pour l'un peut être considéré injuste par l'autre... L'égalité entre hommes et femmes ne signifie pas la même chose pour un Occidental que pour certains adeptes de l'islam, du moins dans son application concrète... (j'y reviendrai prochainement.)
Donc, contentons-nous modestement de parler de PRINCIPES et non de VALEURS et, à partir de ces principes, nous pouvons parfaitement nous prononcer sur des cas précis en examinant s'ils les respectent ou non. Mais là, j'ai tellement mangé que je dois quitter la table et laisser reposer mon estomac! Sans compter que... "le diable est dans les détails", comme on dit!


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1 commentaire

  • Jacques Deschenes Répondre

    11 décembre 2007

    Oui c'est vrai que nous sommes à une croisée des chemins en ce qui concerne le choix des valeurs et des principes auxquels nous aimerions ou aimons adhérer. Le problème majeur se situe sur le comment est-ce que cette discussion doit se tenir afin de faire un tout homogène et inclusif.
    Vivre sa foi ou vivre selon une conviction est une chose et en faire une démonstration ouverte et propagandiste en est une autre. J'ai souvent dit que les manifestations d'une conviction doivent amener une amélioration de la qualité de vie entre individus. Ceci présuppose une ouverture, une sensibilité et une grande compassion. Mais lorsque je défends une couleur précise d'une religion donné est-ce que je suis capable d'utiliser ma sensibilité d'être humain ou est-ce que je réfère constamment à un dogme qui a choisi pour moi ce que je dois penser? En d'autres mots, qu'on me montre le fruit d'une démarche, qui équivaut à plus d'humanisme, et que l'on cesse de me démontrer que telle appartenance religieuse est la meilleure.
    Les valeurs authentiques sont sensiblement tous les mêmes pour les individus ( sécurité, amour, accomplissement ). Ce qui varie beaucoup cependant, c'est dans la façon de les appliquer. Certaines personnes y vont par leur expériences personnelles et d'autres préfèrent s'en tenir à suivre les dogmes, qui est selon moi est une fermeture en soi, car tous les dogmes contiennent des principes restrictifs.
    Pour une vraie discussion il faut rencontrer l'autre dans sa globalité et non seulement au travers le filtre de sa croyance communautaire et ou religieuse. Lorsque je veux absolument faire la démonstration extérieure de mon appartenance religieuse, je mets l'accent non sur la qualité de vie de mon engagement personnel mais sur la propagande du groupe auquel j'appartiens.
    Si nous voulons développer une discussion sincêre avec tous les partenaires sociaux, il est important que cela se fasse entre individus et non sous la bannière religieuse. Toute influence est bonne,religieuse comprise, quand il s'agit de trouver une inspiration quelquonque à une meilleure vie mais devient néfaste quand elle devient l'unique point de référence.