Voilà une Commission pas mal plus relaxante, réjouissante et rafraîchissante que l'autre! "La Commission Boucar pour un raccommodement raisonnable", paru aux éditions Les intouchables, février 2008.
Dire que c'est un immigré qui nous redonne confiance! Qui dit haut et fort, sans aucune crainte d'offenser la belle rectitude politique, ce qu'au fond tout le monde pense tout bas et n'ose formuler, généralement, qu'après avoir pris soin de mettre des gants plus blancs que blancs. A croire que c'est un privilège d'être Noir - ou "non-Blanc" - pour avoir la pleine liberté de parole sans être automatiquement jugé xéno...
Boucar Diouf, originaire du Sénégal, plus spécifiquement Sérère, océanographe mieux connu comme humoriste, parfaitement bien intégré sans être assimilé, se définit comme un Afro-Québécois, un "Québécois pure laine vierge de mouton noir minoritaire visible le jour et invisible la nuit" (p.49). Plus joliment encore, comme "un baobab recomposé: un arbre dont les racines sont africaines, dont le tronc est sénégalais et le feuillage, québécois" (p.85).
Pour désigner différents types d'immigrants, Diouf invente le mot "rotsac" (ne pas chercher dans le dictionnaire mais lire à l'arabe), qui serait un cousin lointain du castor, et y distingue trois espèces: le rotsac à pelage variable, celui qui a une grande capacité d'adaptation et engendre une nouvelle race par métissage, le rotsac à pelage tacheté, celui qui vit en ghetto, sans vouloir déranger personne, et le rotsac roux, celui qui refuse de s'intégrer et qui s'impose ou cherche à s'imposer. Diouf fait partie de la première catégorie et il n'a pas peur de critiquer, parfois très sévèrement, les deux autres.
UN QUI N'A PAS PEUR
Il n'a pas peur d'être accusé de racisme, d'intolérance ou de xénophobie et nous conseille de nous défaire de cette peur, qui étouffe dans l'oeuf tout débat social sans jamais régler les problèmes.
Il n'a pas peur de parler des accommodements comme de "caprices de certaines minorités religieuses issues de l'immigration" (p.13), de "conneries engendrées par une intégration défaillante" (p.97) et de privilèges qui renforcent le repli identitaire (p.141).
Il n'a pas peur de dire que c'est aux immigrants de s'adapter aux us et coutumes du pays d'accueil et qu'ils doivent les connaître et le savoir avant d'arriver. Selon lui, c'est même là une idée qui fait l'unanimité, suite à ce qu'on a entendu à la Commission Bouchard-Taylor. Quand on va vivre dans un pays, ne serait-ce que quelques semaines, on doit respecter les règles du savoir-vivre qui y ont cours. C'est à nous de les connaître et de nous y adapter, bref, de savoir "changer ses habitudes en fonction d'un nouvel environnement". Voilà ce qui s'appelle l'adaptabilité (p.59).
Il n'a pas peur de dire qu'il faut "s'imprégner de la culture de sa terre d'accueil" (p.60) au lieu d'exiger des accommodements pour y transplanter sa culture d'origine.
Il n'a pas peur de dire que c'est à l'immigrant d'aller vers l'autre (un simple sourire suffit souvent!), que c'est à lui de poser un geste d'ouverture (p.67).
Il n'a pas peur de dire (oh! sainte horreur!) que si certains ne veulent pas parler français au Québec, ils n'ont qu'à aller s'installer dans une province anglophone (p.28)! Ou encore, double sainte horreur, que s'ils tiennent à se plier aux exigences du fondamentalisme religieux, "pourquoi ne pas leur proposer un billet de retour pour leur pays d'origine?" (p.157)
Il n'a pas peur de dire que le multiculturalisme canadien mène à la ghettoVsation et au repli identitaire et, tenez-vous bien, qu'il "a permis aux chiâleurs venus d'ailleurs de se concocter, dans leur pays d'accueil, une petite contrée à l'image de celles qu'ils avaient quittée" (p.20).
Il n'a pas peur de dire que les régions ont aussi droit de parole et de dénoncer ce qui les dérange, Montréal exerçant une influence sur tout le reste du Québec (p. 93). D'ailleurs, mieux vaut, dit-il, passer par une région pour s'intégrer plus vite, pour se "laisser gagner par la culture" et s'obliger aux contacts. Il va même jusqu'à imaginer - quel toupet, avouez! - un test d'intégration qui, si échoué, contraindrait à passer deux ans dans une "zone rurale" désignée par tirage au sort!!! (p.97)
Il n'a pas peur de dire que certaines communautés ont des pratiques contraires aux valeurs libérales de leur société d'accueil (p.19) et que les exigences d'accommodement débouchent sur des revendications ou actes qui remettent en cause les valeurs fondatrices des sociétés modernes (p.140). C'est un véritable test auquel nous sommes soumis, et on ne doit pas se laisser avoir.
BOUCAR DIOUF ET LES ACCOMMODEMENTS POUR MOTIFS RELIGIEUX
Il est en faveur de bannir tout signe d'appartenance religieuse dans les établissements publics, surtout s'ils évoquent, dans d'autres pays, des signes d'oppression ou de formes de discrimination (p.142). "Allons-y d'un NON sonore à la moindre demande d'accommodement religieux", écrit-il (p.157), et ce, au nom de la laïcité. Bien entendu, cela ne concerne pas seulement les minorités mais aussi la majorité. Donc, plus de crucifix trônant à l'Assemblée nationale, ni de prière inaugurale des conseils municipaux.
En ce qui concerne tout particulièrement l'Islam (sa religion, si j'ai bien compris), il n'a pas peur de dire qu'elle doit s'adapter aux réalités contemporaines, aux réalités d'une société moderne et libérale (p.150). Très généralement pratiquée avec retenue, tolérance et DISCRÉTION, c'est une petite poignée de fondamentalistes activistes qui créent les problèmes et suscitent - à juste titre - des poussées d'urtiquaire. Ce sont eux qui portent préjudice à leur religion et qui font remettre en question le multiculturalisme.
DES FAIBLESSES
Un beau petit livre, donc, dont devraient s'inspirer nos deux commissaires et leurs 15 experts pour la rédaction définitive de leur rapport. Evidemment, il n'est pas parfait. L'argumentation repose presque uniquement sur l'expérience personnelle, le vécu de l'auteur, et il me semble avoir mal compris les réticences de nombreux Québécois et Québécoises envers les accommodements pour motifs religieux. Il dit, en effet, que nous sommes "réfractaires aux autres religions", que nous craignons "que d'autres croyances occupent le terrain" (p.159) et que nous redoutons certains cultes religieux (p.162). Voilà qui est aller pas mal trop vite en affaire, et oublier bizarrement ce qu'il a lui-même affirmé, à savoir que nous nous opposons non pas à des religions, mais à certaines pratiques ostentatoires et anti-modernes. - Point sur lequel je reviendrai dans mes chroniques subséquentes, car je suis loin d'en avoir fini avec la liberté de religion!
Faites-vous plaisir et faites plaisir à vos amis: lisez ce petit livre et faites-le lire, ça en vaut la peine!
CHRONIQUE DE LA CROQUEUSE DE MOTS
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1 commentaire
Jacques Deschenes Répondre
18 mars 2008Merci pour cette belle découverte. Je n'ai pas lu le livre mais vous avez piqué ma curiosité.
C'est bien, voir même très bien, qu'une personne immigrée ici mais qui a fait le choix de l'intégration à la société tout en vivant sa religion de façon intérieure et discrète, émette des opinions aussi tranchées et pleines de sens.
J'aime bien les gens qui ont et font de l'humour car pour être capable de rire d'une situation il faut prendre du recul et c'est ce que fait Boucar. Faudrait le citer plus souvent et le prendre comme exemple non ?