Dans son éditorial du 30 mars 2019, intitulé « Religious signs, and symbols of intolerance », le Globe and Mail compare le projet de loi no. 21 sur la laïcité de l’État du gouvernement Legault au Serment du Test imposé après la Conquête par la Proclamation royale de 1763, qui obligeait les Canayens, en grande majorité de foi catholique, « à choisir entre leur religion et la pleine citoyenneté ».
Le Globe ne rappelle l’existence du Serment du Test que pour signaler la mansuétude du conquérant britannique qui a posé un geste « révolutionnaire », inédit dans l’Empire britannique, en supprimant le Serment du Test dans l’Acte de Québec de 1774. Mais il y a quelques « oublis » historiques dans l’évocation du Serment du Test et son abandon, dont le contexte historique, le sens politique véritable de l’Acte de Québec et l’objectif réel de la politique britannique tel que reformulée par Lord Durham.
Le Serment du Test et son contexte
Le Serment du Test avait pour but d’exclure aux catholiques d’occuper une charge quelconque dans les domaines politiques, juridiques et administratifs en les obligeant à abjurer leur foi. Il accompagnait deux autres mesures visant à favoriser l’établissement d’émigrants anglo-saxons au Québec et à intégrer au sein de l’Empire britannique les populations et les territoires conquis, soit l’abrogation des lois civiles et criminelles françaises au profit des lois anglaises, l’établissement de l’Église anglicane en tant que seule Église établie.
The Globe « oublie » commodément le contexte géopolitique de ce geste « révolutionnaire » qu’a constitué l’abandon du Serment du Test. L’immigration promise n’étant pas au rendez-vous, les gouverneurs Murray et Carleton se sont bien gardés, entre 1763 et 1774, d’appliquer à la lettre la Proclamation royale de crainte que la population du Québec rallie la Révolution américaine en gestation.
C’était aussi l’objectif de l’Acte de Québec de 1774, qui légalisait le libre exercice de la religion catholique et reconnaissait le droit civil français (et les seigneuries) dans le but de sceller une alliance politique entre les autorités britanniques et l’Église catholique.
L’alliance a été reconduite dans l’Acte constitutionnel de 1791, qui prévoit la création d’une Chambre d’Assemblée pour répondre aux voeux des marchands anglais du Québec et des loyalistes, qui ont fui la Révolution américaine de 1776 pour s’installer au Canada et qui refusent d’être soumis aux lois civiles françaises. L’Acte constitutionnel visait trois objectifs : séparer le Canada en deux provinces, le Haut-Canada (Ontario) et le Bas-Canada (Québec); accorder une Chambre d’Assemblée, tout en assurant à Londres le contrôle effectif des colonies par les pouvoirs accorder au Gouverneur et à une Chambre aristocratique; permettre la pénétration de l’émigration anglaise. Ces trois objectifs susciteront des crises économiques, constitutionnelles, politiques, sociales et nationales qui aboutiront à la double rébellion de 1837 dans le Haut et le Bas Canada et celle de 1838 au Bas-Canada.
Le Rapport Durham et deux manières de traiter un territoire conquis
Après la Rébellion des Patriotes, Londres envoie au Canada Lord Durham pour enquêter sur les causes des soulèvements. Dès le début de son célèbre Rapport, Durham établit le diagnostic suivant : « Je m’attendais à trouver un conflit entre le gouvernement et le peuple; je trouvai deux nations en guerre au sein d’un même État; je trouvai une lutte, non de principes, mais de race. Et je m’aperçus qu’il serait vain d’essayer d’améliorer les lois ou les institutions avant que d’avoir réussi à exterminer la haine mortelle qui, maintenant, sépare les habitants du Bas-Canada en deux groupes hostiles : Français et Anglais ».
Dans son Histoire de la résistance du Canada au gouvernement anglais, Louis-Joseph Papineau conteste l’analyse de Lord Durham en précisant que plusieurs des chefs Patriotes étaient d’origine britannique (Wolfred et Robert Nelson, Emund Bailey O’Callaghan, Thomas Sorrow Brown) et qu’un soulèvement similaire s’était produit au Haut-Canada.
Pour Lord Durham, « il y a deux manières pour un gouvernement de traiter un territoire conquis ». Il explique :
« La première est de respecter les droits et la nationalité des premiers occupants, reconnaître les lois en vigueur, conserver les institutions établies, ne donner aucun encouragement quelconque à l’immigration du peuple conquérant, et sans tenter de modifier aucun élément de la société, incorporer simplement la province sous l’autorité générale du gouvernement central.
« La seconde, c’est de traiter le territoire conquis comme un pays ouvert aux conquérants, d’encourager l’immigration de ces derniers, de regarder la race conquise comme entièrement subordonnée et de s’efforcer aussi promptement que possible d’assimiler la mentalité et les institutions des nouveaux sujets à ceux de la grande masse de l’Empire. »
La seconde manière était celle de la Proclamation Royale, qu’il veut réhabiliter. « Il y avait, écrit Durham, les signes manifestes d’une intention d’adopter la seconde et la plus sage des deux méthodes ». Mais, par la suite, les autorités impériales se sont mises à « tergiverser », selon son expression, pour contrer la Révolution américaine et à « cultiver la nationalité canadienne-française comme un moyen de la séparer à perpétuité et complètement de ses voisins » et de se concilier les Canadiens français « par la conservation de leur langue, de leurs lois et de leurs institutions religieuses ».
Il condamne donc la politique de « tergiversation » de 1764 à 1791, ainsi que l’Acte de Québec et l’Acte constitutionnel de 1791, qui a permis aux Canadiens français de contrôler et de paralyser l’Assemblée du Bas-Canada. Une fois le diagnostic établi, le remède social est tout trouvé : la lente assimilation des Canadiens français. Il écrit :
« Je n’entretiens aucun doute au sujet du caractère national qui doit être donné au Bas-Canada : ce doit être celui de l’Empire britannique, celui de la majorité de la population de l’Amérique britannique, celui de la grande race qui doit, à une époque prochaine, être prédominante sur tout le continent de l’Amérique du Nord. Sans opérer le changement ni trop rapidement ni trop rudement pour ne pas froisser les sentiments et ne pas sacrifier le bien-être de la génération actuelle, l’intention première et ferme du gouvernement britannique doit à l’avenir consister à établir dans la province une population anglaise avec les lois et la langue anglaises, et à ne confier le gouvernement de cette province qu’à une Assemblée décidément anglaise. »
L’Acte d’Union de 1840
Faisant suite aux recommandations de Lord Durham, le Parlement britannique adopte en juillet 1840 l’Acte d’Union, qui abolit l’Acte constitutionnel de 1791, et réunit le Haut et le Bas-Canada dans une nouvelle entité, le Canada-Uni. La Chambre d’Assemblée est formée de 42 députés du Canada-Ouest (Ontario) et de 42 députés du Canada-Est (Québec), même si la population du Canada-Est compte 200 000 personnes de plus. Une majorité est acquise aux Canadiens anglais avec la présence de députés canadiens-anglais parmi la députation du Canada-Est.
L’article 41 de l’Acte décrète que les documents de la législature ne seront « que dans la langue anglaise ». Une clause de l’Acte d’Union stipule que les dettes des deux Canada sont fusionnées, ce qui avantage le Canada-Ouest étant donné que la dette du Haut-Canada était de 1 200 000 louis et celle du Bas de 95 000 louis.
Puis, pour différentes considérations géopolitiques, les autorités britanniques n’ont pas été en mesure d’appliquer totalement la « seconde manière de traiter un territoire conquis » privilégiée par Durham, tout comme il en avait été pour la Proclamation royale de 1763 mais, par différentes dispositions politiques et constitutionnelles, ont maintenu le Québec en tutelle.
A priest ridden province
L’alliance entre les autorités britanniques et l’Église catholique dans l’Acte de Québec a été reconduite après la Rébellion des Patriotes, condamnée par le haut clergé, et dans la Confédération de 1867. Jusqu’en 1960, l’Église a constitué un État dans l’État, qui a façonné le caractère distinct du peuple québécois.
Avec la Révolution tranquille, l’État a récupéré les pouvoirs de l’Église et a acquis la légitimité de légiférer sur les relations entre l’État et les religions. Au contraire de l’approche anglo-saxonne, basée sur la neutralité de l’État, le Québec a développé une approche républicaine où « la nation québécoise a des caractéristiques propres, dont sa tradition civiliste, des valeurs sociales distinctes et un parcours historique spécifique l’ayant amenée à développer un attachement particulier à la laïcité de l’État », comme l’affirme le premier considérant de la loi no. 21 sur la laïcité de l’État.
L’abrogation du Serment du Test était peut-être un acte « révolutionnaire » dans le cadre de l’Empire britannique, mais la proclamation de la laïcité de l’État, qui relègue les religions dans la sphère privée, est certainement une mesure progressiste en ce début de XXIe siècle marqué par l’irruption des religions sur la scène politique.
Le Globe and Mail s’insurge aujourd’hui du fait que le gouvernement Legault utilise la clause nonobstant pour se soustraire à la tutelle de la Cour suprême du Canada. L’ironie est que la clause dérogatoire a été incorporée dans la Constitution de 1982 à la demande des provinces anglophones qui, fidèle à la tradition britannique, désiraient que puisse être maintenue la suprématie du Parlement sur les tribunaux. (Il n’y a pas de Charte des droits ni de Cour suprême en Angleterre).
En invoquant la clause dérogatoire, le gouvernement se situe dans la plus pure tradition de Louis-Joseph Papineau et des Patriotes, qui étaient passés maîtres dans l’utilisation du droit britannique contre les lois anglaises.