Selon un sondage Léger réalisé début janvier pour l’Association d’études canadiennes (AEC), 55 % des répondants au Québec appuient l’application de la loi 21 aux enseignants. Seulement 35 % la désapprouvent. Les sans opinion ou refus de répondre composent le 10 % qui reste.
Un tel degré d’approbation de l’élément le moins consensuel de la loi 21 impressionne. Compte tenu, surtout, du tollé entretenu en décembre autour de la réaffectation de l’enseignante Fatemeh Anvari à un autre poste dans une école anglaise de Chelsea, en banlieue de Gatineau, parce qu’elle persistait à enfreindre une de ses conditions d’embauche en portant son hidjab en classe.
Un questionnaire pipé
Car Jack Jedwab, président de l’AEC, a lourdement pipé son questionnaire contre cet élément de la loi. Son rapport du sondage (voir le site de l’AEC) nous informe qu’il avait pris soin de « fournir un contexte pertinent aux répondants ». En effet, son questionnaire débutait par un préambule qui en beurre épais : « Le projet de loi 21 du Québec interdit aux enseignants des écoles publiques de porter des symboles religieux (p. ex. hijabs, croix, turbans et kippas). Pour protéger la loi contre les contestations judiciaires fondées sur les dispositions relatives à la liberté de religion des chartes québécoise et canadienne des droits, le gouvernement du Québec a utilisé la clause dérogatoire pour limiter les recours judiciaires sur cette base. Néanmoins, la Cour supérieure du Québec a jugé que le projet de loi 21 violait le droit des minorités de langue anglaise de gérer leurs institutions et a exempté les commissions scolaires de langue anglaises de son application. Le gouvernement du Québec fait appel de cette décision qui sera finalement entendue par la Cour suprême. Certains maires de villes hors Québec sont prêts à soutenir le groupe qui s'oppose au projet de loi devant les tribunaux. Alors que le projet de loi continue d'être appliqué, en décembre 2021, une enseignante québécoise qui porte un hijab a perdu son poste d'enseignante. »
Après cette émouvante mise en scène, Jedwab insiste : « Compte tenu de l’évolution récente des questions relatives au projet de loi 21, pouvez-vous nous dire si vous êtes tout à fait d’accord, plutôt d’accord, plutôt en désaccord ou tout à fait en désaccord avec les énoncés suivants » avant de poser, enfin, la question : Je soutiens l’interdiction du port de symboles religieux visibles par les enseignants des écoles publiques. »
Jedwab fait ensuite comme si les réponses à cette question particulière étaient comparables aux réponses aux questions d’ordre plus général posées lors de sondages antérieurs. Dans le titre du tableau principal de son rapport, il proclame une baisse d’appui à la loi 21 : « L’appui à l’interdiction des symboles religieux visibles diminue au Québec par rapport aux sondages précédents. »
Or, aucun des sondages précédents ne comptait de question portant exclusivement sur le port de signes religieux par les seuls enseignants. Tous concernaient l’application de la loi 21 à l’ensemble des employés du secteur public « en position d’autorité », policiers et juges compris. Tous ont constaté un même degré d’appui : 65 % en novembre 2018 selon Crop ; 65 et 64 % respectivement en décembre 2018 et mai 2019 selon Angus Reid, et 66 et 64 % en avril 2019 et septembre 2021 selon Léger.
Par conséquent, l’appui de 55 % rapporté par Jedwab n’indique en rien une diminution en regard des 64, 65 ou 66 % obtenus en réponse à une question plus globale aux sondages antérieurs. D’une part, parce que Jedwab a lourdement dramatisé sa question de manière à susciter un maximum de désapprobation. D’autre part, et surtout, parce que l’appui à l’interdiction du port de signes religieux est tout simplement plus élevé pour les juges et les policiers que pour les enseignants.
Les grands médias tombent dans le panneau
La Presse canadienne, Le Devoir et plein d’autres médias sont tombés tout contents dans le panneau. Avec la manchette « L’appui à la loi sur la laïcité baisserait au Québec, selon un sondage », ils ont relayé cette nouvelle tentative d’orienter l’opinion des Québécois, sans regarder s’il y avait peut-être anguille sous roche. La réputation de Jedwab en cette matière n’était pourtant plus à faire.
Il s’est même permis dans son rapport de mentir effrontément : « Le sondage a été réalisé par le biais (sic !) d’un panel web […] et a une marge d’erreur probabiliste de 2,9 % 19 fois sur 20. » Or, Jedwab sait parfaitement qu’il est impossible de calculer une marge d’erreur probabiliste pour un échantillon tiré d’un tel panel, du fait que celui-ci est constitué par autorecrutement, c’est-à-dire aucunement par hasard. Les médias le savent parfaitement aussi. Cela aurait dû leur mettre la puce à l’oreille.
Un tableau secondaire du rapport Jedwab porte un autre titre à sensation : « Un écart générationnel massif chez les Québécois quant à l’appui à la loi 21 ». Ça aussi, les médias l’ont gobé tout rond. Selon la dépêche de La Presse canadienne, d’abord largement répandue par les médias le 16 janvier, puis magnifiée jusqu’au délire par la chroniqueuse Francine Pelletier dans Le Devoir du 19 janvier, « ce sont les répondants âgés de 65 à 74 ans qui appuient le plus cette interdiction [du port de signes religieux par les enseignants] à 73,9 %, comparativement à seulement 27,8 % de ceux âgés de 18 à 24 ans. »
Or, l’échantillon – non aléatoire – de Québécois sondés par Léger pour Jedwab ne comptait que 37 répondants âgés de 18 à 24 ans et 40 âgés de 65 à 74 ans. En toute vraisemblance, aucun des 18-24 ans n’avait un enfant d’âge scolaire ; et plusieurs des 65-74 ans avaient des comptes à régler avec la religion – qui leur avait « volé leur jeunesse ».
Fort appui chez les répondants susceptibles d’avoir des enfants à l’école
En revanche, parmi les 333 répondants québécois susceptibles, eux, d’avoir des enfants au primaire ou au secondaire, les 25-34 ans, déjà, se partageaient de façon égale, avec 41 % en faveur de l’interdiction du port de signes religieux par les enseignants, et 41 % contre. Et chez les 35-44, 45-54 et 55-64 ans, l’appui à cet élément particulier de la loi 21 était respectivement de 53, 59 et 58 %, soit, compte tenu du nombre de répondants en jeu, un degré d’approbation aussi solide qu’invariable.
« Écart générationnel massif », mon œil.
En cette ère de gouvernement par sondage, journalistes et médias – dont tout particulièrement le prestigieux Devoir – se doivent de prévenir pareilles tentatives de manipulation de l’opinion au lieu de s’en faire complice.
Mais voyons donc. Voilà que je me remets à rêver en couleurs.
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