La loi 101 n’a que fort peu amélioré le bilan global du français sur le plan, décisif entre tous, de l’assimilation. Dans ma dernière chronique, nous avons vu que du progrès apparent de 46 points du français en cette matière depuis 1971, un bon deux tiers a été provoqué de façon totalement artificielle par des modifications apportées au questionnaire de recensement. La composition nouvelle de l’immigration allophone, devenue majoritairement francotrope, compte pour la majeure partie du reste. À peine 7 points du progrès en question seraient attribuables à la loi 101.
Le français doit gagner 40 points de plus avant de tirer de l’assimilation le profit qui lui revient. La barre demeure ainsi extrêmement haute. D’autant plus que, depuis le début des années 2000, les francophones eux-mêmes se sont remis à passer à l’anglais à la maison. Il ne suffira donc pas d’orienter beaucoup plus carrément les nouveaux arrivants allophones vers le français. Il faudra aussi stopper net l’assimilation des francophones à l’anglais.
Étendre la loi 101 au bac
Devant ce double défi, le projet de loi 96 tombe à plat. À la commission parlementaire sur le sujet, j’ai proposé par conséquent d’étendre la loi 101 jusqu’au baccalauréat et de rétablir le français comme unique langue d’affichage commercial.
Mon mémoire résume l’abondante recherche à l’appui d’étendre la loi 101 jusqu’au cégep, déjà rassemblée dans mon recueil de chroniques Libre-choix au cégep. Un suicide linguistique (Éditions du Renouveau québécois), publié en 2017. Diffusés après sa parution, les résultats du recensement de 2016 m’ont permis d’ajouter que 12 400 jeunes francophones de plus s’étaient assimilés à l’anglais entre 2011 et 2016. Le point de bascule est donc bien dépassé et l’anglicisation du Québec, bien en marche.
Cependant, étendre la loi 101 au cégep ne rehausserait pas suffisamment le statut du français pour redresser la situation. Il s’agit de sortir le français de son rôle de langue infantile, tel qu’analysé par Marc Chevrier dans Le Devoir du 30 mars dernier. Trop de nouveaux arrivants, trop de francophones de souche en sont venus à considérer l’école française comme une embêtante figure imposée, avant de pouvoir passer à l’anglais pour leurs études supérieures. Étendre la loi 101 uniquement au cégep ne ferait que prolonger un peu l’attente. L’étendre jusqu’au bac conférerait au français un statut autrement déterminant.
Réimposer l’affichage unilingue
En ce qui concerne la seconde mesure, rien dans le projet de loi 96 n’oblige les immigrants adultes qui ignoraient le français à leur arrivée, à l’apprendre et à l’employer dans leur vie quotidienne. L’affichage commercial en français seulement leur ferait, au contraire, de l’apprentissage et de l’utilisation du français un devoir pratique de tous les jours. De 1978 à 1993, la transformation du paysage linguistique opérée par la loi 101 dans sa version d’origine a communiqué ainsi à tout venant qu’au Québec, c’est le français, la langue commune.
Pendant quinze ans, le nouveau visage français du Québec n’a pas uniquement transmis ce message cinq sur cinq aux nouveaux immigrants. Il le signalait tout aussi nettement aux migrants interprovinciaux en provenance d’ailleurs au Canada, qui débarquent le plus souvent à Montréal ou dans l’Outaouais. En vérité, de façon plus puissante et immédiate que toute autre mesure de la loi 101, il effectuait une promotion de tous les instants du français comme langue commune de tous les Québécois. Y compris entre francophones et anglophones de souche.
Dans cette optique, les positions de la Cour suprême du Canada et du Comité des droits de l’homme de l’ONU concernant l’affichage en français seulement demeurent éminemment discutables. Car quel que soit le degré de prédominance du français, l’affichage bilingue rend la connaissance et l’usage du français facultatifs.
Persistance dans l’ignorance du français
On peut considérer, en effet, que c’est depuis l’adoption de l’affichage bilingue préconisé par la Cour suprême que l’anglais a recommencé à tasser le français. Statistique Canada vient d’estimer que parmi les immigrants qui arrivent au Québec à l’âge adulte sans connaître le français, 67 % l’ignorent toujours après dix ans de séjour dans la province. Une semblable persistance dans l’ignorance du français vaut sans doute aussi pour les migrants en provenance du reste du Canada, qui jouissent en outre, depuis le coup de force constitutionnel de 1982, du libre choix de la langue d’enseignement pour leurs enfants au primaire et au secondaire. Raison de plus pour rétablir l’affichage en français.
Quant à l’usage de l’anglais au lieu du français comme langue commune entre francophones et anglophones de souche, cela reste toujours la norme dans les milieux à forte population anglophone. La MRC de Pontiac, dans l’ouest de l’Outaouais, en demeure la championne toute catégorie. Au recensement de 2016, 72 % des anglophones du Pontiac ignoraient toujours le français, alors que seulement 15 % de ses francophones ignoraient l’anglais. Pas difficile de deviner quelle langue y joue le rôle de langue commune. Une situation similaire est courante dans les milieux urbains à forte population anglophone à Montréal et dans l’Outaouais. On retrouve notamment une population francophone nettement plus bilingue que la population anglophone dans chacune des municipalités à majorité anglophone de l’ouest de l’île de Montréal. Là aussi, quelle langue est la plus commune ne fait aucun doute.
Il n’y a rien dans le projet de loi 96 pour ébranler la domination de l’anglais dans les rapports entre anglophones et francophones de souche. Rien pour empêcher des migrants interprovinciaux de se comporter à Montréal ou dans l’Outaouais comme s’ils étaient encore en Ontario. Rien pour promouvoir l’usage quotidien du français au lieu de l’anglais comme langue commune par les immigrants qui arrivent au Québec à l’âge adulte sans connaître le français.
La commission Larose débutait à peine, que le gouvernement de Lucien Bouchard mettait aussitôt le holà. « Statu quo au cégep et dans l’affichage », annonçait la manchette de La Presse juste avant Noël 2000. Selon le journaliste Denis Lessard, le gouvernement Bouchard, dans lequel un certain François Legault figurait comme ministre de l’Éducation, avait conclu d’emblée qu’étendre la loi 101 au cégep ne changerait rien au bilan de l’assimilation. Avant même que les commissaires aient pu apprendre que les données de recensement indiquaient le contraire.
Legault a refait le même coup avec le projet de loi 96, en rejetant d’entrée de jeu la loi 101 au cégep. Malgré tout ce que nous avons appris sur l’évolution de l’assimilation – et de l’ensemble de la situation linguistique – depuis la commission Larose.
Un nationalisme d’opérette.