Pour certains, la société québécoise étant devenue laïque, la religion n'a pas à être présente dans l'espace public. Pour d'autres, la religion, surtout catholique, y occupe encore trop de place. Mais, surtout, prévient-on, il ne faut pas laisser l'islam ramener le Québec au temps où la foi dominait la société. Il importerait de faire prévaloir la «laïcité». Mais quelle laïcité?
D'après le très moderne Robert québécois, la laïcité est «le principe de la séparation de la société civile de la société religieuse, les Églises n'ayant aucun pouvoir politique». Pour le vénérable Larousse, un laïc était une personne qui «n'appartient pas au clergé, tant régulier [moines] que séculier [prêtres]». D'où l'expression ecclésiastique voulant qu'un clerc démis de son statut soit «réduit à l'état laïque».
Néanmoins, dans un monastère ou un presbytère, on trouvera, explique le Webster, un «lay brother», c'est-à-dire un frère laïque, chargé des tâches manuelles. (D'où l'expression voulant encore aujourd'hui qu'on soit un simple laïc quand on n'est pas un «professionnel».)
Il n'en fut pas toujours ainsi. Au XVIe siècle, par exemple, des théologiens «laïcistes», accorderont aux laïques le gouvernement de l'Église. Vainement, bien sûr. Le mot en question vient du grec antique, laios, qui veut dire le peuple. Il reviendra à la France, à la fin du XIXe siècle, de renouer avec la «raison» pré-chrétienne et de repousser la foi dans la sacristie.
Mais la bataille fut rude. On ne fit pas que laïciser les hôpitaux. On écarta l'enseignement religieux. La science, non plus la foi, devait former le citoyen. L'armée nationale n'irait plus à Rome sauver le Pape dans ses États, elle défendrait la patrie contre la menace allemande.
Pourtant, on ne crée pas une culture en faisant table rase du passé. La France, entre-temps déchristianisée, avait dû accepter, non sans remous, que l'Église catholique ait ses écoles. Protestants et juifs s'accommodèrent du changement, certes. Mais il fallut aussi constater qu'avec sa victoire sur l'Église catholique cette nouvelle révolution perdait de la vigueur sinon de son sens. Or, ironie de l'histoire, elle devra peut-être sa survivance à l'islam.
Un rapport éclairant
Bien avant Hérouxville, Paris s'est inquiété du défi que posait au modèle républicain une certaine présence musulmane. Une commission de sages fut chargée de sonder l'Hexagone et d'étudier la situation de ses voisins européens. Son rapport, du nom du président Bernard Stasi, tient même compte de la Turquie laïque. On y trouve à la fois une brève histoire de la laïcité en France et un état des problèmes contemporains.
Ses propositions quant au voile et autres signes religieux «ostentatoires» ont fait les manchettes. Mais on gagne à lire l'intégrale du document. On y trouve la version actuelle du modèle français: les Québécois qui rêvent de laïcité auront quelques surprises. En voici un résumé pour ceux -- et celles -- qui en sont à l'école primaire en la matière.
Sur quelles valeurs repose la laïcité? La laïcité repose sur trois valeurs indissociables: liberté de conscience, égalité en droit des options spirituelles et religieuses, neutralité du pouvoir politique.
Qu'entend-on par neutralité du pouvoir politique? Par cette neutralité on entend que l'État doit s'abstenir de toute immixtion dans le domaine spirituel ou religieux.
La religion est-elle une affaire privée? Les choix spirituels ou religieux relèvent de la liberté individuelle. Cela ne signifie pas qu'ils soient confinés à l'intimité de la conscience, «privatisés», ni que leur soient déniées toute dimension sociale ou capacité d'expression publique.
À quelles religions l'État laïque permet-il de s'exprimer? Cet État veille à ce que toutes les options spirituelles ou religieuses puissent s'exprimer. La laïcité leur garantit le cadre légal propice à cette expression. Sans nier l'héritage de l'histoire, en particulier du rationalisme grec et du legs judéo-chrétien, elle leur permet de trouver leur place.
Quelles expressions la laïcité leur permet-elle sur l'espace public? Outre les réunions du culte, les sonneries de cloches sont autorisées. Il en va de même des convois funéraires. En milieu de travail, sauf exigence de la tâche, on ne peut restreindre les droits des personnes en raison, notamment, de leurs opinions ou confessions.
Un groupe peut-il imposer une appartenance ou une identité confessionnelle à quiconque, notamment en raison de ses origines? L'État laïque protège chacun et chacune contre toute pression, physique ou morale, exercée sous couvert de telle ou telle prescription spirituelle ou religieuse.
L'école laïque
L'école laïque doit-elle exclure le domaine religieux? L'école ne doit pas contribuer à la méconnaissance des élèves en ce domaine et les laisser désarmés devant les pressions des activistes politico-religieux. Elle doit leur permettre d'exercer leur jugement sur les religions et les spiritualités.
Jusqu'où l'école laïque doit-elle favoriser la connaissance des élèves en ce domaine? Les élèves doivent exercer leur jugement sur les religions et les spiritualités dans leurs multiples manifestations, y compris leurs fonctions politiques, culturelles, intellectuelles et juridiques.
Les textes religieux ont-ils leur place dans l'enseignement laïque? Cet enseignement peut aider à la découverte des textes révélés des diverses traditions et à réfléchir sur leurs significations, sans s'immiscer dans l'interprétation sacrée.
La connaissance des religions fait-elle partie de la formation des élèves? Favoriser l'enrichissement de la connaissance critique des religions à l'école peut permettre de doter les futurs citoyens d'une formation intellectuelle et critique. Ils peuvent ainsi exercer la liberté de pensée et de choix dans le domaine des croyances.
L'islam est-il inconciliable avec la laïcité? Une théologie musulmane novatrice a refusé la confusion entre pouvoir politique et spirituel. La culture musulmane peut trouver dans son histoire les ressources lui permettant de s'accommoder d'un cadre laïque. Et la laïcité elle-même peut permettre le plein épanouissement intellectuel de la pensée islamique.
Dans certains services publics, des accommodements religieux sont-ils possibles? Dans les armées, les collèges et lycées, les prisons et les hôpitaux, dont les exigences de fonctionnement risquent de ne pas assurer la liberté religieuse, des aumôneries existent dont les dépenses sont à la charge des services publics.
La création d'écoles catholiques ou musulmanes est-elle compatible avec la laïcité? La laïcité permet un enseignement confessionnel sous contrat avec l'État afin de respecter la liberté de religion et de prendre en compte le caractère propre d'une religion. Ces établissements privés dont les salaires des enseignants et les frais de fonctionnement sont payés par l'État doivent adopter les programmes de l'enseignement public et accueillir tous les enfants sans distinction d'origine, d'opinion ou de croyance.
Les élèves des établissements publics peuvent-ils porter des signes religieux? La laïcité reconnaît le droit à l'expression religieuse des élèves. Les signes religieux ne sont pas en soi prohibés, mais à la condition de ne pas avoir un caractère ostentatoire ou revendicatif.
Bref, la laïcité française est passée de l'ancien moule républicain à la quête d'un civisme pluraliste. Le rapport Stasi fait même l'éloge des «accommodements raisonnables» québécois. Cependant, ses auteurs seraient sans doute étonnés d'apprendre que les Québécois, qui ont su résister au «serment du test» au XVIIIe siècle, en sont depuis à débattre d'un serment de la langue. Qui l'eût cru, en effet?
redaction@ledevoir.com
Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.
Petit catéchisme de la laïcité - Le Québec importera-t-il le modèle français ?
La laïcité française est passée de l'ancien moule républicain à la quête d'un civisme pluraliste
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