Le projet de loi C-9, près de 900 pages et plus de 2200 articles

Le monstre

Droite chrétienne et gouvernement conservateur


«Terrible!» À entendre le chef libéral, Michael Ignatieff, le projet de loi budgétaire actuellement à l'étude aux Communes est ce qu'il y a de pire en la matière. «Abus de pouvoir», «manque de respect à l'égard du Parlement», tout y passe. Impossible d'appuyer ce projet, dit-il. «Mais la question est de savoir si on provoque une élection», ajoute-t-il dans un même élan.
Et ce que l'on comprend tout de suite est que les libéraux sont fâchés, mais vont laisser faire. Il y a pourtant de quoi être indigné. Le projet de loi C-9 modifie à lui seul 24 lois, dont plusieurs n'ont aucun rapport avec le budget. Le procédé n'a pas été inventé par les conservateurs, mais jamais avant eux n'y avait-on eu recours de façon aussi systématique. Facile à comprendre, un projet de loi budgétaire fait l'objet d'un vote de confiance. Pour un gouvernement minoritaire confronté à une opposition qui a peur de son ombre, cela veut dire garantir l'adoption de mesures qui, autrement, devraient faire l'objet de projets de loi ordinaires dont la défaite ne pose aucun risque.
En 2007, les conservateurs ont usé de ce stratagème pour modifier le mode d'approbation des emprunts. C'est aussi dans ce budget que se trouvait ce petit article visant à priver de financement les producteurs de films jugés «contraires à l'ordre public». En 2008, le gouvernement a récidivé pour accroître les pouvoirs discrétionnaires du ministre de l'Immigration. L'an dernier, les enchères ont monté avec des modifications en profondeur aux lois touchant les investissements étrangers, la concurrence, la propriété d'Air Canada, l'équité salariale dans la fonction publique fédérale et l'évaluation environnementale touchant les eaux navigables.
Cette année, le gouvernement s'offre la totale. Le projet de loi C-9, avec près de 900 pages et plus de 2200 articles, modifie la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale afin de donner au ministre de l'Environnement le pouvoir d'exempter une longue liste de projets. De plus, l'évaluation de certains grands projets relèvera à l'avenir de l'Office national de l'énergie et de la Commission de la sûreté nucléaire. Toujours en vertu de C-9, le gouvernement pourra procéder à la privatisation d'Énergie atomique du Canada sans en débattre à nouveau au Parlement. Il pourra aussi mettre fin au monopole de Postes Canada sur certains services postaux.
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Il s'agit de changements majeurs qui auraient normalement dû faire l'objet de projets de loi distincts. Mais ce Parlement n'a plus rien de normal. Le gouvernement semble tout faire pour le rendre dysfonctionnel. En amalgamant toutes ces réformes dans un seul projet, le gouvernement court-circuite les débats.
Ce gouvernement n'a aucun respect pour les processus parlementaires, comme le démontre l'utilisation du C-9 pour modifier la loi sur l'évaluation environnementale. Cette loi doit être revue sur une base régulière, et le comité de l'Environnement se préparait à faire cet examen et à entendre des témoins. Cette consultation des plus démocratiques vient d'être télescopée au profit d'amendements concoctés en vase clos.
Les dispositions touchant Postes Canada sont une autre preuve de mépris à l'endroit du Parlement. Le gouvernement Harper a présenté à deux reprises un projet de loi sur le sujet, mais les deux sont morts au feuilleton, le premier, à cause de l'élection prématurée de 2008, et le second, à cause de la prorogation de l'hiver dernier. Cette année, il y a prétendument urgence, alors on verse le tout dans le panier budgétaire.
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Michael Ignatieff a raison de s'indigner, mais encore faudrait-il qu'il agisse en conséquence. Pour l'instant, c'est le NPD qui mène la charge, appuyé par le Bloc québécois. Dans un discours à Toronto, en fin de semaine, le chef néodémocrate, Jack Layton, a d'ailleurs mis son rival libéral au défi d'agir de façon cohérente.
Le NPD, de son côté, a tenté de faire scinder et d'amender le projet de loi, sans succès, les libéraux s'alliant aux conservateurs pour empêcher le vote sur une motion ou s'absentant en nombre suffisant pour laisser la voie libre aux conservateurs. Le projet de loi est donc revenu intact du comité, mais le NPD a présenté de nouvelles modifications aux Communes, lors de la reprise du débat la semaine dernière.
Le processus législatif et la raison d'être du Parlement ne seront qu'une farce si la mode du fourre-tout devient la norme en matière budgétaire. Le risque est réel de voir de plus en plus de réformes importantes enterrées dans un document éléphantesque, impossible à comprendre et à étudier de façon sérieuse. Les débats en souffriront, les comités seront menottés, les citoyens auront moins d'occasions de se faire entendre.
Pour l'instant, seuls les sénateurs libéraux, ces non élus, semblent disposés à défendre la pertinence du Parlement et faire ce que leurs collègues députés n'osent pas: scinder le projet de loi. Et M. Ignatieff qui ne voit pas l'erreur. À la sortie de son caucus, mercredi dernier, il semblait heureux de laisser la Chambre haute sauver les meubles.
Depuis 2006, les conservateurs ont démontré qu'ils acceptaient difficilement les contraintes associées à la démocratie parlementaire et préféraient mettre le fusil sur la tempe de leurs adversaires pour avoir gain de cause. Ils sont restés fidèles à eux-mêmes cette année, mais les libéraux aussi.
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mcornellier@ledevoir.com


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