Les conservateurs récidivent. Ils tentent encore une fois de définir unilatéralement la portée des pouvoirs du Parlement, au risque de provoquer un affrontement potentiellement aussi grave que celui survenu autour des documents sur les prisonniers afghans.
La cible, cette fois, est le pouvoir des comités parlementaires à sommer des témoins à comparaître. Le gouvernement a décrété hier que le personnel politique des ministres ne serait plus autorisé à témoigner en comité. À l'avenir, seuls les ministres répondront des faits et gestes de leur personnel devant le Parlement.
Pour se justifier hier, le leader parlementaire Jay Hill s'est lancé dans un long exposé sur le principe du gouvernement responsable et les vertus de la responsabilité ministérielle. «Dans notre régime de gouvernement, les pouvoirs de la Couronne sont exercés par les ministres, qui doivent rendre des comptes au Parlement. Les ministres sont individuellement et collectivement responsables envers la Chambre des communes des politiques, des programmes et des activités du gouvernement. [...] Les ministres sont responsables envers la Chambre de tout ce qui se fait sous leur autorité.»
Séduisant argumentaire, mais il y a confusion ici. Les témoins appelés devant les comités n'y sont pas pour rendre des comptes au nom du gouvernement. Ils y sont pour éclairer les députés. Le gouvernement, en revanche, a le devoir de répondre de ses actes devant le Parlement. Il répond à ses questions, il ne les lui dicte pas, pas plus qu'il ne décide des témoins à entendre ou des documents à éplucher. Dans sa décision sur la production de documents sur les prisonniers afghans, le président de la Chambre, Peter Milliken, citait le texte suivant: «Le Sénat et la Chambre des communes ont le droit, inhérent aux organes législatifs qu'ils forment, de convoquer une personne et de l'obliger à témoigner, dans les limites de leur compétence respective, et de lui ordonner de produire des documents et dossiers requis aux fins d'enquête.» Ça semble clair, mais pas aux yeux du gouvernement.
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Il faut aussi savoir que les comités peuvent forcer à comparaître quiconque au Canada, sauf... un autre parlementaire, ce qui inclut les ministres. Et c'est en se prévalant de cette exception que deux ministres conservateurs, Christian Paradis et Lisa Raitt, ont refusé, pas plus tard qu'il y a deux semaines, de se présenter devant le Comité des opérations gouvernementales qui enquête sur l'affaire Guergis-Jaffer. Ils prétextaient ne pas vouloir nuire à la possible enquête de la GRC sur Mme Guergis. (On ne sait toujours pas si cette enquête a lieu et, si oui, sur quoi elle porte.)
Cette nouvelle politique semble davantage guidée par les considérations tactiques que par les principes. Lorsque le Comité parlementaire sur l'accès à l'information et l'éthique a commencé à s'intéresser aux allégations d'ingérence politique dans le traitement des demandes d'accès à l'information, les conservateurs ont résisté, joué du coude, rouspété, mais ils n'ont pas rejeté la liste de témoins ni empêché un adjoint de Christian Paradis de comparaître.
Le jeune homme a fini par reconnaître qu'il avait commis une erreur en interceptant un document prêt à être divulgué, document qui a finalement été remis à la Presse canadienne, mais très censuré. Depuis cet aveu, les conservateurs tentent de protéger leurs collaborateurs appelés à la barre. Il y a deux semaines, la ministre Diane Finley s'est présentée, non annoncée, au côté de son adjoint. Elle voulait témoigner à sa place, ce que le comité a refusé.
Hier matin, ce devait être le tour du fidèle directeur des communications du premier ministre, Dimitri Soudas. Peine perdue puisqu'en fin de semaine, il a lui-même annoncé la nouvelle approche du gouvernement, sur les ondes de CTV. Comme l'ont fait remarquer plusieurs députés de l'opposition hier, M. Soudas n'a plus à témoigner, même s'il est plus visible que la plupart des ministres et annonce lui-même les politiques gouvernementales.
L'autre incohérence de la position conservatrice est que, si un ministre est responsable pour son personnel, pourquoi est-ce le ministre des Transports, John Baird, qui s'est présenté au comité à la place du premier ministre, le vrai patron de M. Soudas?
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En voulant mettre le couvercle sur quelques controverses, le gouvernement répète la même erreur que dans le dossier afghan. Il a recours à des moyens disproportionnés qui frappent au coeur de l'institution. L'opposition a refusé de jouer le jeu hier, et avec raison. Le précédent que le gouvernement a tenté de créer en envoyant M. Baird au front aurait mené à l'émasculation des comités.
Si on suivait la logique des conservateurs, on se retrouverait avec des comités incapables de faire la lumière sur certaines questions simplement parce que les ministres refuseraient aux personnes informées de s'y présenter et qu'eux-mêmes refuseraient d'y témoigner ou le feraient au nom du personnel d'un collègue. Une absurdité.
Quand on croit au gouvernement responsable, on ne cherche pas à soumettre le Parlement aux diktats du pouvoir exécutif. On essaie de lui rendre honnêtement des comptes. Encore faut-il accepter les contraintes qui viennent avec une démocratie parlementaire, ce que le gouvernement Harper a décidément de la difficulté à faire.
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mcornellier@ledevoir.com
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