Les libéraux ont mené un combat courageux pour la séparation de l’Église et de l’État au XIXe et au XXe siècle. Il reste maintenant à codifier la laïcité dans une règle de droit.
Leur laïcisme ne visait pas à discriminer les protestants ou les juifs. Ils voulaient propulser le Québec dans la modernité et instaurer la démocratie. La lutte pour le droit de vote des femmes, au XXe siècle, s’inscrivait également dans cette dynamique.
Plus près de nous, depuis une dizaine d’années, le Québec est secoué par les soubresauts d’un débat mal engagé et inachevé sur la laïcité.
À deux semaines du déclenchement des élections générales, suivant la crise des accommodements raisonnables, le premier ministre Jean Charest tenta de mettre le couvercle sur la marmite en annonçant, le 8 février 2007, la mise sur pied de la commission Bouchard-Taylor.
L’ADQ de Mario Dumont, qui ne comptait jusque-là que quatre députés, surfa sur du velours et remporta 41 circonscriptions à l’élection du 26 mars 2007.
Le 22 mai 2008, la commission déposa son rapport, Le temps de la conciliation. Trois de ses recommandations proposaient le dépôt d’un livre blanc sur la laïcité pour doter le Québec de balises claires, l’élaboration d’un modèle interculturel québécois et l’interdiction du port des signes religieux pour les représentants de l’autorité contraignante qui incarnent la neutralité religieuse de l’État. À ce jour, rien de tout cela n’a été fait.
La partisanerie tue la laïcité
Profitant de ma fonction de neutralité à la présidence de l’Assemblée nationale de 2007 à 2012, et loin du brouhaha des accommodements déraisonnables, j’ai entamé une réflexion sur les modèles de laïcité et de neutralité religieuse de l’État dans le monde.
De ce travail de réflexion, et avec l’appui d’éminents juristes, est sorti le projet de loi no 491 sur la neutralité religieuse de l’État et la lutte contre l’intégrisme que je souhaitais partager avec mes collègues députés, au sein du caucus libéral, et soumettre comme contribution au débat public. Cet espace de dialogue autour de ce projet m’a été refusé par le chef du PLQ et actuel premier ministre du Québec, Philippe Couillard.
La simple idée de définir la neutralité religieuse de l’État comme un droit collectif et un droit individuel dans la Charte québécoise des droits et libertés, comme était stipulé dans le projet de loi, lui était insupportable. Tout le reste en découlait.
Je finis par le déposer à l’Assemblée nationale, à titre de députée indépendante, le 12 février 2014 et le présentai, la semaine suivante, aux députés de la CAQ, du PQ et de Québec solidaire dans chacun de leurs caucus respectifs.
Outre l’intérêt qu’il y a suscité, je demeure persuadée qu’avec une bonification constructive, c’est là où doit aller le Québec.
De cet exercice serein, je retiens trois choses :
1) il n’existe pas de modèle unique de laïcité dans le monde, chaque État la forge à même son contexte historique et politique propre ;
2) dans tous les pays occidentaux, la laïcité a été sujette à des controverses. La France a mis 25 ans d’âpres débats avant d’accoucher de la Loi concernant la séparation des Églises et de l’État, de 1905, la fameuse « laïcité sans excès » ;
3) la laïcité est un enjeu de société et non un enjeu de parti, et la partisanerie politique tue la laïcité.
Au-delà de la rhétorique et des partis pris, la laïcité n’est pas de la discrimination. Au contraire, bien balisée et clairement définie dans la Charte québécoise des droits et libertés de la personne comme un droit nouveau, elle est la meilleure garantie pour la liberté de religion et la liberté de conscience.
Le premier ministre Philippe Couillard léguera au Québec la loi 62, qui porte sa signature. Véritable “cheval de Troie”, cette “loi du tchador” entraînera son lot de controverses et de contestations judiciaires. C’est un “cadeau de Grec”, un recul pour les droits des femmes et pour le Québec.
De la laïcité à la charte des valeurs
À l’Assemblée nationale, chercher, pour moi, un consensus autour de la laïcité, en 2009-2012, alors qu’on ne parlait que de collusion et de corruption et que les députés ne se serraient même pas la main pour se souhaiter un joyeux Noël, ce n’était pas indiqué.
Pauline Marois avait promis, en 2012, de doter le Québec d’une charte de la laïcité, mais une fois au pouvoir, elle torpilla son propre projet de loi avant même qu’il ne voie le jour. Il n’était plus question de charte de la laïcité, mais de charte des valeurs, expliquée avec des pictogrammes pour les nuls.
Quelles valeurs ? Nos valeurs communes ne sont-elles pas déjà inscrites dans la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, où le seul jalon manquant est celui de la laïcité et de la neutralité religieuse de l’État ?
Pourquoi ce changement de paradigme alors que le propre des valeurs est d’être évolutives et contradictoires. Dans une société pluraliste comme la nôtre, comment peut-on bâtir des consensus sur ce qui nous divise au lieu de miser sur ce qui nous rassemble ?
Lorsque le contenu de la charte avait coulé dans les médias, le 18 août 2013, trois mois avant le dépôt du projet de loi no 60 à l’Assemblée nationale (le 7 novembre), j’avais compris que les dégâts étaient à venir.
En effet, très vite, le dialogue des sourds s’est installé autour des signes religieux. On ne parlait plus de laïcité, elle-même réduite à un foulard dit islamique, lui-même réduit aux femmes musulmanes, elles-mêmes symbolisant la discrimination.
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