Quand le président de l’Assemblée nationale veut réhabiliter Napoléon III

Droite chrétienne et gouvernement conservateur

Dans son hommage à Philippe Séguin, le 12 janvier, le président de l’Assemblée nationale Bernard Accoyer a rappelé, au titre des hauts faits à retenir du disparu, que celui-ci avait écrit, en 1990 (1), un livre dans lequel, « rompant avec la tradition héritière de Victor Hugo, [il] entreprit de réhabiliter la mémoire de Napoléon III, substituant au personnage caricatural de Badinguet la vision d’un empereur moderniste et soucieux du bien commun, qui équipa et enrichit la France ». Par ces quelques lignes, le président de l’Assemblée nationale profite d’une cérémonie funèbre pour réhabiliter l’auteur d’un coup d’Etat (le 2 décembre 1851) dont le premier acte fut de dissoudre l’Assemblée nationale, de faire exécuter sommairement des opposants et d’en déporter d’autres en masse. Rapidement, il supprima la République pour établir le Second Empire et rétablir des privilèges. Les soulèvements populaires à Paris et dans plusieurs départements aboutirent à une répression sanglante. Une préfecture, celle des Basses Alpes (Digne), fut même un moment prise par les Républicains, contre lesquels l’empereur envoya une armée qui fut battue. Napoléon en expédia une seconde qui les massacra ou les déporta.
Rappelons les faits qui ont conduit à cet évènement. Lors de la rédaction de la Constitution en 1848, les Républicains s’étaient divisés sur l’idée d’élire un président de la République au suffrage universel direct. Jules Grevy, alors constituant, avait dénoncé les risques dictatoriaux d’un tel mode de désignation. La majorité en décida autrement. Mais elle instaura un garde-fou : la limitation à un seul mandat dans le temps. Elu président de la République en 1848, Louis-Napoléon Bonaparte tenta d’amender la Constitution pour pouvoir se représenter aux suffrages des électeurs. L’orateur qui s’opposa à ce projet fut justement Victor Hugo, qui obtint la majorité. Bonaparte profita alors de son pouvoir sur les forces de l’ordre pour faire le coup d’Etat du 2 décembre 1851. Devenu Napoléon III, il instaurera un régime autoritaire, basé sur la confusion des pouvoirs, où les élections seront très contrôlées. Si un référendum « avalisa » son coup d’Etat quelques semaines après le putsch, il se tint alors que l’opposition était emprisonnée ou en exil. Ce fut le cas de Hugo, qui resta exilé pendant dix-huit ans. Invité par l’empereur à revenir en 1859, l’écrivain lui répondit : « Je rentrerai quand la liberté rentrera en France. »
Ainsi, en 2010, un président de l’Assemblée nationale rend hommage à un antirépublicain, à un coup d’Etat qui toucha d’abord l’institution qu’il préside. Cet acte est d’autant plus grave et saugrenu que M. Accoyer donne implicitement tort à celui qui lutta pour défendre la République dans ces jours terribles.
Cette déclaration, faite au détour d’un hommage funèbre, n’est pas une anicroche isolée. Il s’insère dans un ensemble de déclarations toutes bien cohérentes où Napoleon III fait figure de modèle. Ainsi, Le Monde du 15 novembre 2008 pose-t-il tranquillement cette question : « La mémoire collective diabolise Napoléon III, alors qu’il est considéré comme un modernisateur de la France. En est-il de même pour Nicolas Sarkozy, qui voulait incarner la rupture mais a été perçu dès ses débuts comme un président “bling-bling” ? » A aucun moment la question des libertés publiques n’est évoquée.
Plus significatif encore, le lundi 10 décembre 2007, le ministre de l’Outre mer et maire de Nice, Christian Estrosi, s’était rendu au Royaume-Uni, aux frais du contribuable, pour réclamer les cendres de Napoléon III (mort en exil en Angleterre après le rétablissement de la République en 1871). Les autorités actuelles de la France verraient-elles dans un régime autoritaire, mais très libéral sur le plan économique, le modèle à suivre ?
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Anne-Cécile Robert
(1) Philippe Séguin, Louis-Napoléon le Grand, Grasset, Paris, 1990.


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