La Francophonie traîne souvent la réputation d'une organisation bureaucratique. Cette mauvaise image est généralement attribuée aux façons de faire des pays du Sud. Les journalistes ont à l'esprit ces chefs d'État africains débarquant à Paris avec une suite pléthorique composée de ronds-de-cuir et d'amis du prince. Eh bien, je vous le donne en mille, qui était, la semaine dernière au XIIIe Sommet de la Francophonie tenu à Montreux, en Suisse, ce roi nègre qui déplaçait avec lui le plus grand nombre de bureaucrates?
Ce n'était pas le président de la République démocratique du Congo, Joseph Kabila, qui organisera le prochain sommet, en 2012. Il se déplace pourtant rarement sans une imposante garde rapprochée. Ce n'était pas non plus Nicolas Sarkozy. Le président français a pourtant fait exploser les frais de voyage de l'Élysée depuis son élection.
C'était plutôt le premier ministre du Canada! Pressé de se rendre en Ukraine, Stephen Harper a passé moins de 48 heures à Montreux, où ses interventions discrètes n'ont guère été remarquées. Cela ne l'empêchait pas de traîner derrière lui la plus grosse délégation officielle du sommet. Un groupe de vingt-cinq personnes où l'on reconnaissait pêle-mêle une sénatrice, des sous-ministres, plusieurs ambassadeurs et même le ministre de l'Éducation des Territoires du Nord-Ouest... où il n'y a pas 1000 francophones!
Avec ses 60 millions d'habitants, la France reste le coeur de la francophonie mondiale et fournit 40 % des budgets de l'OIF. Elle ne comptait pourtant que onze délégués officiels. Pas un de plus. Le Québec, qui représente 90 % des francophones de l'Amérique du Nord, en comptait dix. Il faut dire qu'avec les taux effarants d'assimilation de francophones hors Québec que cultive le Canada, ce dernier avait tant à apprendre de ces pays d'Afrique où le français est en croissance exponentielle. Et que ne ferait-on pas pour venir défendre la langue française sur les bords de la Riviera suisse?
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Déjà obèse, la délégation canadienne excluait pourtant les huit délégués du Nouveau-Brunswick. On se souviendra en effet que les sommets francophones n'ont pu se tenir, à partir de 1986, que grâce à un compromis subtil intervenu entre Brian Mulroney et Robert Bourassa. Si le Québec obtenait un siège, le Nouveau-Brunswick aussi. On n'a relevé aucune intervention significative de cette délégation pendant le sommet de Montreux, mais on sait que le voyage a coûté environ 100 000 $ et que les frais ont été assumés par Ottawa. Dans les années 80, le Nouveau-Brunswick était tellement empressé de participer à la Francophonie que le premier ministre Hatfield avait exigé qu'Ottawa en assume tous les coûts. Sinon, il ne serait jamais venu.
Depuis, cette province se distingue dans tous les sommets par son sens commercial. Dans les quatre sommets auxquels j'ai assisté, le Nouveau-Brunswick semblait surtout vouloir promouvoir son industrie touristique. Je me souviens d'une interview avec l'ancien premier ministre Bernard Lord à Beyrouth en 2002. À la veille du vote sur le projet de convention internationale sur la diversité culturelle, il n'avait pas encore d'opinion arrêtée sur le sujet, mais disait y réfléchir beaucoup.
Montreux n'a fait que confirmer la règle. Le Nouveau-Brunswick est venu y faire des «affaires», comme disait d'ailleurs son représentant. La province a même cru bon d'attirer les journalistes suisses à sa conférence de presse en faisant tirer un voyage. Qui sera probablement payé avec les dollars sonnants et trébuchants d'Ottawa.
Les rois nègres ne sont pas toujours ceux que l'on croit.
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Au cours de ce sommet, le premier ministre québécois Jean Charest en a profité pour reprocher une fois de plus aux Français d'utiliser trop d'«anglicismes». Depuis une célèbre sortie à Lyon en novembre dernier, c'est devenu la marotte du premier ministre chaque fois qu'il vient en France. Il s'agit d'une initiative fort louable quand on sait le snobisme qui pousse certaines élites françaises à émailler leurs discours, leurs publicités et leurs raisons sociales de mots anglais. Comme si la modernité ne pouvait pas se dire en français.
Pourtant, le message de Jean Charest aurait tellement plus de poids s'il évitait, lui-même, de saupoudrer ses interventions d'expressions du genre: «supporter quelqu'un» (soutenir), «finaliser une entente» (mettre au point), «à l'agenda» (à l'ordre du jour), «fixer une cible» (un objectif), etc. On pourrait remplir des pages de ce genre d'anglicismes tellement plus inquiétants qui pourrissent littéralement la langue de tant de nos politiciens. Gaston Miron ne jugeait-il pas ces anglicismes encore plus pervers que la simple utilisation de mots anglais qui laissent au moins la syntaxe indemne. Ces anglicismes, disait Miron, sont le symbole d'une langue anémiée qui se transforme en idiome de seconde zone, en simple langue de traduction.
Ce n'est pas tout à fait l'idée maîtresse de la Francophonie.
(*) Je ne résiste pas à la tentation d'emprunter ce titre à mon collègue du Soleil Gilbert Lavoie, qui en a eu l'idée originale.
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