Introduction
L’intense discussion qui a cours au Québec sur la laïcité a eu son coup d’envoi public en 2007 avec la Commission sur les pratiques d’accommodements liées aux différences culturelles, dite Commission Bouchard-Taylor, des noms de ses co-présidents. La discussion met l’accent actuellement sur des demandes d’accommodements relatives au port de signes et symboles religieux. Elle se développe sur fond d’un manque, oubli ou dérobade : la détermination préalable suffisante de la nature de l’intégration des immigrants et de la nation québécoise comme société d’accueil. Et elle fait bon marché de la nature de la religion en tant qu’établie sur la croyance humaine en la divinité.
1. Quelques caractéristiques fondamentales de la nation québécoise
La discussion n’avancera guère, voire s’étouffera dans un cul-de-sac, s’il n’y a pas une entente minimale sur les traits qui caractérisent fondamentalement la nation québécoise ou campent son identité. Noter en passant que le Gouvernement actuel a refusé il y a quelques temps un projet de loi à cet effet proposé par l’Opposition officielle.
Voici en gros.
- Il importe de prendre acte collectivement que la nation québécoise est pluraliste dès sa naissance. Il est en effet établi que les habitants de la Nouvelle-France embarqués à La Rochelle n’étaient pas tous des Français, mais venaient de différents pays d’Europe.
- C’est la langue française qui a unifié ces émigrants européens qui, avec l’aide des autochtones et en métissage avec eux, ont constitué une nation particulière en Amérique du nord. La langue française est la matrice de cette nation.
- Cette nation a continué depuis la Conquête britannique à recevoir des flots d’immigrants, majoritairement de langue anglaise.
-La nation québécoise de langue française est historiquement plurielle en son être même. Pour les Québécois, la pluralité n’est pas un phénomène des dernières décennies.
- Cette nation québécoise française est par ailleurs adossée à l’immensité géo-socio-politique anglophone canadienne et états-unienne. Elle est exposée aux influences invasives anglophones et multiculturelles de ses voisins.
- Cette nation forme une société démocratique où prévaut entre autres l’égalité des femmes et des hommes, et elle est gouvernée par son propre État démocratiquement constitué.
- Mais cette nation est en même temps soumise à la Constitution canadienne qu’elle ne veut pas signer parce que néfaste pour sa propre identité et son devenir national.
- Elle est engagée dans une lutte de résistance depuis la Conquête pour sauvegarder son identité française.
- Elle est en phase avec la démarche moderne occidentale de laïcisation.
- Elle est depuis les dernières années le lieu d’accueil d’une immigration intensifiée et issue en bonne partie de régions du monde autres que l’Europe.
Tous ces traits doivent être affirmés et présentés à tous ceux qui veulent venir se joindre à la nation québécoise. Nation toujours en train de se développer, de s’achever, de s’accomplir. Les immigrants, pour être accueillis et intégrés, doivent normalement pouvoir comprendre cet état de choses et vouloir participer à ce devenir de notre nation.
2. L’intégration des arrivants
Il faut pouvoir s’entendre aussi sur ce que représente pour une nation, la nôtre, l’immigration, et aussi l’intégration des arrivants.
L’immigration est généralement comprise et définie comme l’entrée dans un pays de personnes non autochtones qui y viennent habituellement pour y trouver un emploi. On peut ajouter que cette venue peut aussi être motivée par la recherche d’un système politique humainement plus satisfaisant que celui du pays d’origine. Il faut absolument souligner qu’il s’agit de la venue de personnes dans une société étrangère qui devient pour elles un lieu d’accueil. Il ne s’agit pas de recevoir des groupes ethniques différents transportant avec eux des modes de vie en commun qui entrent en contradiction avec ceux de la société d’accueil ou qui juxtaposent ces groupes en communautés séparées. C’est de ce phénomène que naît le communautarisme, la ghettoïsation, le morcellement de la société sur la base du multiculturalisme. Le multiculturalisme institutionnalisé à la canadienne est rejeté par le Québec. Pour dire les choses un peu crûment, l’immigration n’a rien d’un essaimage. Si impressionnant que soit le déplacement migratoire des abeilles, celui des humains est plus sophistiqué et doit se caractériser par le respect des us et coutumes des habitants du pays d’accueil.
À Montréal en particulier, il s’est déjà constitué de ces groupes communautaires à tendance ghettoïsante plus ou moins accentuée. Que faire? Rien de violent. Mais présenter les exigences démocratiques de l’intégration.
Alors l’intégration. Il me semble qu’elle doive être bien distinguée de l’assimilation. Alors que celle-ci paraît impliquer de la part de l’immigrant un effacement de sa propre culture, effacement volontaire, par négligence ou obligation, l’intégration devrait plutôt signifier une assomption libre du devenir de la société d’accueil, non pas en s’effaçant mais en faisant jouer tous les éléments culturels personnels qui peuvent y contribuer. Dans cette condition, l’immigrant se sent respecté et apprécié. Et la société d’accueil s’en trouve heureusement et positivement enrichie, transformée pour le mieux en sa propre identité.
Il s’agit donc pour nous de recevoir, d’accueillir des personnes au fait de la nature et des exigences de notre nation. Des personnes prêtes à s’inscrire dans le devenir de cette nation, française et plurielle de nature, et d’en assumer librement les enjeux. Dont celui de ne pas donner dans la vague multiculturaliste ambiante.
3. Laïcité québécoise
a. Laïcité en devenir.
Tout comme la nation québécoise elle-même, sa laïcité est en devenir. Majoritairement cette nation fut et se dit encore, du moins dans les recensements, de religion catholique. Même si la pratique religieuse a croulé depuis les quatre ou cinq dernières décennies. En effet, le taux des croyants allant à la messe du dimanche en l’an 2000 n’était que de 20%. C’est un fait, les églises se vident et sont mises en vente. Cependant, le christianisme, à travers le catholicisme surtout, a profondément marqué notre nation. Il a imprégné sa culture. Les clochers pointant vers le ciel et surgissant çà et là dans les villes et au cœur des villages sont un exemple éloquent de la place centrale qu’ont occupé le divin et la religion dans la vie de la nation québécoise. Mais depuis quelques décennies les cloches ne sonnent plus guère pour annoncer l’angélus, la messe, les mariages, les baptêmes et les décès des croyants. Signe éloquent de la distance en train de s’établir relativement aux signes et comportements religieux.
C’est que les Québécois, à leur rythme, joignent le mouvement d’émancipation par rapport aux autorités et pouvoirs religieux. Ils se déclarent capables de déterminer par eux-mêmes, sans recourir au divin représenté par des autorités et institutions humaines, leur propre devenir, i.e. leur vie personnelle et sociale ainsi que le genre d’État démocratique qui leur convient. C’est ce qu’on appelle la laïcité. Laïcité des personnes menant à la laïcité de l’État. Cette dernière, mise à l’avant-scène dans les discussions présentes, est habituellement décrite comme la neutralité par rapport à tout pouvoir religieux représenté par des documents, des Livres, des Institutions, et la neutralité aussi par rapport aux croyances religieuses des personnes.
La laïcité n’est pas le fruit d’une génération spontanée. Lentement la raison humaine, i.e. le pouvoir humain de comprendre par lui-même, s’est distinguée des projections mythologiques et des élaborations théologiques qui sont autant de tentatives de comprendre et d’expliquer la place de l’humain dans un univers imaginé sous l’emprise des dieux ou de la divinité. Déjà la frise du Parthénon affichait des éléments représentant la remise du pouvoir divin à l’humain. Aussi la philosophie médiévale considérée comme servante de la théologie est une étape significative de cette démarche. C’est, à ce moment-là, la raison qui tente de montrer et de prouver par ses démonstrations la justesse de la vision de Dieu comme auteur et législateur de l’univers et de la conduite humaine. Que ce Dieu soit celui des chrétiens ou des arabo-musulmans ou d’autres appartenances.
Puis avec la modernité une étape décisive est franchie. La raison comme pouvoir de comprendre par soi-même devient signe explicite de liberté et d’humanité. C’est l’époque des Lumières. Celle de l’Aufklärung, i.e. de l’éclaircissement, de la reconnaissance. De la reconnaissance de ses capacités propres d’analyser, de comprendre, et reconnaissance de sa liberté. Émancipation, devrait-on dire. L’humain s’est démontré, tant par la science que par la pensée philosophique, la légitimité et la justesse ou l’à-propos de sa compréhension du monde et de sa propre conduite dans ce monde avec ses semblables. Point n’est besoin de recourir à une autorité divine pour ce faire. Ce qui alors ne doit pas être considéré nécessairement comme une déclaration d’athéisme. L’existence de Dieu, sa nature, restent pour ainsi dire dans la marge. Il est loisible à tout un chacun de s’y intéresser, d’y croire. Mais questions et réponses qui surgissent alors ne doivent pas influer sur le cours de l’histoire, sur la marche du devenir humain dans le monde.
C’est là la laïcité dont on parle maintenant. Cette capacité de la raison humaine de comprendre par elle-même est reconnue en Occident et dans le monde arabo-musulman. Tout au moins théoriquement, comme peuvent en témoigner publications et enseignements universitaires. Mais à la différence que ce dernier, le monde arabo-musulman, ne semble pas être allé jusqu’à faire l’application de cette capacité au plan politique. De manière assez générale, le pouvoir politique y demeure un pouvoir religieux ou lui reste relié. La théocratie n’est pas à proprement parler surmontée ou écartée. C’est du moins ce qui se dégage du livre : La laïcité. Que peut nous en apprendre l’histoire ? Une étude de Khadija Ksouri Ben Hassine, professeure de philosophie à l’université de Tunis, publiée chez L’Harmattan en 2008. L’Occident, de son côté, transpose aux plans de la conduite individuelle et collective ou politique la capacité de la raison humaine de comprendre par elle-même, i.e. son émancipation, sa liberté relativement aux prescriptions divines et religieuses. Ici la laïcité déborde dans la pratique. La nation québécoise comme société est engagée dans ce processus.
Ainsi voit-on que la laïcité n’est pas un point de départ, mais qu’elle surgit au cours d’un long cheminement où l’humain reconnaît progressivement son propre pouvoir de comprendre et l’étendue de son humanité ou de son être. Cette approche moderne n’est sans doute pas le dernier avancement possible de la laïcité. Il se peut fort bien qu’en pensant plus à fond les rapports de l’humain au divin, on en vienne à comprendre que les dieux, le dieu, sont en définitive des projections langagières symboliques de l’humain en univers. Voici en quelques mots.
En reconnaissant sa propre finitude l’humain se perçoit comme une infime parcelle dans un univers immensurable. Mais un univers, toutefois, qu’il a toujours la possibilité d’embrasser dans sa totalité quelle que soit la vitesse avec laquelle il prend de l’expansion. Se manifeste ainsi l’étendue étonnante de l’être humain, de son humanité. En reconnaissant encore sa finitude comme signée continuellement par la mort, l’humain se prend toujours à penser l’au-delà de cet événement. L’énigme de l’après. Mais cette étendue étonnante de l’humanité de l’humain, ce large immensurable qu’on expérimente et qu’on appelle habituellement mais peut-être inadéquatement conscience, peut vraisemblablement être assumé autrement qu’en le peuplant de dieux. Alors la finitude humaine prendrait une autre signification. Alors le cours de l’histoire en serait changé, sans doute profondément. On serait bien justifié alors de parler de postmodernité. Mais en attendant…? En attendant, la démocratie semble être une bonne assistante ou une balise sécuritaire pour la marche de la laïcité.
b. Laïcité et patrimoine religieux.
Il ressort de tout ceci qu’il appartient en propre à la nation québécoise de déterminer jusqu’où elle veut aller dans la manifestation pratique de sa laïcité. Laïcité des personnes, laïcité de l’État. Les deux doivent être envisagées, pas seulement la dernière. Car les personnes, précisément parce qu’elles sont humaines, ne sont pas des électrons libres, mais essentiellement des personnes qui vivent avec d’autres. Les individus sont des citoyens. (Nous y reviendrons plus loin) Même si notre laïcité en devenir ou à l’ouvrage a déjà pris une bonne distance par rapport aux préceptes divins véhiculés par les institutions religieuses, il reste que la culture québécoise est historiquement et profondément marquée par le christianisme. Nous vivons tous dans un patrimoine religieux. Notre littérature, notre folklore, notre calendrier, notre territoire, nos édifices, nos coutumes portent les marques du christianisme. Seul un iconoclasme étourdi et enragé prônerait la suppression de tous ces signes religieux. La nation québécoise n’en est pas là. Et c’est bonheur.
Les récentes demandes d’accommodements qui ont le plus soulevé de questions et d’opposition concernent le port de vêtements ou autres objets qui évoquent l’appartenance à une religion, en font la promotion en tant que symboles, et/ou remettent en question l’égalité entre hommes et femmes. « Vous nous dites de ne pas porter de niqab ni burka, entend-on parfois, mais commencez donc par donner l’exemple et faites disparaître vos propres crucifix! » Alors là il faut être résolument soi-même. Nous avons eu et nous avons encore des coutumes à saveur religieuse. Voilà le fait. Mais c’est à nous, nous qui sommes en chemin dans la conquête de la laïcité, de faire le tri entre les signes et symboles religieux que nous voulons conserver, du moins pour le moment, et ceux dont nous sommes prêts à nous départir en tant que nation. Et ce tri nous le ferons à notre rythme. Tout en reconnaissant cependant que les problèmes récemment posés à cet égard peuvent être des invitations à accélérer le pas en quelques domaines. Et c’est encore à nous en tant que nation de déterminer et d’exclure tout signe et symbole venant d’ailleurs qui contrarie sérieusement ou contredit notre manière nationale d’être en commun. Et ce nous, ai-je l’immense plaisir de le souligner, inclut par exemple cette musulmane croyante, immigrée au Québec depuis une quinzaine d’années, qui me disait la semaine dernière comment elle et sa famille sont Québécois, comment elle est gênée par les tenues vestimentaires islamiques ostentatoires et éventuellement provocatrices, comment elle fête quand nos fêtons, comment elle a à cœur de participer au devenir du Québec. Je me souviendrai longtemps de son authentique et chaleureux “Joyeuses Fêtes !” On était trois jours avant Pâques. Nous sommes certainement nombreux à connaître de ces nouveaux concitoyens québécois.
c. Projet de loi 94.
La nation québécoise veut un État laïc. Ceci semble acquis. Il lui reste à le déterminer constitutionnellement, cet État. Le gouvernement actuel de l’État québécois vient de déposer le Projet de loi 94 qui veut établir les balises encadrant les demandes d’accommodement dans l’Administration gouvernementale et dans certains établissements. On y parle de la neutralité religieuse de l’État et de la nécessité d’avoir le visage découvert dans les organismes gouvernementaux, les institutions des secteurs public et parapublic. Le Premier ministre l’a présenté comme exprimant le choix de la laïcité ouverte par les Québécois. Mais ce projet de loi, faut-il remarquer, non seulement n’emploie jamais le mot laïcité, mais il suppose terminée la discussion sérieuse qui a cours chez nous sur cette notion de laïcité ouverte. De plus, en parlant de la nécessité d’avoir le visage découvert dans l’Administration gouvernementale et certains établissements ou institutions, il s’abstient de toutes références au caractère religieux du niqab et de la burka. Pourtant tout le monde sait que c’est d’eux qu’il est question. Il est manifeste que ce Projet de loi 94 est farci de sous-entendus parce qu’il doit finasser pour éviter des revers prévisibles infligés par la juridiction fédérale. Soit dit en passant, voilà une autre manifestation de notre intenable situation constitutionnelle.
En évoquant la neutralité religieuse de l’État, le projet dit que celui-ci « ne favorise ni ne défavorise une religion ou une croyance religieuse ». Voilà pour l’État. Mais qu’en est-il des citoyens concrets formant la nation québécoise? Les citoyens ne sont pas des particules complètement indépendantes les unes des autres. Les citoyens sont des personnes qui ont des droits et des libertés, disent les Chartes. Mais ces Chartes, il faut avoir le courage de le reconnaître, traitent des personnes pas mal trop dans l’abstrait. Elles ne les regardent pas comme des citoyens concrets dont l’existence et l’agir sont étroitement associés à des semblables et qui vivent toujours, quotidiennement, dans des situations de communication et de partage.
Alors il convient tout à fait de se demander si, par exemple, la rencontre, sur le trottoir ou dans un restaurant, d’une femme portant le niqab ou la burka ou le hijab n’est pas pour les citoyens de la nation québécoise un nouveau signe d’un retour en arrière dans une dépendance vis-à-vis de prescriptions d’une autorité divine dont ils s’émancipent graduellement mais décidément. Il est aussi parfaitement légitime de se demander s’il n’y a pas là pour les citoyens québécois un nouveau signe douloureux de l’inégalité des sexes féminin et masculin. Autre exemple : Les permis de stationnement spéciaux lors de pratiques religieuses pour la communauté hassidique à Outremont. Permissions ou accommodements qui embêtent les autres citoyens. Est-ce que ces accommodements permettent à ces gens de mieux s’intégrer à la nation québécoise? C’est plutôt, semble-t-il, la manifestation éloquente qu’ils vivent déjà en ghetto. Bien à propos, nous avons tous pu apprendre par les récents bulletins de nouvelles que les laïcs israéliens se soulèvent actuellement contre leurs concitoyens religieux, orthodoxes à l’extrême, qui leur rendent la vie insupportable à Jérusalem par leurs défenses archaïques de bouger et de porter des objets les jours de sabbat. Et nous, Québécois laïcs, en voie de laïcisation, devrions tolérer de garer nos voitures à d’autres endroits pour laisser ces places à des religieux d’une communauté hassidique ghettoïsée?
Si la laïcité mène jusqu’à la neutralité de l’État à l’égard des religions, nous devons comme nation en marche vers une authentique laïcité sérieusement envisager la possibilité, même le devoir d’exiger une grande neutralité des religions dans la vie publique, là où joue particulièrement et à cœur de jour l’appartenance de tous les citoyens à une société nationale. Car nous savons tous, par l’universalité actuelle de l’information quotidienne tout au moins, que les religions ont été et sont encore de par le monde un facteur important de discordes, de violences et de guerres. Laissons les religions apporter dans la discrétion le bien qu’elles peuvent, mais empêchons-les de nuire par un prosélytisme ostentatoire et provocateur. Cette recommandation veut embrasser le judaïsme, le catholicisme, l’islamisme, et toute autre religion ou secte donnant lieu à des comportements extrémistes troublants ou par trop dérangeants.
Heureusement que le Projet de loi 94 n’est qu’un projet. Car c’est un mauvais projet. Il doit être profondément amendé ou retiré ou remplacé. Il se place d’emblée dans la problématique des accommodements. D’emblée il saute par-dessus les exigences internes et situationnelles de la nation québécoise. Il fait comme s’il y avait déjà entente sur la nature de l’intégration et ses rapports avec un interculturalisme vanté, cet insidieux avatar du multiculturalisme ambiant que nous refusons pour la société québécoise. Il fait comme si le rapport de la Commission Bouchard-Taylor était reçu dans la nation québécoise comme du beurre dans la poêle. Il fait comme si la laïcité ouverte était largement reconnue. À ce propos, j’ai lu le récent livre de Jocelyn Maclure et Charles Taylor, Laïcité et liberté de conscience. Un livre qui paraît écrit dans l’esprit de la laïcité ouverte. Un livre qui ne s’attarde guère sur l’identité particulière de la nation québécoise forgée au cours de 400 ans d’histoire et qui pourtant est là dans sa densité concrète et vivante. Un livre qui alors discute de la laïcité trop dans l’abstrait et finit par orienter vers l’inextricable situation d’une inépuisable casuistique vouée au jour le jour à la détermination du raisonnable et du déraisonnable dans les demandes d’accommodements. Casuistique typique d’une moralité décadente. La laïcité ouverte ressemble à s’y méprendre à une émancipation ou liberté honteuse d’elle-même. De surcroît cette laïcité, sous couvert d’ouverture, empeste la condescendance.
Ainsi il faut une solide discussion publique sur l’identité québécoise, sur les enjeux auxquels elle est confrontée, dont l’unilinguisme français sévèrement mis à mal par les décisions des tribunaux, la nonchalance intéressée de l’actuel gouvernement, un relatif manque de fierté chez une population assiégée, un éparpillement malheureux des forces de résistance et de révolte incluant différents mouvements et les partis politiques. À cet égard Montréal devrait lancer des appels à l’aide à toute la nation.
Conclusion
En somme la laïcité consiste à prendre congé de l’histoire comprise comme le développement des desseins de dieu sur l’humanité en univers. Objets de croyances, ces desseins ont été exprimés dans des documents écrits de main d’homme, et pourtant tenus pour sacrés ou intouchables, tels que la Bible, le Coran, le Triple-Véda, l’Avesta et autres. La laïcité est une attitude et une aire de clairvoyance et d’émancipation. Attitude selon laquelle l’humain comprend sa finitude et assume son propre devenir indépendamment de la croyance religieuse et de l’abandon qu’elle implique. Aussi aire de clairvoyance et de liberté qui permet à l’humain de s’aventurer dans l’amplitude immensurable de son être toujours à explorer pour y voir pointer de nouvelles possibilités concrètes d’existence en commun.
En voie dans cette laïcité, la nation québécoise réclame le droit à ce qu’elle soit signifiée adéquatement, et ses citoyens ont le devoir d’y veiller attentivement.
Fernand Couturier
6 avril 2010
Laïcité 101
La laïcité n’est pas le fruit d’une génération spontanée.
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6 commentaires
Archives de Vigile Répondre
7 avril 2010Monsieur Couturier,
je partage en très grande partie votre réflexion.Permettez que je revienne particulièrement sur trois de vos idées que je trouve on ne peut plus justes. La première consiste à présenter la laïcité comme un processus, une démarche, un devenir qui a son histoire, un histoire d'émancipation, de maturation de la rationalité humaine au plan individuel comme au plan collectif. Mais cette façon de voir positiviste à la Auguste Comte et sa Loi des Trois Etats heurte de front les convictions des tenants de l'aveuglement volontaire dans la Foi que sont les croyants des différents monothéismes.
Je retiens aussi cette idée pour moi d'une importance capitale d'une discrétion de la présence du religieux dans l'espace public. Vous allez jusqu'à parler du devoir d'exiger une grande neutralité des religions dans la vie publique. Jusqu'où doit aller cette neutralité ? Tout un débat en perspective ! Pour ma part, j'opte pour la valeur-guide de la discrétion.
La troisième idée que je relève et que vous formulez en toute fin de votre conclusion concerne une Charte de la laïcité. La nation québécoise a le droit et le devoir de la réclamer, nous faites-vous comprendre. Mais nous risquons de la réclamer longtemps car le gouvernement libéral actuel de monsieur Charest ne semble absolument pas
intéressé à déposer un Livre Blanc sur la question. Son projet de loi 94 le montre bien . A nous de la réclamer haut et fort le temps qu'il faudra, jusquà la prochaine campagne électorale s'il faut se rendre jusque là. Que faire de plus?
Pierre Desfossés
Archives de Vigile Répondre
6 avril 2010Une recherche internet sur ce livre n'a pas donné de résultats pratiques, mais un ouvrage de Robert Larin "Brève histoire du peuplement européen en Nouvelle-France" qui se base sur plusieurs recherches, dont ce livre de Vaugeois, est disponnible sur Google Books et conclu que :
350 sur toute la population canadienne (maintenant québécoise), de 1608 à la conquête. Innutile de compter les 200 familles acadiennes réfugiées de 1755.
Considérant que nous étions autour 60,000 à la conquête, celà donne une idée de l'infinitésimal pourcentage que ce 350 représente sur toute la population de 1608 à la conquête !
Pluraliste, absolument pas.
Archives de Vigile Répondre
6 avril 2010Mes respects , M. Fernand Couturier,
C'est un bonheur pour moi de vous lire aujourd'hui sur Vigile!
Je ne connais pas d'autre philosophe et historien au Québec qui possède votre érudition.
Votre texte est empreint d'humanisme et de sagesse. Voilà ce qu'il faut lire, voilà ce qu'il faut entendre. Merci!
Pour moi, M. Fernand Couturier, vous tenez une place très importante dans ma bibliothèque. Je vous ai découvert dans un ouvrage essentiel, un ouvrage que tous les locuteurs de notre belle langue française au Québec devrait lire:
"Un Peuple et sa Langue"
Essai de philosophie du langage et de l'histoire. Pour l'avenir du Québec, notre patrie.
Édité par la: Fondation littéraire Fleur de Lys.
www.manuscritdepot.com
ISBN 2-89612-031-9
Mes salutations distinguées,
Lawrence Tremblay.
Fernand Couturier Répondre
6 avril 2010À Gébé Tremblay,
Voici la source dont s'inspire la citation que vous produisez.
Denis Vaugeois, "La nation québécoise, le creuset méconnu", aux pages 63 à 95 du collectif La nation sans la religion? PUL, 2009.
Raymond Poulin Répondre
6 avril 2010Voilà le meilleur papier publié sur la laïcité en contexte québécois. Pour une fois, on sort de l’abstraction, on se situe sur le plancher des vaches. On constate cependant que, pour appliquer ce modèle, il faudrait d’abord que le Québec devienne son propre maître.
Archives de Vigile Répondre
6 avril 2010Avant de prendre acte de cette étonnante proposition, il me faudrait vos références qui le démontrent.
C'est une chose d'embarquer, une autre de rester. La Nouvelle France s'étendait jusqu'en Floride ! Vous ne proposez tout de même pas que les Sioux et Hollandais sont de la nation québécoise !
De Canadiens à Canadiens français à Québécois, nous sommes une nation du Saint Laurent, territoire qui autrefois était Canada est maintenant dit Québec.
Quant aux amérindiens, ils forment des nations indépendantes. C'est leur choix !