Du devoir à la dette…
Les textes de trois auteurs (Marcos Ancelovici, Francis Dupuis-Déri, Denis Monière) qui ont rempli la page Idées du journal Le Devoir, 18 juillet 2012, m’invitent à la réflexion suivante. J’y suis directement pointé : « Le panneau tendu aux étudiants ».
La hausse à pic des frais de scolarité imposée par la gouvernance néolibérale de Jean Charest a provoqué le vertige chez une bonne part des étudiants au collégial et à l’université. Et ils sont descendus dans la rue. « On veut étudier, non s’endetter » fut l’un de leurs premiers slogans. Celui qui porte le plus à réflexion.
Des questions se posent effectivement : Pourquoi faudrait-il s’endetter pour étudier quand on est encore jeune? Est-il normal, est-il bien de commencer sa vie d’adulte autonome avec une dette de 25, 30, 40 mille dollars sur les épaules? Ou bien, pourquoi encore en jeune âge faudrait-il payer pour s’éduquer? Plus radicalement encore, pourquoi faudrait-il payer pour avoir été mis au monde?
Ces questions renvoient aux rapports qui devraient prévaloir entre société et éducation. L’expérience humaine semble enseigner que l’élément le plus fondamental de la vie avec les autres soit le bien commun. Cette expérience montre aussi clairement, à la moindre attention, que l’éducation ne se résume pas à un simple rapport transitif et unilatéral d’éducateur à éduqué. Car l’humain, dès sa naissance, n’est pas un simple objet maniable à volonté. Il est quelqu’un qui en un long parcours doit accéder lui-même à l’autonomie, à la liberté et à la responsabilité. Dans cette perspective on n’éduque pas les jeunes, mais les jeunes s’éduquent. Ils apprennent à extraire d’eux-mêmes, à activer les possibilités diverses reçues en partage en naissant d’une mère et d’un père dans un monde en processus culturel. Et avec le concours, avec l’accompagnement nécessaire de ceux qui sont plus avancés et expérimentés dans ce cheminement.
Ainsi surgit pour une société le devoir d’assister la jeunesse dans son propre parcours éducatif. C’est un dû naturel envers elle. Une dette que le bien commun exige d’acquitter. Et, de l’autre côté, la dette des étudiants, leur vrai devoir, c’est d’étudier. C’est là leur « juste part ». Et le dire ainsi, convient-il de remarquer, n’a rien d’un « paternalisme » autoritaire ni faussement protecteur. Le dire n’est pas la reproduction du discours néolibéral défendant ses illégitimes prérogatives. Le dire n’est qu’évoquer ce qui est ou devrait être.
Dans cette perspective, les frais de scolarité reviennent à monnayer un devoir social existentiel. Ils consistent à convertir cette dette sociale en une dette financière chez les jeunes en cours d’apprentissage humain. Il y a là comme une lâcheté, à tout le moins une inconscience blâmable.
Mais, rétorque-t-on, notre société n’a pas les moyens de financer les études de nos jeunes universitaires. Faux. Archi-faux. Car l’argent, il est là. Il est dans les impôts répartis de manière inéquitable. Il repose dans les banques des paradis fiscaux. Il fuit dans le bradage de nos richesses minières qui gruge notre bien commun et gonfle les profits de sociétés privées et étrangères. Il est dans les goussets joufflus et insatiables des p.d.g. de toutes appartenances. Il a glissé et sans doute s’échappe encore dans les tactiques de collusion et de corruption qu’une gouvernance honteusement permissive a tant de mal à réprimer. Il est dans les 50 milliards de dollars annuellement transmis dans les coffres d’un autre État qui n’a cure de dépenser ces montants selon les besoins prioritaires et essentiels de notre propre société.
L’éducation doit normalement et en toute justice être financièrement gratuite. Y compris à l’université. Mais quand notre société dans son ensemble pourra-t-elle comprendre ce devoir? Seule une délibération ouverte à tous et soutenue pour un certain temps pourra y mener. De toute évidence, il y a encore un bon bout de chemin à parcourir. Et à cet égard l’engagement des étudiants d’aller rencontrer cet été le peuple en ses villes et villages pour s’entendre avec lui est tout à fait louable et prometteur. Excellent pour chasser la diabolisation du carré rouge et effacer la stigmatisation de tous ceux qui l’ont affiché.
Par ailleurs, nous pouvons, nous devons, au cours des prochaines semaines arrêter un gouvernement fatigué, usé, irrespectueux du bien commun et l’envoyer réfléchir sur les banquettes de l’opposition. C’est une urgence. Il faut le plus vite possible mettre un frein à l’érosion de notre sol nourricier et minier, à l’effritement de notre structure étatique, à la dilution de notre identité française, culturelle dans une piètre mondialisation financière anglo-américaine. Mais pour cela sans doute faudra-t-il, ici et là, mettre un peu d’eau dans le pur jus de son propre idéalisme lors des élections de cet automne. Il conviendrait de pouvoir dépasser, en cette circonstance du moins, le dualisme polarisant et exclusiviste de la gauche et de la droite. À chacun de jauger l’attitude et les actions qui pourront le mieux, à court terme, empêcher le gouvernement Charest de tabler sur la grève des étudiants pour éviter d’être jugé sur le bilan lamentable de sa gérance.
À cet égard, j’ai suggéré de considérer les résultats de quelques sondages qui donnent une majorité de la population en faveur de la position gouvernementale à l’égard de la grève étudiante. Je sais, je sais, un sondage n’est que la photographie instantanée d’une réalité en mouvement. D’où mon appel au jugement prudentiel. Ce qui a eu l’air d’ennuyer certains savants « en recherche sur l’action collective ». Faut-il rappeler que le jugement circonspect concerne justement la réalité concrète mouvante où interviennent les actions autant collectives que personnelles.
Faisons le mieux pour que le très prochain rendez-vous électoral nous donne, pour les quatre années qui viennent, un espace le plus favorable possible, dans les circonstances présentes, pour la délibération commune, pour la préparation et le règne d’une société éduquée et libérée. Espace libéré pour le bien de tous. Espace générateur d’une authentique démocratie. Nous connaissons bien et souffrons assez mal les faiblesses et les manques de la présente. L’enjeu est de taille. Les cartes à jouer peuvent surprendre.
Fernand Couturier
Citoyen
20 juillet 2012
À Marcos Ancelovici, Francis Dupuis-Déri
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