Charte de la laïcité - Québec devrait user de la clause dérogatoire

Fce8758e0d1aca2461d1df11f44dc9db

Absolument !

Il y a moins d’un an, et au lendemain de l’arrêt de la Cour suprême du Canada autorisant le port du niqab devant les tribunaux au Canada, j’appelais de mes voeux l’adoption d’un modèle authentiquement québécois de laïcité. La présentation, le 7 novembre 2013, de la Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement (projet de loi no 60) relève ce grand défi. Si elle est adoptée, cette Charte dotera le Québec d’un régime de laïcité assurant le respect de certaines valeurs fondamentales pour lesquelles les Québécois et les Québécoises ont un attachement profond et auxquelles pourront adhérer les générations futures. Elle organisera l’État du Québec autour du principe de laïcité selon un modèle qui emprunte à la tradition républicaine française, tout en assurant le respect des libertés individuelles de religion et de conscience, tant dans l’espace public que dans la vie privée.

Le débat éminemment démocratique qui s’est engagé au lendemain du dépôt des Orientations gouvernementales le 10 septembre 2013 aura eu l’avantage de mesurer la légitimité de la proposition formulée par le ministre Bernard Drainville et de recenser les changements permettant de lui assurer une cohérence. L’idée de mener à terme le processus de laïcisation au sein de l’État du Québec en adoptant des mesures visant en outre à assurer la neutralité du personnel des organismes publics est, de toute évidence, soutenue de façon très large par la population québécoise. Les prises de position au sein de la société civile et des mouvements religieux ainsi que les consultations effectuées par le gouvernement auprès des citoyens et citoyennes lui auront aussi permis de prendre conscience de l’incohérence de certaines de ses orientations.

Il faut ainsi se réjouir que le gouvernement ait conclu que la présence du crucifix à l’Assemblée nationale n’était pas compatible avec le régime de laïcité proposé. Il y a également lieu de constater que le droit de retrait qui aurait autorisé certaines institutions à ne pas assujettir leurs membres à l’interdiction de porter des signes religieux ostentatoires n’a pas été inclus dans le projet de loi no 60. Il a été remplacé par des dispositions créant des périodes de transition d’une durée déterminée et autorisant dans certains cas leur prolongement.

Les articles de la discorde

Si les énoncés de neutralité religieuse et du caractère laïque des organismes publics de même que les devoirs de neutralité et de réserve en matière religieuse contenus aux articles 1 à 4 du projet de charte ne devraient pas poser problème, la restriction relative au port d’un signe religieux prévue à l’article 5 devrait continuer de susciter des débats. La règle selon laquelle « [un] membre du personnel d’un organisme public ne doit pas porter, dans l’exercice de ses fonctions, un objet, tel un couvre-chef, un vêtement, un bijou ou une autre parure, marquant ostensiblement, par son caractère démonstratif, une appartenance religieuse », sera considérée par plusieurs comme portant atteinte à la liberté de religion et au droit à l’égalité. De même, l’obligation d’avoir le visage découvert consacrée aux articles 6 et 7 est susceptible de faire l’objet d’une contestation constitutionnelle, comme le seront aussi les nouveaux critères de traitement des demandes d’accommodement en matière religieuse prévues aux articles 15 à 18.

À la lecture du projet de loi, je demeure convaincu que la future Charte de la laïcité de l’État du Québec fixe la portée et aménage l’exercice de la liberté de religion et du droit à l’égalité d’une façon qui ne remet pas en cause sa légalité. Les mesures qui y sont prévues sont à mon avis des limites raisonnables dans une société libre et démocratique. La raisonnabilité de ces mesures pourrait à nouveau être contestée par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Les commentaires formulés par celle-ci à l’égard des Orientations gouvernementales avaient toutefois comme caractéristique commune de refuser toutes les modifications susceptibles de modifier l’état du droit actuel. Les doutes, reproches et mises en garde de la Commission s’appuyaient d’ailleurs beaucoup sur la Charte canadienne des droits et libertés et l’interprétation qu’en ont faite les tribunaux. Dans ces commentaires, la Commission se révélait être non seulement la gardienne du statu quo, mais la gardienne de la Charte canadienne, dont il faut rappeler qu’elle fut imposée au Québec sans son consentement. Elle s’est aussi faite la gardienne des interprétations de la Cour suprême du Canada fondées en particulier sur le concept du multiculturalisme. De plus, en adressant des mises en garde contre l’utilisation par le Québec de la clause de dérogation, la Commission a nié en définitive le droit reconnu à l’Assemblée nationale de faire prévaloir ses vues sur ceux des juges lorsqu’il s’agit d’un enjeu aussi fondamental que celui d’organiser l’État du Québec autour du principe de la laïcité.

Dérogation

Le gouvernement ne devrait pas suivre la Commission sur cette voie et se priver du droit de proposer que le Québec invoque la clause de dérogation pour mettre en place un régime authentiquement québécois de laïcité. On sait aujourd’hui que le gouvernement du Canada entend plaider l’inconstitutionnalité de la future Charte de la laïcité de l’État du Québec. L’on peut donc s’attendre à une contestation qui aura pour effet de rendre la loi inapplicable pendant de nombreuses années et jusqu’au jugement ou à l’avis de la Cour suprême.

Le choix que la nation québécoise s’apprête à faire en matière de laïcité ne devrait pas être arrêté en définitive par neuf juges de la Cour suprême du Canada, dont trois (et peut-être seulement deux ?) du Québec - et dont les voix l’auront donc emporté sur celles exprimées à l’Assemblée nationale, et à travers elle celles du peuple québécois qui en élit les membres. Je crois que nous sommes dans une situation où l’utilisation de la clause de dérogation de la Charte québécoise et de la Charte canadienne est pleinement justifiée et que l’Assemblée nationale devrait faire savoir, haut et fort, que, sur cette question, elle aura le dernier mot.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->