En la personne de Charles III, et depuis le 10 septembre 2022, une nouvelle monarchie canadienne est née. Émanant de la gouverneure générale du Canada, Mary Simon, la Proclamation selon laquelle Son Altesse Royale le prince Charles Philip Arthur George est maintenant devenu, par le décès de la souveraine Élisabeth II, le roi Charles III, en a attesté. Les lieutenants-gouverneurs de six provinces canadiennes ont également enregistré des proclamations en termes similaires (Île-du-Prince-Édouard, Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse, Ontario, Saskatchewan et Terre-Neuve). Le lieutenant-gouverneur du Québec n’a pas imité ses collègues et s’est contenté de souligner l’accession au trône de Sa Majesté le roi Charles III par la voie d’un communiqué de presse.
Discriminatoire et illégitime
La succession s’appuie sur des règles édictées au Royaume-Uni et auxquelles le Parlement du Canada a donné son assentiment, notamment par l’adoption de la Loi de 2013 sur la succession au trône. Les règles qui ont conduit à l’accession de Charles III au trône du Canada maintiennent l’interdiction faite aux personnes de foi catholique, et uniquement aux personnes de cette religion, de devenir roi du Canada. Elles consacrent également l’exigence que le roi se joigne à l’Église anglicane.
Ces exigences sont discriminatoires et vont à l’encontre des droits et libertés garantis par la Charte canadienne des droits et libertés et de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Elles sont aussi contraires à la Loi sur la laïcité de l’État selon laquelle « [l]’État du Québec est laïque » et la laïcité de l’État repose sur les principes de « la séparation de l’État et des religions » et de « la neutralité religieuse de l’État ».
Les proclamations du 10 septembre n’ont donné lieu à aucun assentiment parlementaire, et encore moins populaire. Elles vont à l’encontre de la volonté d’abolir la monarchie au Québec, une volonté qu’illustrait à nouveau un sondage effectué par la firme Léger du 11 au 16 août 2022 à la demande de l’Institut de recherche sur l’autodétermination des peuples et des indépendances nationales et révélant que 61 % des Québécois et Québécoises (et 69 % des francophones) considéraient qu’une telle abolition était une bonne idée. Ces proclamations n’ont en conséquence aucune légitimité.
Une abolition consensuelle
Pour mettre fin au régime monarchique au Québec, une initiative s’impose, soit celle d’abolir la fonction de lieutenant-gouverneur. Une telle avenue a été envisagée dès 1967 par le Parti libéral du Québec. Ainsi, dans le Rapport du comité des affaires constitutionnelles de la commission politique de la Fédération libérale du Québec, le président de ce comité et député, Paul-Gérin Lajoie, proposait qu’une « nouvelle constitution du Québec [remplace] nos institutions monarchiques désuètes par des institutions proprement québécoises émanant de la volonté du peuple québécois » et que la « fonction de lieutenant-gouverneur [soit] transformée en conséquence ».
En 2015 et 48 ans plus tard, la Coalition avenir Québec formulait une proposition analogue. Dans Un nouveau projet pour les nationalistes du Québec, elle affirmait que « [l]es institutions communes et le fonctionnement du fédéralisme exécutif canadien doivent être réformés pour évacuer certains legs d’une autre époque » et que « devra[it] être abolie la fonction de lieutenant-gouverneur ».
Ces propositions méritent de renaître, et il ne devrait pas être difficile de forger un large consensus sur cette question en obtenant l’appui du Parti québécois, de Québec solidaire et du Parti conservateur du Québec. Comme cela a été fait par l’affirmation que « [les] Québécoises et les Québécois forment une nation » et que « [l]e français est la seule langue officielle du Québec » ainsi que « la langue commune de la nation québécoise », l’Assemblée nationale devrait être invitée à affirmer, comme autre caractéristique fondamentale, que « l’État du Québec est une république ».
Et s’inspirant en cela de trois cantons suisses, la République et canton de Genève, la République et canton du Jura et la République et canton de Neuchâtel, le Québec pourrait d’ailleurs être désigné par l’appellation « République et État du Québec ».
Pour procéder à l’abolition de la fonction de lieutenant-gouverneur, la Loi constitutionnelle de 1982 pourrait devoir entrer en jeu du fait que son article 41 prévoit par ailleurs que toute modification de la Constitution du Canada portant sur la charge de lieutenant-gouverneur doit être autorisée par le Sénat, la Chambre des communes et l’Assemblée législative de chaque province. Mais il y a lieu de rappeler que cette loi a été adoptée sans le consentement du Québec et qu’une réponse légitime à cet acte unilatéral du reste du Canada serait d’instaurer, par un acte unilatéral équivalent, une République québécoise sans le consentement du reste du Canada.
Une démocratie plus achevée
Doter le Québec d’un régime républicain conférant à ses citoyens et citoyennes le pouvoir de participer librement au choix de leur chef ou cheffe d’État et de choisir, tout aussi librement, son mode de désignation est une voie d’avenir. S’il avait comme effet, comme l’a suggéré l’éditorialiste Robert Dutrisac, de « secouer le joug monarchique », un tel geste aurait pour conséquence que le peuple du Québec ne se verrait plus imposer un roi de nationalité britannique accédant à cette fonction par voie héréditaire et pourrait choisir une personnalité de « nationalité » québécoise à la tête de son État.
Comme le proposait Paul Gérin-Lajoie, une telle avenue devrait d’ailleurs s’inscrire dans le cadre d’une démarche d’élaboration d’une future constitution québécoise pour laquelle l’actuel gouvernement a démontré un intérêt. Elle s’avérerait l’occasion non seulement d’abolir la fonction de lieutenant-gouverneur, mais d’instituer une démocratie plus achevée et de véritablement s’affirmer — et enfin de se constituer — comme peuple.