Zemmour, le journal de campagne 3 : La mort du père, c’est la mort de la famille.
« Avec la loi du 4 juin 1970, Pompidou a ruiné dix ans de pédagogie gaullienne. La loi du 4 juin 1970 a signé la mort du père de famille. Les débats parlementaires ont été passionnés et houleux avant de supprimer la puissance paternelle. La majorité conservatrice ne comprenait pas que l’Élysée et Matignon apaisent leurs ennemis enragés, gauchistes et féministes. Ils regrettaient la grande ombre boudeuse de Colombey.
Les plus lettrés de ces élus se souvenaient des homélies de Joseph de Maistre et des fulminations d’Honoré de Balzac : « La décapitation de Louis XVI avait annoncé la mort de tous les pères« . L’Histoire recommençait : le général de Gaulle avait proclamé qu’avec la Vème République, il réglait une question vieille de cent cinquante-neuf ans. En remettant la tête d’un père suprême sur le corps de la nation, il avait rétabli celle de tous les pères. Après le Général, l’Histoire de la chute reprenait son cours en imposant son idéologie dissolvante au cœur de la famille. Quand un député demanda à quel besoin répondait cette loi, le ministre de la Justice, René Pleven, répondit naïvement : « À introduire la notion de bonheur dans les familles. »
Si l’on en croyait le ministre, toutes les familles du passé avaient été malheureuses. Toutes avaient vécu sous la tyrannie ! Tous les enfants élevés, génération après génération, dans des familles patriarcales avaient connu des pères autoritaires et distants. Et ceux, nombreux, qui croyaient y avoir connu la douceur de vivre se trompaient, triste troupeau malheureux sans le savoir. Et toutes les épouses qui avaient mené la maisonnée, mari compris, d’une main de maîtresse femme, n’étaient que de pauvres esclaves soumises.
Le père aurait donc été l’obstacle au bonheur des familles depuis toujours. Affreuse responsabilité historique des hommes. Le coup venait de loin. On le croyait parti de la gauche progressiste et humaniste. Il venait de la droite, des capitalistes d’Amérique. Ce n’était pas un commencement, mais un achèvement.
Quelques années plus tard, Christopher Lasch publiait un livre intitulé : « Un refuge dans ce monde impitoyable. La famille assiégée. » L’auteur y retraçait l’histoire de la destruction méthodique du père et de la famille. La volonté des capitalistes était d’arracher les ouvriers enracinés dans la famille afin de les rendre plus productifs et plus dociles. Il fallait remplacer l’imperium paternel. On arracherait les ultimes reliquats de la mentalité patriarcale pour faire entrer la famille dans la consommation grâce à la publicité et à son influence civilisatrice diversitaire aux effets culturels indéniables, et donc aux grands progrès de l’Histoire.
La propagande consumériste mina la culture traditionnelle du patriarcat. Les publicitaires s’allièrent aux sociologues, aux femmes et aux enfants contre les pères qui contenaient leurs pulsions consommatrices. Les mêmes, alliés aux féministes, firent campagne pour que les femmes aient un libre accès aux dépenses.
La rééducation libertaire des parents s’imposait. L’épanouissement personnel devait être préféré à tout, y compris à la stabilité du mariage. Dès les années 1920, selon Christopher Lasch, la messe était dite.
Après les États-Unis, le prêtre et le législateur ont été remplacés en France par les médecins, les sociologues, psychologues, publicitaires, qui imposèrent les normes progressistes de la vie de la famille.
« Peu à peu, eut lieu l’intégration calculée des femmes et de la jeunesse au marché, aux dépenses, au prix d’une impatience et d’une insatisfaction perpétuelles. La quête du bonheur factice devint la grande affaire de tous. Le père en fut exclu. L’Amérique victorieuse en 1945 devint un modèle de société à suivre.
Le rejet de la guerre poussa certains intellectuels à rechercher et à trouver dans la famille et le père la cause de tous les désastres. Lors des débats parlementaires, le rapporteur de la commission des lois, M. Tisserand, expliqua que « la jeune fille [qui] se mariait avait [jadis] le désir de trouver une protection lui permettant de fonder une communauté familiale et d’éduquer ses enfants. Désormais, la femme par son travail et par une connaissance plus étendue des choses de la vie due aux moyens d’information modernes a acquis l’égalité financière et d’information. Dès lors, il serait illogique et sans doute dangereux de maintenir la notion de protection comme motivation du mariage. » Longtemps après ces débats, la demande de protection n’a nullement disparu. Elle n’est plus avouée par les femmes mais obstinément recherchée. Elles y renoncent dans une souffrance d’autant plus douloureuse qu’elle doit être tue. Cette quête obstinée de protection est liée à la maternité et au besoin de protéger et d’éduquer leurs petits, pas au travail ni à l’information.
La vision d’une femme qui ne travaille pas est une déformation aristocratique ou bourgeoise. La femme a toujours travaillé et toujours réclamé la protection de son mari. La mort du père er de la famille, c’est la mort anticipée du mariage qui méconnaît la subtilité des rapports entre les hommes et les femmes.
Le besoin des hommes de croire dominer, au moins formellement, pour se rassurer, rejoint le besoin des femmes de se donner sans crainte et sans honte. Aujourd’hui encore, les femmes épousent des hommes plus diplômés et pour la plupart mieux rémunérés qu’elles.
Aux États-Unis, 70 % des femmes noires restent célibataires car elles ne trouvent pas d’hommes noirs plus diplômés qu’elles. Christopher Lasch concluait ainsi : « La femme moderne ne peut résister à la tentation de vouloir dominer son mari. Et si elle y parvient, elle ne peut s’empêcher de le haïr. »
Dès ces années 1970, le pédopsychiatre Aldo Naouri a vu les effets délétères qu’avait sur les enfants la disparition des pères dans la famille moderne. Revenant aux origines de l’humanité, Naouri prit conscience que le père était une invention récente dans l’Histoire de l’humanité (trois mille ans, tout au plus).
C’était une invention capitale pour interdire l’inceste et mettre un obstacle à la fusion entre l’enfant, être fait de pulsions et la mère, destinée à satisfaire ses pulsions. Le patriarcat était une création culturelle qui avait besoin du soutien de la société pour s’imposer. C’était un progrès pour contrebalancer la puissance maternelle, naturelle et irrésistible. Le père incarne la loi et le principe de réalité contre le principe de plaisir.
Il incarne la famille autoritaire qui canalise et refrène les pulsions des enfants pour les contraindre à les sublimer. Sans le soutien de la société, le père n’est rien. À partir du moment où la puissance paternelle est abattue par la loi, le matriarcat règne. L’égalité devient indifférenciation. Le père n’est plus légitime pour imposer la loi. Il est sommé de devenir une deuxième mère. Papa-poule, chassé ou castré, il n’a pas le choix.
De Gaulle avait jadis écrit : « Il n’y a pas d’autorité sans prestige et pas de prestige sans éloignement. »
Avec l’autorité parentale de la loi de 1970, le père est éjecté de la société occidentale. Avec lui, c’est la famille qui meurt. Quarante ans plus tard, les revendications en faveur de l’homoparentalité-PMA-GPA sonnent la fin de la famille traditionnelle puisqu’on ne prend plus en considération la différence sexuelle entre la mère et le père pour définir leurs fonctions et leurs rôles respectifs. La famille était en train de mourir, mais elle ne le savait pas encore. Aujourd’hui la destruction de la famille occidentale arrive à son terme.
Nous en revenons à une humanité d’avant la loi du père interdisant l’inceste : une humanité barbare, sauvage et inhumaine. L’enfer au nom de la liberté, de l’égalité. L’enfer au nom du bonheur pour tous.
La famille n’existera plus après le général de Gaulle. Avec le père, c’est la famille qu’on enterre.
(librement adapté de Éric Zemmour, Le suicide français).
Thierry Michaud-Nérard