Zemmour, le journal de campagne 7 : « Le 1er juillet 1972, la loi Pleven installe en France la fin de la liberté d’expression. La France sera le premier pays au monde à avoir une définition des plus extensive de la discrimination dans ses lois pénales partisanes contre la liberté d’expression et la liberté de la presse. »
Le ministre de la Justice, René Pleven, content de lui, est fier de la France et de son gouvernement. Pourtant, l’idée de cette loi visant à réprimer plus sévèrement le racisme est celle d’un député socialiste, René Chazelle. Le ministre Pleven l’a seulement adoptée. Ni l’Assemblée nationale ni le Sénat n’ont tergiversé : le texte fut voté à l’unanimité par les deux Chambres. Un de ces votes consensuels dont on fait gloire à la République, alors qu’il fut un de ces scrutins à la va-vite et à main levée, dans des hémicycles aux trois quarts vides où les rares présents s’agitent en tous sens pour tourner les clés de leurs petits camarades absents.
Le rapporteur de la loi, Pierre Mailhé, entonne les trompettes des temps quasi messianiques : « Ce texte est l’aboutissement d’une très longue lutte menée par des hommes de bonne volonté contre certains aspects abominables des relations humaines. » On s’enfonce dans les bons sentiments. Personne ne peut lutter contre les bons sentiments de façade, pas même le lettré et très conservateur président Pompidou.
La loi du 1er juillet 1972 s’inscrit dans le cadre de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Elle paraît modestement ajouter de nouveaux délits à ceux qu’énumérait déjà le Code pénal, mais la loi Pleven est funeste. La loi de 1881 réprimait la provocation à certains crimes et délits, ces atteintes à la propriété (vol, pillage, incendie) qui scandalisaient la IIIème République libérale, quelques années après la Commune. La loi du 1er juillet 1972 ajoute à la liste « la provocation à la discrimination, à la haine, ou à la violence » visant certaines personnes ou groupes de personnes « à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, à une nation, à une race, ou une religion déterminée » . Les groupes de personnes ainsi désignés sont protégés contre la diffamation et l’injure.
Alors que ce privilège n’était accordé par la loi de 1881 qu’aux corps constitués, armée, présidence de la République, etc. Les peines, en ce cas, sont plus sévères que pour les diffamations ordinaires.
En dépit de la pureté (politicienne apparente) de ses intentions, la loi est une régression. Elle introduit la subjectivité là où régnait l’objectivité. Elle condamne l’intention et non les faits. Elle donne au juge le droit et le devoir de sonder les cœurs et les âmes, de faire l’archéologie des pensées et des arrière-pensées.
Elle contraint le magistrat à transgresser ce principe général du droit fort protecteur selon lequel « la loi pénale est d’interprétation strictement restrictive« . Le droit à la diffamation prévoyait une exception de vérité.
Désormais, non seulement la vérité ne rend plus libre, mais elle peut conduire en prison.
On se félicita alors de cette législation antiraciste. Personne ne remarqua le glissement opéré par la loi qui interdisait toute discrimination en raison de l’ethnie, de la race, de la religion, ajoutant l’appartenance ou la non-appartenance à une nation. Les lobbies avaient bien manœuvré. C’est l’époque où une immigration massive venue d’Afrique du Nord sert les intérêts d’un patronat du bâtiment ou de l’automobile.
Le ministre de l’Intérieur, Raymond Marcellin, s’en est plaint au président de la République, craignant pour l’ordre public, et reçoit cette réplique désabusée de Georges Pompidou : « C’est le patronat qui l’exige. »
Avec la référence à la nation, on passe du racisme à une notion différente, la xénophobie.
Poussé à l’extrême par le législateur, le refus de la xénophobie a des conséquences pernicieuses.
Désormais, un propriétaire qui ne loue qu’à un Français sera puni, de même qu’un employeur qui préfère embaucher un compatriote sera puni, alors que l’État exclut les étrangers du recrutement de certains fonctionnaires. Ce principe de non-discrimination de la bien-pensance anti-raciste entre les Français et les étrangers interdit toute préférence nationale. Il sape la notion de frontière entre le dedans et le dehors. Il assimile le patriotisme au racisme et interdit à un Français de préférer un compatriote à un étranger.
La loi Pleven annonce la dissolution programmée de la nation française dans un magma planétaire. C’est le retour en grâce du « genre humain » exalté par certains révolutionnaires avant le temps des guerres de tous contre tous. Pour faire respecter cette vérité officielle, la loi Pleven a sous-traité sa fonction répressive à des associations subventionnées à qui elle a accordé des privilèges exorbitants de puissance publique.
En les autorisant à saisir la justice au même titre que le procureur de la République pour tout propos soi-disant déplacé, l’État leur a donné un droit de poursuite contre tous les « déviants » et opposants.
Ces associations en tirent un avantage pécuniaire (indemnités en gagnant un procès), idéologique et médiatique. Cette situation évoque la terreur du KGB en Union soviétique, lorsque le parti communiste et les organisations affiliées se chargeaient d’exercer la police de la pensée dans les procès de Moscou.
La loi Pleven est la mère de toutes les batailles. Sa descendance est innombrable : lois Gayssot, Taubira, Lellouche, Perben adoptées à la quasi-unanimité par un Parlement sommé de s’exécuter sous la pression des médias. À partir de la loi Pleven, s’érige un nouveau champ du sacré : l’immigration, l’islam, l’homosexualité, l’histoire de l’esclavage, de la colonisation et de la Seconde Guerre mondiale, du génocide des Juifs par les nazis. Domaine vaste, hétéroclite, qui ne cesse de s’étendre pour donner satisfaction à toutes les minorités qui s’estiment discriminées, martyrisées par la France, l’Histoire, la Nature.
Depuis qu’elles ont été consacrées par la loi Pleven, les associations antiracistes sont devenues des ligues de vertu qui défendent la nouvelle morale érigée en dogme d’État. La justice est mise au service de cette redoutable Inquisition. « Le racisme n’est pas une opinion, mais un délit ». Alors que le racisme a toujours été un délit, la loi Pleven se résume à ce slogan publicitaire assené pour faire taire l les mal-pensants, et pour imposer une épée de Damoclès moralo-progressiste au-dessus de toute discussion, confrontation, débat.
L’article 1 de la loi du 29 juillet 1881 proclamait : « La presse et l’imprimerie sont libres. »
Ce cri de délivrance sonnait, croyait-on, la fin d’une longue histoire, d’un combat acharné, depuis l’Antiquité grecque, la Renaissance et les Lumières, pour que rien, pas même les dogmes religieux, n’échappe à l’examen critique et rationnel. Cette quête de la vérité exige un débat libre de toute contrainte. C’est l’opposition des idées dans l’espace public qui féconde la pensée et entraîne le progrès intellectuel.
La rencontre entre le mouvement « politically correct« , né dans les universités américaines dans les années 1960, et la tradition de l’extrême gauche révolutionnaire française, a enfanté dans notre pays un monstre inédit. La liberté de pensée, d’écrire et de s’exprimer n’aura été qu’une parenthèse historique de moins d’un siècle. Les monarques absolus ont disparu. On a seulement changé de maîtres.
Et les nouveaux maîtres de la gauche Socialo-LREM corrompue ne sont pas moins tyranniques.
Moralité : La presse et l’imprimerie ne sont plus libres dans la France de Macron.
(librement adapté de Éric Zemmour, Le suicide français).
Thierry Michaud-Nérard