L’IA sur le terrain

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Accompagnement et questionnement


Beaucoup de personnes m’ont écrit en réponse à mon appel à tous à propos de l’IA en classe. Le sujet intéresse et inquiète. J’ai appris plein de choses en vous lisant, et vous remercie.


Voici quelques pistes et réflexions. Je reviendrai sur vos idées d’ici la fin de l’année scolaire.


Corriger


Sylvie Plante, professeure au cégep, m’apprend qu’on peut déjà utiliser ChatGPT pour corriger les travaux d’élèves et que certains recommandent de le faire. Vous entrez vos critères de correction et un exemple d’un excellent travail, me dit-elle, et obtenez instantanément une correction dite « meilleure que ce que tout être humain pourrait faire », avec en prime un immense gain de temps. « Cela veut-il dire, demande Mme Plante, que dans un futur pas si lointain, les profs ne corrigeront plus les travaux qui n’auront pas été écrits, de toute façon, par de vrais étudiants ? On se croirait dans une pièce d’Ionesco. »


Mme Plante s’inquiète à ce sujet de tout ce que cet outil peut menacer — elle pense au collégial : « L’ardu travail intellectuel et méthodologique qui est nécessaire pour écrire un texte est balayé très rapidement grâce à l’IA : faire des recherches, s’assurer que les sources sont crédibles et fiables, lire (écouter) les sources, les comprendre, les synthétiser, faire un plan, rédiger le travail, écrire, réécrire, se relire, se corriger ET développer soi-même une culture générale. » Bien vu !


Toujours au sujet de la correction — quand c’est le prof qui corrige. Louis Auger, professeur au collégial, corrige des travaux et constate une énorme disparité de la qualité du français entre une section du travail et les autres. Explication ? ChatGPT a été utilisé. Le professeur s’interroge : « Dois-je blâmer, punir ces étudiants, ou les féliciter d’avoir utilisé les toutes dernières technologies à leur disposition ? Est-ce que le professeur n’a pas une part de responsabilité dans la formulation de ses questions s’il veut réellement forcer l’étudiant à réfléchir et à produire une analyse plus poussée ? » Il conclut : « Je n’ai pas encore de réponse à ces questions. »


Enseigner


Je parlais dans une récente chronique de l’outil Photomath, qui vous montre, étape par étape, comment résoudre une équation. Est-ce là ce que ferait un bon enseignant ?


Charles Lafleur, enseignant retraité du collégial, nous fait part de ces belles observations, à méditer. Un bon enseignant, dit-il, « réviserait avec l’étudiant ce que ce dernier a réussi à pondre avant d’arriver à une impasse, soulignant les bons coups et formulant des doutes aux endroits “discutables” du parcours. Sans donner la réponse, il fournirait quelques indices permettant à l’étudiant de retrouver le bon chemin. Et des indices sur mesure, en fonction du niveau de l’étudiant : davantage à celui qui en arrache beaucoup, moins au “bollé” qui cartonne ».


Nathalie Boileau, enseignante au primaire, pointe dans la même direction pour contrer l’effet des IA : « Rien ne peut remplacer de demander à quelqu’un de vous expliquer ce qu’il a lu. Même un travail de dix pages que l’étudiant a fait durant plusieurs semaines pourrait se conclure avec un entretien. L’enseignant se doit de vérifier le niveau de compréhension de ses élèves tout au long d’une leçon. En observant, en vérifiant, j’arrive à cerner très précisément ce que les élèves comprennent, et le niveau de compréhension (s’ils sont capables de m’en parler, s’ils ont intégré ce nouveau savoir). C’est un enseignement plus dynamique, plus demandant en matière d’énergie et de temps (donc d’organisation), mais qui serait profitable à plusieurs niveaux, pas seulement dans le but de contrer le plagiat, mais aussi de créer une vraie relation entre les élèves et l’enseignant. »


Préparer les jeunes à ce qui s’en vient


Simon Duguay enseigne l’éducation aux médias au secondaire. Il a conçu une séquence de cours sur l’IA destinée à ses élèves. Il y explique le fonctionnement de l’IA, ses biais, parle de la fiabilité des informations générées par ChatGPT et d’autres IA, sans oublier d’autres questions, comme : « Est-ce que l’IA peut renforcer la désinformation ? Peut-elle générer des courriels d’hameçonnage qui semblent plus convaincants ? Quels seront les impacts de l’IA sur le monde de l’emploi ? Est-ce que chaque groupe social sera affecté également par cette révolution ? Quels sont l’importance et le rôle du droit d’auteur dans un texte qui a été généré par de l’IA ? » Tout cela est proposé dans le but « d’amener les élèves à être des citoyens éclairés sur la place de l’IA en société ». Belle initiative.


En attendant la prochaine chronique sur le sujet (il est encore temps de m’écrire à baillargeon.normand@uqam.ca), vous pouvez jeter un oeil au site Ditch That Textbook, qui pourrait vous intéresser.


 Et voici un ouvrage sur l’enseignement des mathématiques à l’heure de l’IA que me recommande un de ses auteurs, Philippe R. Richard, un universitaire qui travaille sur ces questions. Richard, P.R., Vélez, M.P., Van Vaerenbergh, S. Mathematics Education in the Age of Artificial Intelligence: How Artificial Intelligence Can Serve Mathematical Human Learning. Mathematics Education in the Digital Era, vol. 17. Springer, 2022.


Bonnes lectures.

 





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