On a annoncé cette semaine ce qui me semble être une grande et importante nouvelle en éducation : le gouvernement n’ira finalement pas de l’avant avec le projet d’agrandissement du collège Dawson.
Il reste à espérer qu’il annoncera sous peu une autre grande et importante nouvelle : qu’on étendra au cégep la loi 101, de sorte que celles et ceux qui fréquentent l’école en français aient aussi à faire leurs études collégiales dans cette langue.
Les arguments qui justifient cette position ne manquent pas.
De solides arguments
Ils ont été avancés et répétés depuis longtemps — et plus récemment par le chercheur Frédéric Lacroix, qui en ajoute d’autres.
On rappelle alors, entre autres, l’importance cruciale de protéger la langue française dans une société, et en particulier dans un Montréal, qui s’anglicise à grande vitesse, notamment à travers les établissements d’enseignement supérieur et par le choix d’université que font les étudiants internationaux.
Cela se déroule dans un contexte où se multiplient les indices de ce qu’on ne peut parfois qu’appeler, hélas, du mépris pour cette langue et pour ceux qui la parlent au sein de notre confédération.
On vient d’en avoir de nouvelles tristes preuves. On apprenait ainsi récemment qu’Ottawa refuserait de plus en plus aux étudiants francophones des permis d’études temporaires. On apprenait aussi que nous avons un ministre de l’Immigration (de l’Immigration, rien de moins !) unilingue anglais au gouvernement Trudeau. Enfin, on nous a informés ces jours-ci de cette décision de la Cour supérieure qui a jugé illégal le refus du ministre québécois de la Justice, Simon Jolin-Barrette, d’exiger, au nom de la défense du français, le bilinguisme des juges provinciaux.
Le ministre a réagi à cette rebuffade en assurant ne vouloir ménager « aucun effort pour défendre, promouvoir et valoriser la langue française et s’assurer que tous les Québécois puissent accéder à tous les postes, peu importe lesquels ».
Un pas important en ce sens serait justement d’étendre la loi 101 aux cégeps.
Aux arguments le plus souvent avancés pour justifier cette politique, je voudrais en ajouter d’autres qu’on n’entend, me semble-t-il, pas assez souvent et qui tiennent à la nature même de cette institution.
Le statut institutionnel des cégeps
Les cégeps, d’abord, sont des lieux de transmission d’une culture plus savante, plus riche, plus intégrée et intégrante que celle qu’on transmet au primaire et au secondaire. Par cette culture et par la langue de sa transmission, on complète, on parfait une inscription dans un univers culturel en lisant de la littérature et en étudiant de la philosophie francophones, en apprenant de manière plus approfondie l’histoire et, en un mot, à travers tout le curriculum, en vivant dans et par la langue que parle la majorité d’ici.
Les cégeps sont aussi des lieux de socialisation, et celle-ci prend, au seuil de l’âge adulte qui est celui des jeunes qui les fréquentent, des dimensions nouvelles et importantes. On y est moins à l’abri, à l’écart, de la société comme on l’est, et comme on doit l’être, à l’école : la société tout entière y pénètre et fait de cette socialisation un indispensable passage pour devenir pleinement citoyen de la société francophone qu’on habitera.
Les cégeps sont enfin des lieux de préparation à l’emploi. On en sort avec une profession si on a fait un cégep professionnel ; on s’apprête à étudier à l’université dans les autres cas. Chaque fois, l’inscription de tout ce que cela a demandé et impliqué dans le monde francophone prépare, incite, ou bien à exercer son métier ou bien à aller poursuivre sa formation dans l’univers culturel où cela s’est amorcé. La situation actuelle en pousse au contraire beaucoup vers la poursuite des études en anglais et vers le travail dans cette langue, notamment pour les allophones.
La commission Parent allait dans ce sens en écrivant que « les jeunes âgés de 17 à 19 ans vivent le passage à l’âge adulte et se trouvent en quête de leur identité personnelle, professionnelle et citoyenne ».
Ce qui précède, je pense, permet de contrer cet argument du libre choix que les individus devraient pouvoir exercer quant à leur fréquentation d’un cégep, argument qu’on invoque souvent contre cette obligation qu’on ferait, si ce que je préconise était adopté, de poursuivre en français ses études collégiales.
La question de la liberté de choix en éducation est philosophiquement complexe, et elle l’est encore plus chez nous avec ces écoles privées largement subventionnées qui font qu’elle se pose aussi sur un autre plan que sur celui de la langue.
On convient toutefois généralement que l’obligation de fréquenter les écoles publiques (ou privées subventionnées, chez nous) est légitime, justifiée par exemple par le droit des enfants à un avenir ouvert et par la nécessité de transmettre aux citoyens une culture commune. Le cas du cégep est toutefois singulier en raison de son statut : cette institution intermédiaire entre l’école et l’université n’existe nulle part ailleurs. Je pense, sans pouvoir développer longuement le sujet ici, que ce que j’ai avancé, notamment à propos de cette transmission culturelle particulière faite au cégep, justifie qu’on y étende la loi 101.
J’espère que le gouvernement en place aura le courage nécessaire de faire ce geste décisif, qui s’impose et dont, il me semble, la société civile dans son ensemble et le monde de l’éducation en particulier comprennent de plus en plus l’importance.
Pour ne pas dire l’urgence…