C'est une histoire d’hypocrisie politico-corporative, de très gros intérêts d'affaires et de cupidité extrême sur fond d’un monde où les attentats «téléguidés» ou «inspirés» par Daech dit le groupe armé État Islamique, se multiplient.
Une histoire, celle-là, carrément abjecte. Voici le récit révoltant d’une «coopération» avec des barbares au nom des «affaires», du pouvoir et de l’argent.
Ce n’est certes pas le premier exemple de l’Histoire humaine, loin s’en faut, mais cela ne le justifie en rien.
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Le prestigieux journal français Le Monde révélait hier que le cimentier multinational Lafarge aurait «payé des taxes à l'organisation État Islamique».
Exceptionnellement et considérant l’ampleur de la révélation, voici son résumé dans son entièreté tel que rapporté par le Nouvel Observateur :
«Le géant français des matériaux de construction Lafarge a payé des taxes à l'organisation Etat Islamique entre 2013 et 2014, via sa cimenterie implantée à Jalabiya, dans le nord de la Syrie. La raison ? Financière. Le groupe ne voulait pas prendre le risque que son chiffre d'affaires souffre de la guerre.
C'est une enquête menée par le journal "Le Monde" et publiée ce mardi 21 juin qui a permis de révéler cette coopération entre l'entreprise française - numéro un mondial du ciment depuis sa fusion avec la multinationale suisse Holcim - et le groupe Etat Islamique.
Comme le rappelle le journal du soir, la cimenterie de l'entreprise Lafarge implantée dans le nord-est de la Syrie et inaugurée en 2010 était "le fleuron" du groupe au Proche-Orient.
Une renommée qui aurait conduit la direction de l'usine à accepter l'inacceptable pour repousser l'échec, inévitable dans cet environnement "dangereux et instable".
Négociations avec l'EI
La guerre civile, qui a débuté en 2011, a fini par dégrader la situation de l'usine Lafarge en Syrie. Et en 2013, la production ralentit fortement, affirme un ancien employé au "Monde".
Dans le même temps, le groupe Etat Islamique gagne du terrain au niveau des villes et des routes autour de l’usine. Pour pouvoir continuer à fonctionner, la cimenterie est alors contrainte de "négocier" avec l'EI.
Le journal a pu consulter des mails envoyés par la direction de Lafarge en Syrie relatant les arrangements de l'entreprise avec le groupe djihadiste pour pouvoir poursuivre la production. "Le Monde" a également pu constater que des laissez-passer "estampillés du tampon de l’EI" avaient été délivrés à l'entreprise française. Des preuves accablantes pour Lafarge.
En juin 2013, Rakka - située à moins de 90 kilomètres de l'usine - tombe sous le contrôle de l'EI. En 2014, Manbij - ville qui accueille la plupart des employés de l'entreprise française - subit le même sort. Pour garantir la circulation de ses ouvriers et de ses marchandises, Lafarge envoie un dénommé Ahmad Jal oudi obtenir des "autorisations de l’EI de laisser passer les employés aux checkpoints".
Ahmad Jaloudi, pourtant absent de l'organigramme de Lafarge Syrie, est le "gestionnaire de risques" de l'entreprise et il se déplace beaucoup entre la Turquie, Razza, Manbij et l'usine, explique "Le Monde" à qui un ancien employé s'est confié.
Le 28 août 2014, le "gestionnaire de risques" envoie un mail à Frédéric Jolibois, PDG de la filiale de Lafarge en Syrie depuis juin 2014, pour lui faire part de ses difficultés. "Le Monde" rapporte le message :
"L’Etat islamique demande une liste de nos employés... j’ai essayé d’obtenir une autorisation pour quelques jours mais ils ont refusé"
Il est ensuite question d'organiser une "conférence téléphonique" en urgence avec "Frédéric [Jolibois, basé à Amman], Mamdouh [Al-Khaled, directeur de l’usine, basé à Damas], Hassan [As-Saleh, représentant de Mamdouh Al Khaled dans l’usine]" et Ahmad Jaloudi.
La direction à Paris était au courant
Le PDG de la filiale de Lafarge en Syrie répond au mail qui lui a été adressé le lendemain et "ajoute en copie Jean-Claude Veillard, directeur sûreté du groupe Lafarge à Paris", raconte "Le Monde". Preuve que la direction parisienne de Lafarge était au courant de ces tentatives de négociations avec le groupe Etat Islamique.
Autre preuve, s'il en faut plus, Jean-Claude Veillard échangeait quotidiennement sur des questions de sécurité depuis Paris avec l'usine en Syrie.
La liste de contacts avérés ou de tentatives de contacts entre Lafarge et l'EI est longue. "Le Monde" mentionne notamment une tentative de rencontre avec le "haut responsable de l'EI".
Ahmad Jaloudi avait écrit à Mazen Shiekh Awad, directeur des ressources humaines à Lafarge Syrie, tout en mettant en copie Bruno Pescheux, PDG de Lafarge Syrie, pour leur dire que la rencontre avec le "haut responsable de l'EI" aura lieu :
"Je le verrai dès son retour. Notre client [il ne précise pas lequel] à Rakka m’a organisé un rendez-vous avec lui."
Un an de coopération
Outre les taxes de circulation et les tentatives de contacts, les dirigeants auraient aussi accepté de se "fournir auprès des négociants en pétrole, dont les champs étaient tenus par le groupe EI", révèle encore "Le Monde".
Cette "coopération" aurait duré jusqu'au 19 septembre 2014, date à laquelle l'EI s'est tout simplement emparé du site. Forçant ainsi Lafarge à fermer boutique.
"Pendant un peu plus d’un an, Lafarge a ainsi indirectement financé l’organisation djihadiste", conclu le journal.
L'usine est devenue une base occidentale
L'enquête du "Monde" affirme cependant que :
"A deux reprises, un intermédiaire a proposé au groupe français de relancer la cimenterie sous la protection de l’EI et en échange d’un partage des bénéfices. Sans succès".
La guerre se faisant, l'ancienne cimenterie est aujourd'hui devenue une base pour les forces spéciales occidentales, "qui soutiennent discrètement les forces kurdo-arabes dans leur offensive en cours contre les djihadistes à Manbij et Rakka", souligne le journal. »
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Addendum :
En réaction à l’enquête du journal Le Monde, LafargeHolcim a émis un communiqué de presse laconique confirmant son exploitation d’une cimenterie en Syrie de 2010 à 2014 tout en demeurant silencieux sur Daech.
- Rappelons que Lafarge est en fait la multinationale LafargeHolcim depuis la fusion des «deux plus grands cimentiers mondiaux» et «affichant des revenus annuels combinés de près de 50 milliards de dollars».
Présent à travers le monde dans 90 pays, ses «affaires» s’étendent jusqu’au Canada et au Québec.
- Un des principaux actionnaires de Lafarge est également le Groupe Bruxelles Lambert, copropriété de Power Corporation.
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