Sectaires de toutes les sacristies, unissez-vous!

Chronique de Raymond Poulin

Le sujet des accommodements religieux semble avoir réveillé chez une partie
du clergé catholique québécois le syndrome du "moi aussi". Des
regroupements de parents emboîtent le pas et veulent rentrer la religion de
force à l'école, même si cette dernière est devenue légalement neutre,
pendant que certains athées poussent des cris d'orfraie. Faut-il s'alarmer
de tout ce boucan?
Apparemment, 80% des Québécois refusent tout accommodement religieux et
souhaitent une société officiellement laïque, parfois, d'ailleurs, avec un
relent de mauvaise conscience: une longue tradition ne disparaît pas sans
laisser de traces. S'il ne s'agissait pas d'abord de barrer le chemin aux
traditions étrangères, et si, surtout, l'inquiétude suscitée par le
fondamentalisme musulman ne les taraudait pas, je ne crois pas que les
Québécois se découvriraient tout à coup une tendance aussi marquée au
laïcisme (même si j'y suis sympathique), sauf peut-être une fraction assez
importante des bébéboumeurs les moins vieux, qui n'ont pas encore digéré
leur révolte des années soixante-dix contre tout ce qui rappelait la Grande
Noirceur que, en fait, ils avaient surtout connue dans ses derniers
râlements, pendant une partie de leur enfance et dont, pour l'essentiel,
ils avaient entendu parler des méfaits surtout par l'école et la lecture.
Ils vivaient par procuration le ressentiment que leurs parents n'avaient
jamais osé exprimer publiquement. Lorsque j'entends mes étudiants de 18
ans me tracer un portrait de cette époque qui, dans leur bouche, ressemble
à la fois à une dictature sanguinaire et une théocratie inquisitoriale, eux
dont la plupart ne connaissent ni les rites religieux ni même une seule
page de l'Évangile et croient qu'une chasuble est une robe à l'ancienne
mode, j'ai le sentiment d'entendre réciter un mythe ou plutôt un conte de
Bonhomme-Sept-Heures transmis, et pas mal "arrangé", par les
grands-parents, les parents et probablement quelques enseignants du
secondaire assez jeunes.
Au fond, ces parents qui exigent de retrouver l'école catholique, le
Conseil municipal en prière, un hôpital où la bonne soeur remplacerait
l'infirmière, comment vivent-ils en général la religion à laquelle ils
semblent tant tenir? Comme tout le monde, 90% d'entre eux, en gros, ne
respectent aucune interdiction papale sur l'avortement, la limitation des
naissances, l'intérêt pour l'astrologie...; ils acceptent le divorce et
l'homosexualité; ils ne pratiquent pas la présence régulière à la messe
dominicale, le jeûne, la communion, sauf la première; sans trop s'en
apercevoir, et d'ailleurs en s'en foutant royalement, ils croient rarement
aux principaux dogmes, presque jamais à l'infaillibilité du pape et
ignorent pratiquement tout de l'Évangile, sauf quelques paraboles et
historiettes édifiantes. Dites, vous pensez sérieusement qu'ils vont se
battre jusqu'au dernier protestant pour nous ramener la cornette, la
bavette et le collet romain? Ils croient certes à quelque chose mais de là
à danser le folklore...
Ces cadets du bébéboume et ces parents catholiques à gros grain, au fond,
réagissent à la même inquiétude quoiqu'en sens inverse: contrer le "péril
étranger" — j'allais écrire le péril jaune, mais nous n'y sommes pas encore
—, soit en se barricadant derrière un laïcisme militant et parfois
caricatural, soit en se réclamant d'une tradition qu'ils n'ont presque pas
vécue. Ils veulent tous occuper le champ qu'ils croient qu'on leur
dispute.
Il existe certes une minorité très sérieusement catholique et même un peu
sectaire, comme il existe aussi, parmi les agnostiques et les athées, en
général fréquentables, un groupuscule encore plus sectaire et hargneux que
les croyants de choc. Tout cela, pour paraphraser le grand Charles,
grouille, grenouille, scribouille: les grenouilles de bénitier et ceux qui
crachent dedans. Ça fait un peu de bulles, mais ça se termine par des
ploucs, à la fois onomatopée et nom commun.
Quant aux quelques membres du clergé catholique qui font un raffut de tous
les diables, mon Dieu! Ils livrent là leur baroud d'honneur même si, eux
aussi, ils en auraient beaucoup à se faire pardonner par le saint Père en
ce qui concerne leur acceptation réelle de tous les dogmes, obligations et
interdictions vaticanesques. C'est le dernier carré des druides gaulois,
plus souvent Obélix qu'Astérix mais sans potion magique. S'il fallait
d'ailleurs qu'on les prenne au mot, il leur resterait qui, demain matin,
pour officier dans les paroisses vides sinon quelques enseignants de
pastorale au chômage? Et encore, pas beaucoup: la plupart se
métamorphoseront en enseignants de l'histoire des religions, c'est tout de
même un peu mieux rémunéré et plus distrayant.
Évidemment, un danger potentiel se profile toujours à l'horizon. Si les
deux préfets de discipline de la Commission sur les accommodements
continuent de tancer et sermonner, partout où ils sévissent, les ténors
malgré tout mesurés des deux clans, ils vont les réconcilier dans leur
mutuelle détestation, et nous allons nous faire infliger pour dix ans une
guerre pichrocoline* qui nous fera tous périr de rire.
Raymond Poulin
* pichrocoline signifie "futile", "sans importance" (étymologiquement "bile amère") (ndlr).
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9 commentaires

  • Raymond Poulin Répondre

    30 septembre 2007

    Monsieur Deschênes,
    J'ai en quelque sorte relativement bien connu la période duplessiste, j'avais 17 ans lorsqu'elle a pris fin. Je n'ignore pas que la Révolution tranquille a commencé en 1960, mais il m'a semblé que les générations qui avaient déjà vu la Grande Noirceur se sont montrées alors moins radicales que celles qui ont suivi, probablement parce que leur expérience et leur mémoire fraîche leur permettaient de la mieux relativiser.
    Il ne faut pas oublier que la mentalité générale (je ne parle pas des intellectuels, d'une minorité cultivée ni de ceux que les voyages avaient déniaisés), disons avant la fin des années cinquante, s'accommodait plus ou moins, et souvent plus que moins, du climat social, religieux et politique. Beaucoup l'ont ensuite nié, je m'en suis rendu compte dans mon entourage: l'humain a parfois de drôles de manières de voler au secours de la victoire...
    «L'aspect terrorisant de l'intégrisme catholique» et les «niaiseries totalitaires»? Oui, pour une part, mais cet intégrisme et ce totalitarisme correspondaient aussi très souvent à la mentalité fruste de l'époque. Ce serait commettre un anachronisme que de prétendre que tous étaient terrorisés ou lessivés du cerveau; en majorité, les menés et les meneurs, si je puis dire, pensaient la même chose en gros, ce qui explique pourquoi Duplessis (et Taschereau!) ont duré aussi longtemps. Le Québec revient de loin. Ceux qui appuyaient Duplessis ne le faisaient pas nécessairement pour obtenir des faveurs politiques, et ceux qui écoutaient tout ce qu'on leur disait du haut de la chaire partageaient le plus souvent la croyance du curé, qui n'était pas nécessairement malhonnête ni manipulateur mais aussi peu dégourdi que ses paroissiens. On a souvent les chefs et les guides que l'on mérite. Le premier libérateur des mentalités, qui agit alors lentement mais sûrement, ce fut la télé, qui a, depuis, notablement régressé.
    Quant à votre dernier paragraphe, nous sommes sur la même longueur d'onde.
    Il va sans dire que j'ai volontairement forcé le trait dans mon texte, qui se voulait davantage ironique et humoristique qu'un appel à une anti-guerre sainte. Le danger de l'intégrisme catholique ou des curés manqués que sont quelques faux progressistes multiculturalistes, je n'y crois pas beaucoup au vu des réactions négatives et spontanées qu'ils suscitent. En ce sens, la commission Bouchard-Taylor aura été utile d'une manière paradoxale.
    Raymond Poulin

  • Archives de Vigile Répondre

    30 septembre 2007

    Vous vous trompez d'époque concernant les bébéboumeurs. Les plus vieux ont effectivement été à l'école dans les années cinquante et subit le petit catéchisme et autres naiseries totalitaires. Ce sont eux aussi qui ont vécu le mouvement de libération à cet égard à mesure qu'ils passaient leur adolescence. (La révolution tranquille a eu lieu dans les annés 1960, pas dans les années 1970)
    Les "jeunes" bébéboumeurs n'ont pas connu cela. On a connu les messes à gogo et les curés qui parlaient comme des hippies. De sympatiques rêveurs.
    C'est dans les années 1990 qu'on a pu prendre la mesure de l'aspect terrorisant de l'intégrisme catholique qui a marqué nos prédécesseurs. (En politique, il correspond au "crois ou meurs".) Quand j'ai vu la "réaction" aux révélations concernant les "orphelins du pêché" qu'ils étaient bien à l'aise de laisser appeler "orphelins de Duplessis". Négation absolue et véhémente. Puis absolution discrète d'une faute "pas commise".
    Demandez à la ronde ce que les gens pensent de l'attribution de la bourse Templeton à Taylor après sa nomination à la présidence d'une commission chargée de traiter d'accomodements religieux. Les cryptocathos vont tous dire que ce n'est rien. Bouchard s'est emporté la première fois quand un citoyen a parlé de l'intégrisme catholique. En bon curé, il a attaqué le citoyen en question en déviant le débat sur ce qu'il avait dit concernant l'aspect politique de l'islamisme.
    Pensez aussi à cet exemple bizarre que j'ai entendu Bouchard et Taylor utiliser pour introduire chacun une séance de la commission: un aveugle et son chien! Je ne voyais pas le rapport, maintenant je commence à comprendre…
    Un kirpan, monsieur Poulin, c'est vraiment un couteau et l'arme de la religion a suffisamment servi à nous asservir pour qu'on devine que les sermons de mutlculturalisme du pape Taylor et de son servant de messe vont nous tomber dessus bientôt. Cette guerre de religion n'est pas anodine parce que les défroqués sont souvent bien plus dangereux que ceux qui portent l'uniforme... Mais bon, je crois aussi que nous la gagnerons dans la bonne humeur, ce qui ne devrait pas nous empêcher de la prendre au sérieux.

  • Raymond Poulin Répondre

    29 septembre 2007

    Cher monsieur Turcotte,
    Ai-je, dans mon texte, foulé la croix aux pieds? Je réprouve autant que vous les exemples que vous amenez dans votre dernier commentaire. Par ailleurs, vous rappeliez, dans votre commentaire précédent, ce que disait Dumont à propos du peu de chrétiens québécois vraiment évangélisés. L'attitude que je prête, dans mon texte, à beaucoup de catholiques québécois, correspond à peu près à cela, je pense. J'ai caricaturé, en fait, non la religion catholique (qui ne se résume certainement pas à certaines règles dogmatiques intenables et absolument sans rapport avec l'Évangile, défendues bec et ongles par le Vatican) mais l'abus que préconisent ceux qui veulent retourner à un temps révolu où nos institutions publiques étaient toutes officiellement religieuses et même cléricales, pour ne pas dire cléricalistes. Si, pour vous, c'est là fouler aux pieds des valeurs sacrées, alors oui, nous sommes vraiment en sérieux désaccord.
    Je ne méprise aucune religion, mais j'ai en horreur le comportement des intégristes et des fondamentalistes de tout poil, surtout lorsqu'ils exigent de l'État qu'il favorise sur le plan public ce qu'eux-mêmes, sur le plan privé, trafiquent lorsque ça les arrange: ceux que le Christ, justement, nomme des sépulcres blanchis. Et je ne vais pas me priver de m'en amuser.
    Raymond Poulin

  • Archives de Vigile Répondre

    28 septembre 2007

    Monsieur Poulin,
    C'est justement là notre problème: on demande présentement aux gens de banir les croix du paysage comme si c'était une honte, et on arbore le fleurdelisé croix et fleurs de lys dedans en le piétinant sur les Plaines d'Abraham le soir de la Saint-Jean. J'en ai vu des milliers le 23 juin dernier à Québec. Pauvre nation inculte et misérable. Qu'on saoule afin qu'elle ne sache plus ce qui se passe en elle.
    On foule aux pieds ou on rit des racines de notre histoire. Même si c'est de l'humour....je ne le trouve pas drôle du tout.
    Nestor Turcotte

  • Raymond Poulin Répondre

    28 septembre 2007

    Chère MMe Ferretti,
    Vous me faites rougir, mais je ne bouderai pas mon plaisir. Je vous remercie d'autant plus que vous êtes bonne joueuse, puisque je vous ai déjà un peu tiré dessus (sur les idées exprimées, veux-je dire) dans un commentaire. Cela arrivera peut-être encore mais n'enlèvera rien à l'admiration que j'ai toujours éprouvée pour une indépendantiste de choc qui n'a pas perdu une once de pugnacité et dont l'idéal n'a pas pris une seule ride.
    Raymond Poulin

  • Raymond Poulin Répondre

    28 septembre 2007

    Très cher monsieur Turcotte,
    Ce que j'ai caricaturé, c'est une forme de catholicisme. Par ailleurs, vous n'êtes sûrement pas sans vous être aperçu, habitué comme vous l'êtes de la chose écrite, qu'il s'agit beaucoup plus d'un texte d'humeur et d'humour qu'autre chose, même s'il n'est pas que cela. Est-il permis de rire, du moins de sourire, chez les indépendantistes? Cela nous permettra peut-être de vivre assez vieux pour voir enfin le Québec indépendant, qui sait?

  • Archives de Vigile Répondre

    28 septembre 2007

    Monsieur Poulin,
    Votre caricature du christianisme n'est guère édifiante. J'ai toujours distingué entre celui-ci et la chrétienté. Tout comme je distingue entre l'Islam et les formes intégristes d'islamistes. Entre le judaïsme et ceux qui s'efforcent de le pratiquer.
    Si le christianisme était ce que vous décrivez - une forme de sociologie de la chose québécoise - il y a longtemps que j'aurais débarqué. Il est étonnant qu'au Québec, lorsqu'on parle du domaine de la foi, on ne fait que caricaturer. Fernand Dumont avait raison de dire que peu de catholiques étaient évangélisés....
    En toute amitié,
    Nestor Turcotte
    Matane

  • Archives de Vigile Répondre

    28 septembre 2007

    Pardonnez-moi d'avoir mal orthographié votre nom, même si c'est impardonnable, je suis bien placée pour le savoir
    AF.

  • Archives de Vigile Répondre

    28 septembre 2007

    Quel style et quelle culture, cher monsieur Poulain.
    Que je partage entièrement vos idées ou seulement en partie, c'est toujours avec un vif plaisir que je vous lis, car chacun de vos textes est oeuvre de pensée fine et d'expression de la beauté de l'esprit de notre langue.
    Merci enfiniment.
    Andrée Ferretti.