Oui, à l'effort des universités, mais attention à l'ingérence inappropriée

Université - démocratisation, gouvernance et financement


Réaction à des dispositions gênantes de la Loi 100 sur l'équilibre budgétaire du Québec : oui à l'effort des universités, mais attention à l'ingérence inappropriée du ministère et au dangereux manque de soutien financier
Introduction
Une université est par nature institution de formation et de recherche. Elle requiert en particulier des professeurs et des directions, une constante attention aux remises en question, y compris d'elle-même, et à la création d'orientations et de connaissances nouvelles. La «liberté académique» pour les professeurs et l'«autonomie de gestion» pour les directions sont universellement reconnues comme conditions nécessaires à la réalisation optimale de sa mission. Ce qui en fait une institution tout à fait différente d'une entreprise privée ou publique, en particulier d'un ministère, d'un service ou d'une société d'État.
Interventions gouvernementales récentes
Deux fois, à un an d'intervalle, le ministère québécois de l'Éducation a voulu modifier l'exercice des responsabilités universitaires.
L'année dernière, par le projet de Loi 38, il tentait en particulier de retirer aux professeurs une présence importante aux conseils d'administration pour leur substituer une majorité de représentants dits «indépendants» de l'extérieur. Des voix se sont fait entendre, dont la mienne, en Commission parlementaire pour montrer que ce serait là un signal démobilisateur et contreproductif pour ces responsables directs de la qualité des enseignements et dont le succès aux concours de subventions est le principal apport financier à la recherche ainsi qu'à la réalisation des thèses des étudiants. Le projet de loi a été mis de côté.
Récemment, dans le cadre de la Loi 100 sur son équilibre budgétaire, le gouvernement énonçait des directives par lesquelles il indiquait de façon précise et uniforme pour tous les établissements les coupures budgétaires que ceux-ci devront imposer à leurs postes de gestion comme les effectifs des personnels d'encadrement et d'administration, les dépenses d'administration, celles de formation et celles de déplacement. Je n'ai pas à juger de l'objectif général du gouvernement d'en arriver à l'équilibre budgétaire. Il s'agit d'un choix politique raisonnable que lui suggèrent les circonstances économiques actuelles. Mais j'aimerais attirer l'attention sur la façon d'imposer aux universités la manière de contribuer à l'effort général. Ces directives telles que libellées sont tatillonnes et je crains qu'elles soient relativement peu efficaces, même nuisibles dans certains cas. Elles seront aussi perçues comme un manque de confiance en la capacité des universités à se gérer de façon rigoureuse et responsable.
Il faut en effet distinguer entre les réductions des dépenses et les façons de le faire. Il n'y a pas deux universités dans la même situation. Les enseignements, les besoins du milieu, les programmes et laboratoires, la recherche, les publications, les engagements et projets en cours, les poids de certaines dettes, les équilibres ou déséquilibres des budgets, varient considérablement d'un établissement à l'autre. Paradoxalement, on indique que ces coupures non seulement ne doivent pas affecter la qualité de l'enseignement et des services aux étudiants mais qu'elles doivent donner lieu à des rapports additionnels. Donc à des charges administratives supplémentaires pour les universités comme pour le ministère. Imposer ces contraintes dans un cadre rigide s'apparenterait aussi à une certaine forme de tutelle dont les effets limiteraient non seulement le choix de décisions adaptées aux circonstances propres à chaque établissement mais aussi la recherche d'alternatives de financement susceptibles de compenser les coupures.
Les universités ont-elles suffisamment de ressources?
La Loi 100 et ses conséquences sur les universités sont l'occasion de poser la question suivante: nos universités ont-elles les ressources financières suffisantes pour progresser et exceller dans la réalisation de leur mission. Sans hésitation la réponse est non. Je vais tenter de montrer pourquoi.
Elles accomplissent en général un travail honnête, même exceptionnel dans plusieurs domaines, mais, on ne peut y échapper, proportionnel aux ressources dont elles disposent. Quelles sont ces ressources? En résumant, rappelons au premier rang les contributions gouvernementales, suivies des subventions à la recherche (par voie de concours où la réussite est fondées sur la qualité des projets et les qualifications des demandeurs), puis les frais de scolarité et enfin les dons et revenus de fondations. Les proportions varient d'une université à l'autre. Les contributions gouvernementales sont très normées et précises en fonction de critères objectifs comme le nombre d'étudiants, les disciplines offertes, la nature et l'importance de la recherche, l'éloignement des grands centres, etc. Le nombre d'étudiants, la nature des programmes et les subventions à la recherche varient et signifient des objectifs et des contraintes propres à chaque établissement. Le gouvernement fixe lui-même, pour tous établissements et disciplines, les mêmes frais de scolarité aux étudiants. Sauf à McGill où le capital en dotation est de l'ordre du milliard de dollars, les universités, en particulier les francophones, tirent une proportion plutôt modeste des dons et revenus de dotation. Au Québec comme dans le reste du Canada, l'apport gouvernemental représente donc la plus grosse contribution. Il faut s'en réjouir. C'est notre meilleure garantie pour de bonnes universités. Ce qu'il faut retenir c'est la loi incontournable (illustrée de façon évidente chez nos voisins américains où les inégalités du financement et donc de la qualité sont beaucoup plus grandes qu'ici) que la valeur d'une université est directement liée à l'importance de son financement.
En réfléchissant sur notre avenir, il faut se demander où nous en sommes quant au financement de nos universités, en particulier celles de langue française. D'abord un coup d'oeil sur le passé. Rappelons que bien qu'il y ait eu déjà des écoles de formation pour quelques professions, il faut attendre au milieu du 19e siècle pour voir la création de la première université, celle de Laval, suivie de celle de Montréal, succursale de la première jusqu'au premier quart du 20e siècle. Il y a environ 60 ans, on a ajouté celle de Sherbrooke et surtout, peu après, dans le grand remue-ménage de la transformation de l'État, celle du réseau des universités dites du Québec. Jusqu'aux années 1860, le financement est aléatoire (les recteurs et doyens font leurs pèlerinages réguliers de demande d'aide, souvent directement au premier ministre), modeste (la comptabilité de l'Université Laval se confond avec celle du Petit Séminaire qui en est la première source de revenus) et largement inférieur à celui des universités canadiennes (Québec impose aux siennes de refuser les subventions fédérales qui permettent le rapide développement des autres universités du pays). Finalement, grâce à des ententes avec le fédéral, l'argent commence à arriver et la recherche sur une échelle plus importante se développe progressivement. Comme nos universités accusent du retard, le rattrapage ne peut se faire que par la création par Québec de programmes particuliers et additionnels, spécialement en ce qui a trait à la recherche. Suivent quelques décennies d'investissements majeurs et croissants qui se traduisent en une explosion du nombre et de la qualité des enseignements et des programmes de recherche.
Chose étonnante, cette progression vigoureuse des investissements semble s'être arrêtée il y a 15 ou 20 ans. J'en prends comme indice le financement des universités qui va se mettre à plafonner alors que l'économie du Québec continue de croître. L'examen de l'évolution des deux plus importantes sources de revenu de fonctionnement, celle de la subvention gouvernementale et celle des frais de scolarité, est révélateur. Nous savons tous (le débat revient régulièrement sur la place publique) que les frais de scolarité (proche de deux mille dollars par année) n'ont pas été augmentés alors qu'ils ont doublé et parfois triplé dans le reste du pays. Mais cette question des frais de scolarité est hors du propos d'aujourd'hui car il s'agit d'une décision politique obéissant à des motifs sans doute défendables d'accessibilité au plus grand nombre et de répartition de la richesse collective.
Ce qui m'étonne le plus par contre c'est que la contribution gouvernementale au fonctionnement des universités a assez peu augmenté et dépasse guère encore les deux milliards de dollars pour l'ensemble des établissements. Par exemple, les subventions à l'Université du Québec à Chicoutimi et à l'Université Laval (que j'ai mieux connues) ne se sont pas beaucoup accrues sur cette période relativement longue. Ce qui dans les faits s'est traduit par une sérieuse diminution si on tient compte de l'inflation. Le miracle qui ne pourrait durer, c'est que malgré cela, les indicateurs de «productivité » (nombre d'étudiants et de diplômés, programmes et subventions de recherche, publications, nombre de chaires de recherche) me semblent avoir continué de croître. Au prix, on le sait, de la suppression de centaines de postes de professeurs, seulement et partiellement remplacés par des chargés d'enseignement qui n'ont pas les responsabilités de la direction académique, des programmes d'enseignement, des directions de thèse, de la recherche et de son financement. Durant ce temps le PIB québécois a progressé de 80% pour atteindre 320 milliards et les dépenses gouvernementales de 60% pour se situer à 62 milliards. Bien sûr, et on ne le sait que trop, les coûts des services sociaux et de santé (27 milliards) ont pour leur part plus que doublé. Sans oublier les dépenses des réfections routières qui sont de 4,5 milliards cette année.
Il est évident que la contribution gouvernementale aux universités a trop longtemps cessé de suivre les besoins et qu'elle est devenue nettement insuffisante pour garantir à long terme la formation adéquate des personnes et le succès de la société. Le côté positif de ces observations est qu'une augmentation significative de l'effort collectif ne menacerait ni la capacité de payer du Québec ni une saine répartition des recettes gouvernementales. Et ce ne serait pas en s'ingérant dans la gestion au quotidien des universités ni en se substituant à la dynamique interne de chaque établissement que le Québec s'assurerait du retour à son équilibre budgétaire. Le gouvernement doit demeurer un partenaire, le plus important et le plus attentif certes, car, et on doit s'y attendre, le plus désireux de s'assurer de la très haute qualité d'institutions essentielles.
Conclusion: un rêve éveillé
Pour terminer et en élargissant un peu l'objet des considérations précédentes, je ne peux m'empêcher de rêver au jour où nos universités disposeraient de fonds de dotation dix fois supérieurs à ce qu'ils sont aujourd'hui et dont les rendements s'ajouteraient aux autres sources régulièrement croissantes de financement. L'UQAC par exemple disposant d'un capital de cent millions ou Laval de un milliard de dollars seraient dans une position comparable à celle de McGill. C'est un rêve, une vision, pas un mirage. Tout à fait possible si on considère que les Québécois ont des avoirs de plus de cinq cents milliards de dollars, dont ils se «départissent» de quelque cinquante milliards chaque année par voie successorale. La clef se trouve dans la façon de toucher le coeur et l'esprit d'une partie importante de la population afin de séduire et orienter ne serait-ce qu'une fraction du trésor. Les revenus de cette mine largement sous exploitée, s'ajoutant à ceux raisonnablement croissants et garantis du gouvernement, permettraient d'ici vingt ans de propulser nos universités dans le peloton des meilleures du monde. Mais actuellement, avec les trop modestes contributions du gouvernement et une certaine apathie de la population, l'avenir s'annonce seulement «pas trop mauvais et plutôt ordinaire».
Pour terminer, oubliant un moment de rêver pour revenir au propos initial, il est à souhaiter que le gouvernement accepte de soustraire les établissements universitaires de certaines des dispositions gênantes de la Loi 100, comme d'ailleurs le permet un article de cette loi.
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Hubert Laforge (professeur à la retraite), ancien doyen (Université Laval) et ancien recteur (Université du Québec à Chicoutimi)


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