Universités inc.
_ Des mythes sur la hausse des frais de scolarité et l'économie du savoir
_ Éric Martin et Maxime Ouellet
_ Lux
_ Montréal, 2011, 156 pages
Le débat concernant la pertinence d'une hausse des droits de scolarité offre un solide démenti à ceux qui affirment que la distinction gauche-droite est dépassée. Le discours selon lequel il convient d'augmenter ces droits parce que les étudiants seront les principaux bénéficiaires de leur formation reprend l'idée générale de la droite, qui conçoit la société comme un regroupement plus ou moins fortuit d'individus en quête de leur intérêt personnel. À l'opposé, le discours selon lequel il convient de geler ou de réduire ces droits parce que l'éducation est une responsabilité collective dont tous sont les bénéficiaires — former plus de professionnels rend la société meilleure, même pour ceux qui ne sont pas professionnels — s'inscrit dans une logique de gauche, animée par cet idéal de la solidarité qui consiste, selon la formule d'André Comte-Sponville, à «être égoïstes ensemble». Il n'y a pas, dans ce débat, de solution «technique» ou de «gros bon sens». Il y a un choix idéologique.
En s'en prenant, dans Universités inc., à l'argumentation favorable à une hausse des droits de scolarité (rappelons ici que le terme «frais», dans ce contexte, est considéré comme une impropriété par le Multidictionnaire de la langue française), Éric Martin et Maxime Ouellet ne disent pas autre chose. «Cette rhétorique, écrivent-ils, vise à inverser la conception historique de l'éducation: on ne considère plus que la formation des individus relève de la responsabilité de la société, mais qu'il s'agit plutôt d'un investissement individuel au service de l'accumulation de richesse personnelle et de la croissance économique des entreprises.» On peut, ajoutent-ils, choisir cette voie, mais il faut savoir que, ce faisant, on choisit de mettre l'«université au service de l'économie», en la détournant de sa mission fondamentale qui devrait être de «former des êtres humains capables de vivre ensemble».
Certains les qualifieront de rêveurs et d'idéalistes. Martin et Ouellet, pourtant, respectivement doctorant et docteur en science politique, ont fait leurs devoirs et présentent une argumentation solide, basée autant sur des données statistiques que sur des valeurs. En huit chapitres, ils dégonflent autant de mythes destinés à justifier une augmentation des droits de scolarité.
Du sous-financement?
Il est faux d'affirmer, expliquent-ils, que les universités québécoises sont sous-financées. La Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CREPUQ) manipule les chiffres pour en arriver à ce constat. «En combinant ce que le gouvernement, les étudiants et le privé investissent dans les universités, écrivent les chercheurs, on obtient un total de 29 242 $ par étudiant au Québec, contre 26 383 $ en Ontario et 28 735 $ dans le reste du Canada.»
Le problème, c'est que «la recherche accapare une portion de plus en plus grande des fonds», laissant l'enseignement dans une situation de sous-financement. En affirmant que la solution réside dans une augmentation des droits de scolarité, on veut donc faire payer aux étudiants les coûts de l'enseignement, délaissé par le financement public et par les professeurs au profit de la recherche qui profite d'abord aux entreprises privées.
Or cette augmentation des droits de scolarité a bel et bien des conséquences négatives. D'abord, elle réduit l'accès à l'université. Omar Aktouf, qui signe un texte dans ce livre, a raison de dénoncer le double discours des économistes de droite qui affirment que l'augmentation des droits n'a pas d'effet sur l'accessibilité, mais qui «sont capables, du même souffle, d'affirmer que la hausse des tarifs de l'électricité ou de l'eau réduirait tout aussi automatiquement la consommation de ces ressources et nous les ferait économiser».
Ensuite, l'augmentation des droits s'accompagne d'une augmentation de l'endettement étudiant, qui profite essentiellement aux banques et qui a pour effet de domestiquer les diplômés dans une logique de droite. «Il s'agit, explique Noam Chomsky, d'une technique servant à piéger les gens. Si, pour aller à l'université, vous devez contracter une dette importante, vous serez docile.» Vous en êtes réduit, en d'autres termes, à courir après les emplois payants, au détriment de l'utilité sociale.
Une chimère
L'augmentation de l'aide financière qu'on fait miroiter aux étudiants n'est qu'une chimère. «La bonification du programme de prêts et bourses ne couvrira pas tout le monde», constatent Martin et Ouellet, et laissera les étudiants issus des classes moyennes sur le carreau. Le principe de la modulation des droits par discipline (faire payer plus les étudiants en médecine que les étudiants en littérature, par exemple) n'est pas plus équitable. D'abord, le principe de l'impôt sur le revenu est plus simple et plus juste. Avec ce système, ceux qui gagneront plus paieront plus. En Ontario, le principe de la modulation a été mis en place (médecine, dentisterie, droit), avec une conséquence prévisible: les étudiants provenant des classes riches ou pauvres (avec aide financière) ont continué de s'inscrire dans ces programmes dans les mêmes proportions qu'avant (ou plus), mais la proportion d'étudiants provenant des classes moyennes a régressé.
Martin et Ouellet détruisent d'autres mythes: l'augmentation des droits de scolarité, démontrent-ils, n'améliorera pas la qualité des diplômes, le recours aux dons privés entraînera une perte d'autonomie pour les universités et la commercialisation de la recherche ne leur bénéficiera pas, mais fera le bonheur des entreprises privées, qui sous-traitent déjà ainsi à peu de frais leur département de recherche et développement.
La société québécoise assistera-t-elle passivement à ce détournement du rôle des universités, réalisé principalement au détriment des étudiants des classes moyennes? Martin et Ouellet, appuyés en fin d'ouvrage par les Guy Rocher, Lise Payette, Omar Aktouf et Victor-Lévy Beaulieu, nous fournissent les outils pour combattre cet assaut contre la justice sociale.
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louisco@sympatico.ca
Essais québécois
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