Pierre Falardeau est mort en septembre 2009, c’est-à-dire il y a un peu plus de six ans. Il n’avait, ça fait mal au coeur d’y penser, que 62 ans. Comme l’écrivait l’essayiste Pierre Vadeboncoeur, lui aussi parti depuis, dans un texte lu par Luc Picard aux funérailles du regretté cinéaste, « l’homme était si extraordinairement vivant que ses misères mêmes, nous n’en devinions rien ».
Sa mort nous a surpris, choqués, peinés, désemparés. « Savoir que je n’entendrai plus jamais la voix de Pierre Falardeau, qui vient de rejoindre dans l’Histoire celles de Bourgault et Miron, m’est insupportable, confiait alors Jean Royer dans les pages du Devoir. Car je comprends que notre culture devient de plus en plus fragile. »
Falardeau, je l’ai écrit à quelques occasions depuis, nous manque. Aussi, on sera pleinement d’accord avec Pierre-Luc Bégin, son ami et éditeur, pour dire qu’un livre en hommage à l’homme, à l’artiste et au militant s’imposait. Avec Manon Leriche, la compagne de Falardeau, Bégin a donc réuni, dans Lève la tête, mon frère ! une cinquantaine de textes de divers genres (lettres personnelles ou publiques, messages de condoléances, analyses de l’oeuvre, etc.), dont certains inédits, inspirés par la vie, par l’oeuvre ou par la mort de Falardeau. Pour les nombreux admirateurs de ce dernier, ce livre, malgré ses insuffisances, sera un baume.
Subversion
On peut compter, encore une fois, sur l’autre Pierre culotté, Foglia celui-là, pour avoir les mots justes. « Si Falardeau est grand, écrivait le chroniqueur de La Presse en octobre 2009, ce n’est pas par le cinéma, pas par la polémique, pas par l’écriture. C’est par la subversion. Il est grand de son refus des contraintes, de son refus de flagorner le pouvoir en particulier. Dans Falardeau, c’est l’homme qui est grand. »
S’il suscite l’admiration de tant de Québécois ou de militants d’ailleurs, c’est que, dans sa lutte pour l’indépendance nationale et pour la justice sociale, Pierre Falardeau savait résister aux petites et grandes lâchetés qui nous accablent tous un jour ou l’autre. Il nous arrive, en effet, d’être fatigués. Le Québec français, par exemple, est notre cause, mais devant les assauts répétés qu’on lui fait subir en confondant l’ouverture d’esprit avec la mollesse et le reniement à soi-même, nous finissons trop souvent par tempérer nos ardeurs, de crainte d’être qualifiés d’extrémistes.
Falardeau, contre vents et marées, tenait le fort, rageait, mordait. Pour lui, un artiste québécois francophone qui choisissait de créer en anglais, films ou chansons, méritait son mépris, parce qu’il se transformait, ce faisant, en peddleur aliéné, en misérable Elvis Gratton. Qui, aujourd’hui, à part les chroniqueurs Christian Rioux et Mathieu Bock-Côté, parfois, a encore ce courage de briser le ronron d’une machine culturelle à paillettes qui se croit moderne parce qu’elle se dénationalise ?
Falardeau, écrivait Francis Simard en 2004, nous disait sans relâche « que la quête de la liberté individuelle est un leurre si elle n’intègre pas celle de la liberté collective. Celle du Pays. De la Patrie. Comment être libre, respecté, si le peuple, le monde qui est le nôtre, qui fait que nous sommes ce que nous sommes, n’est pas libre, respecté. […] Penser le contraire, c’est se trahir ».
Colère
Dans un monde où, pour paraphraser tristement Miron, ça finit toujours par ne pas arriver, où la honte de notre histoire, nourrie d’ignorance, s’impose comme une libération, l’entêtement sans compromis de Falardeau, admirable, devient un exemple plus que jamais nécessaire pour ceux qui croient à la liberté incarnée. « Je me bats pour la liberté, la liberté sous toutes ses formes, la mienne, celle de mon peuple, celle de tous les peuples, écrivait-il. Bref, je suis un primitif égaré. »
Falardeau, cela ressort de tous les textes réunis dans ce recueil, aimait le peuple québécois, comme il aimait tous les peuples luttant pour leur libération. Ses adversaires lui ont pourtant reproché, non sans mauvaise foi, de mépriser ce peuple qu’il prétendait chérir. Il est vrai que le pamphlétaire n’a pas toujours, dans son oeuvre, été tendre envers les siens. Dépeindre les Québécois en Elvis Gratton, ce n’est pas faire leur éloge.
Or, explique justement Bernard Émond, « pour comprendre la colère de Pierre Falardeau, il faut se rappeler qu’un peuple peut survivre à des siècles de défaites et d’oppression, mais qu’il ne peut pas survivre à sa propre indifférence ». Cette apathie mortifère, celle d’un « peuple aveugle à son aliénation, à son anéantissement, à sa résignation », comme l’écrit le critique Georges Privet, qui signe les deux meilleurs textes de ce recueil, blessait profondément le cinéaste, dépité par ce spectacle de la bassesse offert par son peuple fatigué, pourtant promis à la noblesse que donne la liberté. « Comédies de l’asservissement », les trois Elvis Gratton, en ce sens, se veulent des électrochocs amoureux, souvent incompris. Le premier, par sa puissance ironique et sa charge politique, demeure un chef-d’oeuvre bringuebalant du cinéma québécois.
On lit ce livre hommage avec plaisir, heureux de pouvoir se replonger dans l’oeuvre d’un artiste et pamphlétaire charismatique, qui nous ébranleet nous stimule encore. On ne peut manquer d’être déçu, cependant, par l’apparence matérielle quelconque de l’ouvrage, par un appareil de présentation des auteurs embêtant (la description de l’auteur, au début de chaque texte, ne contient pas son nom, renvoyé à la fin), par une révision linguistique un peu relâchée et, surtout, par le fait que les meilleurs textes retenus ici ne sont pas des inédits. Le vrai livre hommage à Falardeau reste donc à faire.