Les musiciens du groupe québécois Kumpa’nia, qui portaient tous le carré rouge, ont pris part à la cérémonie d’ouverture du premier Forum mondial de la langue française, hier à Québec. La rencontre internationale réunira toute la semaine plus de 1200 participants.
C’est sous le signe d’une inquiétude réelle que s’est ouvert hier à Québec le premier Forum mondial de la langue française qui réunira toute la semaine plus de 1200 francophones venus du monde entier. Accueillis par plusieurs centaines de manifestants du Mouvement Québec français soucieux d’alerter les participants à propos de la situation du français au Québec, les intervenants ont multiplié hier les témoignages illustrant surtout leurs inquiétudes concernant l’état du français dans le monde.
« Par-delà les chiffres rassurants que nous connaissons, il y a des faits, des pratiques quotidiennes, des évolutions géopolitiques et géoculturelles lourdes », a déclaré le secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), Abdou Diouf. « Nous devons être des indignés linguistiques », a-t-il lancé au millier de participants du Centre des congrès de Québec. « Nous ne pouvons pas, dit-il, tout à la fois, dénoncer les dérives de l’économie et de la finance mondialisées et accepter, dans le même temps, de nous en remettre à une langue unique de l’économie et de la finance. »
En pénétrant au Centre des congrès, Abdou Diouf avait salué les manifestants et serré la main de quelques-uns. « Je vous ai entendu », a-t-il déclaré au chef du Bloc québécois, Michel Paillé. Le secrétaire général de l’OIF s’est montré particulièrement sévère sur l’état du français. « Nous ne sommes pas prêts à confier à un globish conceptuellement atrophié le soin d’exprimer toute la complexité et la diversité de la pensée en quelque 1500 mots », dit-il. Et Abdou Diouf de conclure : « On est au plus près du danger quand on croit n’avoir rien à craindre. »
À l’autre bout du spectre, le premier ministre Jean Charest, hôte du forum avec son homologue canadien Stephen Harper, s’est montré beaucoup moins inquiet. Sans dire un mot de la situation linguistique du Québec, il a estimé que « deux écueils nous guettent. Une attitude qui consiste à se décourager sous les reculs avérés ou supposés du français. Le deuxième serait le déni, car il est tentant de parfois fermer les yeux sur des constats parfois incommodants. Ces constats sont en contradictions avec la vitalité et la créativité de cette langue ».
Le premier ministre dit ne pas croire « à la fatalité du recul qui entraînerait le français vers son déclin ». Selon lui, « l’histoire du Québec fournit une assise à cette conviction, alors que nous, en Amérique, sommes enracinés depuis plus de 400 ans ». Jean Charest veut que le prochain sommet de l’OIF, qui se tiendra à Kinshasa en octobre, adopte « une politique de promotion du français et du multilinguisme ».
Étrangement, c’est du maire de Québec, Régis Labeaume, que sont venues quelques-unes des déclarations les plus alarmantes. «J’espère que vous comprenez que nous sommes inquiets […]. Nous souhaitons sincèrement que vous en preniez conscience», a déclaré le maire aux jeunes participants du forum. Plus tard, il a confirmé au Devoir être « de plus en plus inquiet [de la situation du français]. Faut pas le cacher. Il faut le dire. Alors, je le dis à ma façon. »
Ce jugement tranchait radicalement avec l’optimisme affiché par le premier ministre Stephen Harper. Selon lui, « il n’y a pas de meilleur endroit [que le Canada] afin de discuter de diversité et de cohabitation linguistiques » puisque « notre caractère francophone » est « primordial ». Après quelques mots prononcés en anglais par le premier ministre, un jeune homme s’est levé en s’écriant « Stop Harper ! Stop Charest ! Citoyens, levez-vous ! ». Le protestataire a été aussitôt expulsé sous les applaudissements d’une partie de la salle.
On apprenait par ailleurs hier qu’au moins une centaine de visas auraient été refusés à autant de personnalités invitées et venant tout particulièrement d’Afrique. Sans faire référence directement à ce problème devenu récurrent lors de l’organisation de tels événements au Canada, Abdou Diouf a affirmé qu’« on ne peut vouloir le rayonnement de la langue française et, dans le même temps, fermer ses frontières à ceux qui parlent le français, qui étudient le français, qui créent en français ». Selon le numéro deux de l’OIF, Clément Duhaime, il y aurait eu « moins de refus qu’on pensait ». Ce qui n’a pas empêché l’ancien secrétaire général de la Francophonie, le Québécois Jean-Louis Roy, de dénoncer « ce véritable cancer ».
En plus de manifester, le Mouvement Québec français organisait hier un forum parallèle auquel participaient plusieurs personnalités, dont l’ancien premier ministre Bernard Landry et le député indépendant Pierre Curzi. Au départ de la manifestation, une jeune Libanaise de Québec, Roula Hadchiti, a déclaré : « Je souhaite au Québec une langue forte comme les cèdres de mon pays. » Pour l’organisateur Mario Beaulieu, président de la Société Saint-Jean-Baptiste, il s’agissait d’« alerter les Francophones du monde du recul du français au Québec » et de les mettre en garde « contre une vision jovialiste ». « Ça serait vraiment une erreur qu’il y ait le Forum mondial de la langue française à Québec et qu’on ne parle pas de la situation du français au Québec », dit-il.
Lors de la première séance de débats, l’ancien ministre de l’Éducation du Mali Adama Samassékou a proposé l’adoption à Québec d’une déclaration en faveur du multilinguisme. Le Forum propose aussi un grand nombre de spectacles mettant en vedette 137 artistes francophones venus du monde entier. Hier soir, le conteur québécois Alexandre Belliard et le slameur français Grand Corps malade étaient en vedette.
Québec accueille le Forum mondial de la langue française
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