La langue s’est toujours trouvée au cœur des enjeux et des débats liés à l’identité québécoise, et plus précisément à la survie de la francophonie dans cette partie des Amériques. Ceci pour la dimension culturelle, qui est la plus familière. Mais nous savons aussi que la question de la langue a toujours été associée de près au social, dans la mesure où elle se posait à la fois comme marqueur et comme facteur d’appartenance de classe.
Une double mutation
Sous ce double rapport, nous vivons peut-être aujourd’hui une importante mutation. Sur le plan social, jusque dans les années 1960, le français renvoyait à la société colonisée, à une forme de prolétariat. Grâce au revirement effectué à partir de la Révolution tranquille, il a été progressivement associé à la mobilité et à la réussite sociale de ses locuteurs. Mais à cause notamment de la mondialisation, il semble que nous entrons maintenant dans un troisième temps : pour un certain nombre de Québécois, le français serait devenu un facteur de freinage économique et social.
Une trame analogue se dessine sur le plan culturel. On pourrait dire que, comme marqueur identitaire du Québec francophone, la langue française a vécu deux grandes redéfinitions depuis le xixe siècle. La première au lendemain des Rébellions de 1837-1838, alors qu’elle a été établie comme alliée de ce qui était désormais considéré comme le cœur de la nationalité, à savoir la religion (« la langue gardienne de la foi »).
La deuxième redéfinition est survenue au cours des années 1970-1980. Devant la diversification ethnoculturelle du Québec, une sorte de compromis a été mise en avant : d’un côté, on sacrifiait le religieux au profit du français comme composante principale de l’identité, ce qui permettait de l’ouvrir à l’ensemble des citoyens ; de l’autre, on pouvait s’autoriser à l’imposer comme langue officielle de communication dans la vie civique.
Or, cet équilibre est maintenant menacé par la mondialisation qui bouleverse les paramètres des dernières décennies. Divers indices donnent à penser, en effet, que le rapport à la langue, surtout chez les jeunes, est peut-être en train de changer substantiellement. Dans ce nouveau contexte, il se pourrait bien que la francophonie québécoise doive se réinventer à nouveau, comme elle l’a fait déjà.
Une société sous tension
Inévitablement, ces perspectives inspirent de l’angoisse ; elles prolongent l’insécurité qui a toujours entouré la question de la langue au Québec. En fait, il n’y a là rien de neuf. C’est le sort d’une minorité que les aléas de l’histoire ont installée au sein du continent le plus puissant du monde.
Mais c’est aussi le fait d’un groupe humain qui, avec beaucoup de courage et de noblesse, s’en est fait une destinée, un idéal, sachant reprogrammer son avenir devant des obstacles apparemment insurmontables. Nous le savons bien, du point de vue de la langue, le Québec sera toujours une société sous tension (« condamné[e] à vivre dangereusement », comme l’a dit Jean-Claude Corbeil).
Les deux faces de la mondialisation
Voici donc la francophonie québécoise de nouveau interpellée. Comment sortir de la contradiction à laquelle plusieurs d’entre nous sont présentement confrontés, qui nous fait beaucoup aimer le français collectivement mais nous fait aussi miser beaucoup sur l’anglais individuellement ?
Comment faire en sorte que les jeunes Québécois, tout en gardant le goût et le respect de leur langue, disposent des mêmes moyens que les autres pour s’affirmer au-delà du Québec et tirer pleinement profit des horizons sans précédent qu’ouvre la mondialisation ?
Plus généralement, comment redéfinir la survie et le développement de la francophonie québécoise de manière à ce que la mondialisation ne soit plus vécue seulement comme une menace mais aussi comme une possibilité d’affirmation ? Et pour ce qui est de la dimension sociale, comment refaire du français un vecteur de réussite ?
La langue : dernier bastion
Pour notre société, l’enjeu présent est de la plus haute importance. Faute de souveraineté et dans un contexte de diversité croissante, si le français est compromis, que reste-t-il pour asseoir fortement l’identité québécoise et la défendre contre les assauts du multiculturalisme ?
Cette question ouvre sur plusieurs voies de réflexion et d’action. Pour moi, la promotion de l’interculturalisme est l’une de ces voies, comme je l’explique dans un ouvrage qui paraîtra à l’automne chez Boréal. Mais il en est bien d’autres, que nous devons maintenant nous appliquer à explorer et à mettre en œuvre. Collectivement et individuellement.
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Gérard Bouchard, Sociologue et professeur à l’Université du Québec à Chicoutimi
Langue
Une francophonie à réinventer
Forum mondial de la langue française du 2 au 6 juillet 2012 à Québec
Gérard Bouchard23 articles
Professeur, département des sciences humaines,
Coprésident de la Commission de consultation sur les pratiques d'accommodements liées aux différences culturelles
Université du Québec à Chicoutimi
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