Ceci est une réplique au texte de Serge Cantin paru dans Le Devoir du 25 juin (« Des Idées en revue »). C’est le genre de réplique dont j’aurais bien voulu me passer, mais je ne pouvais pas donner par mon silence la moindre confirmation aux propos qu’on me prête. En plus, le même texte vient d’être publié dans le dernier numéro de l’Action nationale (juin 2019) et comme Le Devoir a jugé bon de le reprendre, sa diffusion sera largement accrue. De quoi s’agit-il ?
L’auteur évoque un bref échange que nous avons eu en 1999 au sujet de Fernand Dumont. À propos de son livre Raisons communes et des idées qu’il énonce sur la nation québécoise, j’aurais dit : « Si vous saviez comme cela nous fait du tort à l’étranger. » Dans la brève discussion qui a suivi, j’aurais également affirmé que Fernand Dumont « méprisait son peuple ».
Voici les faits. À la fin du colloque auquel il est fait allusion, je conversais avec un groupe de chercheurs. Serge Cantin, que je rencontrais pour la première fois, est venu me tirer par le bras et m’a amené assez loin à l’écart si bien que personne ne pouvait nous entendre. Alors, sur un ton ulcéré, il m’a déclaré que j’étais un « traître », que moi, l’un des principaux disciples de Dumont, je l’avais « trahi ». Il faisait allusion à des textes que je venais de publier et dont j’ai peu après rassemblé la substance dans un article du Bulletin d’histoire politique. En résumé, j’avais exprimé en termes fort respectueux et d’une façon très factuelle mon désaccord avec la conception que Dumont se faisait de « notre nation ». On se souvient qu’il rejetait vivement la notion de « nation québécoise », qu’il qualifiait de « bricolage », de « mystification », fruit « de tacticiens politiques ». Voilà l’ignominie dont je m’étais rendu coupable.
Je précise que monsieur Dumont était décédé à ce moment, mais durant les deux ou trois années précédant sa mort, j’avais plusieurs fois abordé le sujet avec lui en privé et il était bien au courant de notre divergence de vues. Nous nous en désolions d’ailleurs et nous avons cherché vainement à trouver un terrain d’entente sur ce sujet, alors que nous nous rejoignions sur tant d’autres.
Revenons à Serge Cantin et à ses incongruités. Je serai bref. J’ai deux souvenirs très nets de notre échange de 1999. Premièrement, son accusation de traîtrise, qui m’avait estomaqué. Deuxièmement, les propos qu’il me prête et que, je l’affirme formellement, je n’ai très certainement pas prononcés. Cela dit, c’est évidemment ma parole contre la sienne et c’est bien pourquoi je trouve cette façon de faire odieuse — je n’ai pas d’autre mot pour la qualifier. Comme il n’y avait pas de témoin, Cantin peut rapporter ce qu’il veut et il ne s’en prive pas… après avoir attendu vingt ans pour se le permettre. On jugera du procédé.
Un mot, pour terminer, sur monsieur Dumont. J’étais proche de lui ; il m’a enseigné à plusieurs reprises et il a dirigé mon mémoire de maîtrise. Il fut l’un des plus grands intellectuels dont le Québec peut s’honorer. Il a exercé sur moi une influence déterminante par son intelligence et son érudition exceptionnelles. C’était aussi un homme d’une très grande probité. Il a été l’un de ceux qui m’ont communiqué l’idéal de l’enseignement universitaire en incarnant la grandeur du professorat.
Vers la fin de sa vie, alors qu’il menait ses derniers combats contre le cancer qui allait l’emporter, je lui ai rendu visite à deux ou trois reprises à son domicile et j’ai eu avec lui des échanges qui m’ont marqué pour toujours. À sa mort, j’ai été très honoré que sa famille me désigne (avec d’autres) pour lui rendre hommage (à Télé-Québec).
Le manège de Serge Cantin ne trouble d’aucune façon le souvenir que je garde de ce remarquable humaniste. Mais pour un disciple de Fernand Dumont, la hauteur fait défaut.