Des malentendus autour de l’interculturalisme

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Gérard Bouchard l'admet : l'interculturalisme est le refus de l'assimilation des immigrés


Dans un éditorial récent sur l’interculturalisme québécois (10 et 11 août 2019), monsieur Dutrisac évoque certaines critiques dont ce modèle a fait l’objet. Je profite de l’occasion pour montrer que ces critiques sont sans fondement et pour préciser la nature de l’interculturalisme.


Cela dit, pour éviter tout malentendu, je crois utile de préciser que, sauf exception, M. Dutrisac ne fait pas siennes ces critiques auxquelles il fait référence simplement pour conduire sa réflexion.


Qu’est-ce que l’interculturalisme québécois ?


Ce modèle, élaboré au cours des dernières décennies, a été conçu en fonction des particularités et des besoins de notre société. Il tient dans six composantes. C’est, en premier lieu, la promotion du français comme langue civique. Tous les citoyens peuvent ainsi communiquer entre eux, participer à la vie publique et assurer leur avenir professionnel à chances égales. Le deuxième trait consiste dans le respect des droits de tous les Québécois, incluant les plus vulnérables à la discrimination à cause de la différence culturelle (langue, religion, coutumes) dont ils sont porteurs. C’est une exigence du pluralisme.


Une troisième composante prend en compte le rapport majorité-minorités qui structure la réalité ethnoculturelle au Québec. Quatrièmement, le modèle accorde une priorité à l’intégration collective, comme il convient à une petite nation dont l’avenir culturel suscite de constantes inquiétudes. Une telle nation craint instinctivement toutes les formes de fragmentation qui pourraient l’affaiblir, elle a donc besoin d’unité et de solidarité.


Les deux dernières composantes découlent de la précédente, à savoir le développement d’une culture commune, dans le respect de la diversité, et un accent sur les rapprochements, les échanges interculturels, notamment pour combattre les stéréotypes menant à la xénophobie et à l’exclusion.


Des critiques non fondées


Il m’est impossible de les passer toutes en revue. Je m’en tiendrai à celles mentionnées dans le texte de M. Dutrisac.


« L’interculturalisme est un échec. » En fait, il n’a jamais été adopté par un gouvernement et n’a donc jamais été mis en application intégralement à l’échelle du Québec.


« Il divise la majorité francophone et les minorités. » L’interculturalisme porte attention à ce rapport non pour l’accentuer et créer un clivage nocif, mais tout simplement parce qu’il existe. Il importe alors de l’orchestrer afin d’assurer une coexistence harmonieuse et équitable. C’est l’un des buts des rapprochements et des échanges souhaités entre majorité et minorités.


« L’interculturalisme condamne les minorités à l’assimilation. » Une préoccupation centrale du modèle est d’éviter l’assimilation. Il vise plutôt l’intégration, c’est-à-dire une adhésion aux valeurs fondamentales de notre société, telles que définies dans notre Charte. Il demande aussi l’apprentissage du français et la participation à la vie civique. Concernant la culture commune, elle se forme au gré des contacts interculturels, en toute liberté, et se nourrit de tous les apports, ceux des minorités comme de la majorité. Mais nul n’est tenu de renoncer à sa culture première. Le modèle préconise un équilibre entre la référence aux héritages culturels de chacun et la contribution à une culture nationale toujours en mouvement. Cette façon de penser et de mettre en oeuvre la diversité ethnoculturelle est propre à l’interculturalisme.


« La majorité francophone s’octroie des avantages indus. » Cette majorité est elle-même une minorité sur le continent. Il arrive qu’elle ait besoin elle aussi de protection. Nous l’avons vu avec la loi 101, dont les objectifs ont été reconnus comme légitimes par la Cour suprême du Canada. Cela dit, cette majorité ne bénéficie d’aucune préséance formelle, juridique ou autre. Elle entend simplement prendre toute sa place dans la société. Comme toute majorité cependant, elle est susceptible de favoriser parfois une gouvernance contraire aux intérêts et même aux droits des minorités. C’est une autre raison de prendre en compte le rapport majorité-minorités, lequel demeure toujours un rapport de pouvoir inégal. Il y a ici une vigilance à exercer. Mais on ne peut y arriver si on passe ce rapport sous silence.


« La notion de convergence est préférable à celle d’interculturalisme. » Le modèle de la convergence est malheureusement affligé d’un passé ambigu. Il est issu d’une réflexion commandée il y a quarante ans par le ministre Gérald Godin. Mais il l’a lui-même rejeté en raison de sa dimension assimilatrice : le modèle prévoit qu’à long terme, la convergence se repliera sur la culture de la majorité.


« L’interculturalisme est un décalque du multiculturalisme canadien. » Ses composantes, à l’exception de la deuxième, sont absentes du multiculturalisme ou y tiennent une place secondaire. Cependant, parce que l’interculturalisme favorise le pluralisme, c’est-à-dire le rejet de l’assimilation, certains concluent à l’identité des deux modèles. C’est une erreur. Le pluralisme est une norme internationale conçue en réaction aux horreurs de la dernière guerre mondiale. La majorité des nations démocratiques y souscrivent à leur façon et l’intègrent à leur politique de gestion de la diversité. Mais les modèles qui en résultent en proposent des applications spécifiques qui les différencient.


« Le multiculturalisme a toujours été une réalité québécoise. » Robert Bourassa l’a officiellement rejeté dès 1971, convaincu que le Québec avait besoin d’un modèle différent, adapté à ses priorités. Par ailleurs, l’idée de définir le Québec comme un ensemble de communautés culturelles sur le modèle de la mosaïque va à l’encontre de la réalité. Elle n’a pas d’avenir.


En conclusion, trois options s’offrent à nous : a) l’assimilation, b) le multiculturalisme, c) l’interculturalisme, à savoir une formule équilibrée qui allie les aspirations légitimes de la majorité et des minorités, qui conjugue les impératifs du droit et de la sociologie. Mon choix est évident.




Réplique de l’éditorialiste

 

Dans mon éditorial, j’opposais la notion de « culture de convergence », que je remettais en question, à celle de « convergence culturelle ». Même si ce dernier terme a pu être assimilé au premier, j’y vois une importante différence : ce sont les cultures, y compris celle de la majorité, qui convergent pour former une culture commune de langue française, culture qui devient celle de la majorité par la force des choses.


Je conçois mal, par ailleurs, qu’on puisse considérer les Québécois issus de l’immigration comme faisant partie de minorités pour l’éternité. Il me semble qu’un jour, avec le passage des générations, en vertu même des principes de l’interculturalisme, auquel je ne m’oppose pas sur le fond, ils feront partie intégrante de la majorité.



Robert Dutrisac









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Gérard Bouchard23 articles

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Professeur, département des sciences humaines,
Université du Québec à Chicoutimi

Coprésident de la Commission de consultation sur les pratiques d'accommodements liées aux différences culturelles





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