Je ne sais pas si les habitants de la ville de Québec ont éprouvé la même joie que moi en se promenant cette semaine dans les rues de la Vieille Capitale. Oui, c’était bien de la joie que l’on pouvait ressentir. Non pas parce que la ville était quadrillée de scènes d’où retentissaient les groupes de musiciens les plus divers. Non pas à cause du soleil resplendissant qui était au rendez-vous. La raison de cette joie était ailleurs. Elle venait tout simplement du fait que, dans tous les coins de la ville, on pouvait entendre tous les accents de la langue française. Et quand je dis tous, c’est tous. L’espace de quelques jours, Québec est devenue la capitale mondiale de la Francophonie grâce aux 1200 francophones venus du monde entier qui ont envahi la ville le temps du Forum mondial de la langue française.
Je sais qu’il en faudra beaucoup plus pour convaincre certains de mes compatriotes, trop souvent immergés dans un certain esprit provincial anglicisé, que le français est vraiment cette grande langue internationale qui permet de dire le monde. Ce forum en fut pourtant la démonstration éclatante et j’aurais voulu que tous les élèves de sixième année du primaire, que l’on s’acharne à vouloir immerger dans un anglais dont ils sont déjà saturés, puissent constater de leurs propres yeux l’extraordinaire bouquet culturel francophone qui nous a été donné à voir ces derniers jours. Quelle fascination de voir ainsi notre langue, et elle seule, englober le monde, sans nier bien sûr les langues nationales d’Afrique et d’ailleurs, mais loin du globish que l’on nous sert généralement dans ce genre de rencontres internationales.
S’il ne faut pas bouder sa joie, il serait cependant dangereux de sortir de ce forum en oubliant les nuages qui se profilent à l’horizon de la Francophonie. Car, si ce rassemblement de la société civile aura servi à quelque chose, c’est à laisser enfin s’exprimer une parole libre débarrassée du carcan de la rectitude diplomatique trop souvent caractéristique du discours de la Francophonie.
Comme le disait le linguiste Claude Hagège et quelques autres, il serait dangereux de se gargariser de chiffres et de s’endormir sur les prévisions rassurantes qui annoncent 700 millions de francophones à l’horizon de 2050. Comme chacun le sait, 80 % de ces francophones seront en Afrique, ce qui veut dire justement qu’ils pourraient bien délaisser le français au profit de leurs langues nationales, de l’anglais ou, pourquoi pas, du chinois. Le français ne deviendra qu’une langue parmi d’autres si les pays francophones du Nord ne font pas tout pour s’associer à ceux du Sud et les aider à rejoindre au plus tôt les pays émergents, comme le disait de façon éloquente le financier Lionel Zinsou.
Il serait aussi grand temps que la Francophonie exige des comptes de ses membres qui « se câlissent » du français, comme le disait, dans ces mêmes mots, l’ambassadeur Henri Lopes. Le jour où les 75 membres et observateurs de l’OIF s’exprimeront en français dans tous les forums internationaux, le statut du français en sera radicalement transformé. Il n’en tient qu’à l’OIF d’exiger de ses membres qu’ils se conforment à leurs engagements. Comme il faudrait peut-être se demander aussi pourquoi certains grands médias nationaux, au Québec et en France, ont levé le nez sur un événement d’une telle importance.
Est-ce l’influence du climat créé par les grèves étudiantes du Québec ? Pendant toute la semaine, un autre message a aussi percé sous diverses formes : la Francophonie doit sortir de la promotion naïve de la diversité culturelle pour se faire plus combative. Est-ce le signal que nous a subtilement adressé le secrétaire général lui-même, Abdou Diouf, en saluant les manifestants du Mouvement Québec français qui l’ont accueilli lors de son arrivée à Québec ? Car la Francophonie n’est rien sans ceux qui la défendent pied à pied dans la vie de chaque jour.
Au cours de ce sommet, de nombreux francophones ont en effet découvert avec étonnement que, même au Québec - champion supposé de la Francophonie -, le français était souvent mal en point. Le maire de Québec, Régis Labeaume, s’en est inquiété avec raison. Il est honteux que le Québec se pavane dans le monde en faisant semblant d’être le champion toutes catégories du français alors qu’il est devenu si négligent sur son propre territoire et que même son premier ministre s’exprime en anglais à l’étranger, dans des villes francophones, alors qu’on lui offre la traduction simultanée.
Durant tout le sommet a résonné la chanson un peu sirupeuse d’Yves Duteil intitulée La langue de chez nous. Qu’on me pardonne ce jugement un peu sévère, mais il serait temps qu’on en entende une autre, plus actuelle et plus belle encore, celle de Michel Rivard intitulée Le coeur de ma vie. Elle seule dit de notre langue ce qui suit :« Elle est fière et rebelle et se blesse souvent
Sur les murs des gratte-ciel, contre les tours d’argent […]
Il faut la faire entendre, faut la secouer un peu ;
Il faut la faire aimer à ces gens près de nous
Qui se croient menacés de nous savoir debout. »
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